L'expérience de Dieu chez Karl Rahner. Son statut épistémologique dans le Traité fondamental de la foi

David Sendrez
Teología - reviewer : Emmanuel Tourpe
Voilà une véritable « thèse » sur Rahner, c'est-à-dire « un travail à partir de Rahner plutôt que sur Rahner » (p. 21) : à la fois très personnelle, voire convaincue à l'extrême, et objectivement argumentée selon les critères scientifiques reconnus, cette superbe recherche, qui n'a pour réel défaut qu'une longueur exagérée, est un modèle du genre. Fouillant avec méthode et fruit dans le Traité fondamental, l'A. veut mettre en lumière ce que veut dire, mais aussi ce sur quoi repose la notion d'« expérience transcendantale de Dieu » chez Rahner ; ayant précisé les contours de ce concept, il veut ensuite en montrer la fécondité dans le contexte épistémologique actuel, marqué par la division des savoirs, pour en révéler la puissance unificatrice de la rationalité. Ce n'est donc pas un énième travail sur une thématique quelconque de Rahner, mais un projet global, qui puise chez le géant de la théologie allemande du xxe siècle des ressources neuves afin de penser « l'unité du sujet qui croit, prêche et agit dans le monde d'aujourd'hui » (p. 23). Tenant de la version selon laquelle « la thèse d'un dernier Rahner (…) semble excessive » (p. 52), l'A. note cependant un déplacement progressif du centre de gravité de la pensée rahnérienne vers « la mystique » (p. 53s.) dont la place devient « centrale » (p. 79) au moment du Traité. Puisque par ailleurs Rahner revendique « pour la théologie la raison la plus englobante », la mystique devient le fondement de la théologie, qui fonde elle-même la rationalité. Voilà la pointe de la découverte, à bien des égards provocatrice, que fait l'A. par de multiples chemins et qu'il propose à la réflexion contemporaine : « la théologie ne sait pas mieux que la paléontologie. Mais elle relève d'un vrai plus vrai (…) parce que sublime » (p. 635).
Pour mettre au jour une conclusion de cette portée, l'A. a recours à une interprétation pour le moins originale : il considère que l'expérience transcendantale de Dieu serait une « abstraction heuristique », une sorte d'idéal-type à la façon kantienne, mais qui serait tirée d'une compréhension à caractère mystique de Dieu. Cette expérience ne serait pas réellement immédiate, mais, au contraire, elle introduirait la médiation dans le rapport à Dieu : elle serait fondatrice de l'éveil de la conscience au monde et à soi, dans laquelle réflexivité se découvrirait l'amour de Dieu. « Je ne me comprends bien qu'ainsi, référé à ce mystère personnel, c'est-à-dire comme mystère référé au Mystère » (p. 636). L'ouvrage se déploie en trois parties. La 1re, qui aurait suffi à satisfaire un jury de thèse, vise à déployer une telle proposition de lecture du Traité (p. 33-214). Une 2epartie scrute les profondeurs rahnériennes de « l'expérience de Dieu » dont il est question (p. 215-494). On y notera avec faveur la discussion avec Balthasar (p. 379s), ainsi que l'invention des sources mystiques de Rahner (p. 321s). La 3e et dernière partie développe en propre, intéressant cette fois les philosophes, l'épistémologie théologique du Traité (p. 496s). Plusieurs points seraient à discuter dans cette section, comme l'insuffisance de certaines références, mais l'A. a le bon goût de l'assortir d'une évaluation critique du Traité d'une grande intelligence. Ce n'est à coup sûr pas un ouvrage banal que celui-ci ; et davantage que sur Rahner, il nous en dit long sur la puissance et les capacités théologiques de son auteur. - E. Tourpe

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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