L’instinct ecclésial de la foi (Lumen Gentium 12, Dei Verbum 8)

Lukasz Wisniewski o.p.
Teología - reviewer : François Odinet

Le dominicain polonais Lukasz Wisniewski livre ici le texte d’une thèse d’ecclésiologie, soutenue à l’Université de Fribourg (Suisse) sous la dir. du prof. B.-D. de La Soujeole en 2019. Analysant le sensus fidei comme « instinct ecclésial de la foi », il commence par une étude serrée du n° 12 de Lumen Gentium (LG), avant d’évoquer d’autres textes conciliaires, en faisant notamment place au n° 8 de Dei Verbum.

Après ce status questionis qui n’oublie pas le magistère postérieur, l’A. convoque largement la pensée de saint Thomas pour étudier le sensus fidei dans sa genèse (chap. II, qui relit notamment Rm 10,17 et sa réception) puis le sensus fidei fidelis (chap. III) et le sensus fidei fidelium (chap. IV). Alors que le chap. I avait évoqué, fidèle à LG 12, le munus propheticum de tous les baptisés, la focale se resserre ensuite sur le munus docendi des successeurs des apôtres et son rapport avec le sensus fidei (chap. II et III). Le bref chap. V est donc important, il cherche à équilibrer la perspective en montrant comment le magistère est appelé à écouter le sensus fidei et à en discerner les expressions authentiques.

Une manière d’apprécier le parcours de la thèse peut être de se demander comment le rapprochement entre LG 12 et la pensée de saint Thomas a pu enrichir la notion de sensus fidei. Il ouvre tout d’abord à un beau déploiement pneumatologique, esquissé par le texte même de LG 12 (chap. I) et enrichi par le chap. IV, qui analyse la « personnalité » de l’Église et le rôle qu’y joue l’Esprit. Ce même chap. IV éclaire le rôle que jouent les dons de l’Esprit (intelligence, science et sagesse) dans la connaissance par connaturalité, caractéristique du sensus fidei. Ensuite, ce rapprochement entre les textes conciliaires et la pensée de l’Aquinate permet d’analyser la place du sensus fidei dans l’initium fidei (chap. III), une question trop rarement posée à propos du sensus fidei. Le recours à la notion thomasienne d’instinctum fidei se révèle bienvenu pour situer la manière dont une personne peut adhérer à la foi telle qu’elle lui est présentée.

En revanche, l’A. a reconnu que « la manifestation du sensus fidei peut être contextualisée et dans un certain sens dépendant de facteurs non confessionnels » (p. 69), mais sa lecture de saint Thomas ne lui permet pas d’approfondir cette question, alors même qu’elle contribue largement à l’actualité de la notion de sensus fidei. L’A. nomme en passant les enjeux qui ont redonné au sensus fidei toute son actualité théologique : la synodalité, l’inculturation, la prise en compte de la sagesse des plus pauvres, l’œcuménisme, mais il ne les intègre pas réellement à son étude.

Dès lors, l’enjeu du discernement qu’opèrent les fidèles en raison de leur sens de la foi, évoqué à de nombreuses reprises par le pape François, passe à l’arrière-plan. Un déséquilibre apparaît lorsque l’enjeu de conservation de la foi, ici déployé à juste titre, en vient à faire oublier le discernement contextuel exercé par les fidèles en vertu du sensus fidei. On pourrait toutefois considérer que l’A. ouvre une porte dans cette direction lorsqu’il voit dans l’Église particulière le lieu princeps où l’écoute du sensus fidei doit se réaliser dans un processus synodal (p. 252). Cette proposition n’est-elle pas d’autant plus vraie qu’une Église particulière est une réalité nécessairement « inculturée », dans laquelle le contexte conditionne les manifestations du sensus fidei autant que l’exercice du munus propheticum des baptisés et des ministres ordonnés ?

Quoi qu’il en soit de ces questions, la cohérence de la thèse ainsi que la précision de sa lecture des textes conciliaires et thomasiens en font d’ores et déjà une lecture nécessaire à qui veut étudier de près la question du sensus fidei. — F.O.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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