L'Homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué

Sylviane Agacinski
Moral y derecho - reviewer : Alain Mattheeuws s.j.

La question du rapport de l’homme à son corps n’est pas qu’une question philosophique du passé : elle reste contemporaine et traverse la vie politique et sociale. L’homme est-il appelé à devenir à ce point « désincarné » par son imagination ou sa volonté qu’il ne puisse plus se concevoir et se recevoir comme différent en son propre corps ? D’où vient ce nouveau dualisme ? Le corps ne serait que le produit de la culture du moment et des techniques chaque fois plus performantes. Pourquoi, dit l’auteur, chercher à échanger « les vieilles tuniques de peau » contre un corps dont nous serions les « fabricateurs souverains » ? : « un corps restauré et augmenté, corps fabriqué sans père ni mère, et non plus engendré : corps reconstruit et neutre, par-delà l’homme et la femme ; corps de moins en moins vulnérable mais de moins en moins vivant. Mais à quel prix ? » (p.5). Ce livret est court, très bien écrit, dense mais accessible : il parcourt les principaux défis de la bioéthique d’aujourd’hui. Avec acuité, il dénonce les paradoxes et les contradictions de la pensée productiviste et néolibérale qui prend position dans les décisions médicales et ce qui concerne la vie de l’homme et de la femme et leurs désirs d’enfants.

Lire ce dossier nous met au cœur de l’actualité : la réflexion est éclairante des enjeux qui concernent l’humanité. Elle nous dit le rôle décisif des philosophes pour la construction de la cité et la dénonciation des ignorances, des illusions, des idéologies qui déforment la vie en commun, le rapport au temps, les processus d’aliénation de la femme dans l’horizon féministe. Ce désir d’être délivré de la « chair » qui sous-tend les tensions dénoncées, ne serait-il pas encore « l’expression d’un désir masculin, un désir de se libérer de cette chair féminisée ? » (p.39). Les questions soulevées ne sont pas « annexes » : l’auteur nous montre en quoi elles engagent la vérité de l’homme, de sa liberté, de sa capacité à vivre en son corps et donc dans le corps social. Son langage en France n’est certainement pas « politiquement correct » et suscite des réactions malheureusement agressives.

Le débat avec les théories du genre est également expliqué avec simplicité et profondeur. L’incohérence de ces mouvements est bien rendue en même temps que les convergences entre l’exacerbation des théories néolibérales, la promotion toujours en recherche de la femme, la fuite du réel, donc du corps, les nouveaux pouvoirs de l’homme parfois perdu dans une nuit sans étoiles. D’où vient cette pression énorme qui envahit la culture et l’imaginaire de pouvoir « changer de corps » ? Il est bon qu’une femme cultivée éclaire cette situation. — A. Mattheeuws s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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