Un maître-livre pour les lecteurs tentés par la modernité, ou qui y
baignent sans toujours pouvoir se situer. Une des caractéristiques
de la modernité est l'aspiration à l'accomplissement de soi. En
fait, beaucoup hésitent entre une intériorité fermée où l'homme
tourne en rond autour de lui-même, ou bien une ruée dans des
réseaux de relations qui dispersent: vide intérieur ou effusion de
soi. Le philosophe qui nous offre ce volume, fruit d'une réflexion
soutenue, est un spécialiste de Husserl, enseignant à l'Univ. de
Caen et à l'Inst. catholique de Paris, auteur de L'intelligence
de la pitié (Cerf 2001). Il y a recueilli onze articles déjà
publiés dans différentes revues, auxquels il ajoute une
introduction et deux inédits pour nous faire découvrir les avatars
de l'intériorité à travers l'histoire des philosophes: «le soi au
risque de l'altérité»; d'où le sous-titre.À la lumière d'Augustin
(chap. 1-2) et de Thomas d'Aquin (chap. 3-4), l'A. aborde l'être et
l'acte de la personne qui constituent son identité, puis il passe à
Husserl (chap. 5-6) afin de creuser cette identité comparée à la
folie et dans son histoire de chair au creux du monde. Aux chap. 7
et 8, il s'appuie sur Kierkegaard pour analyser la réalité du
témoignage dans son intériorité et son objet, avant de se tourner
vers Levinas avec son attention à «la patience des mains» qui
effleurent et caressent sans s'imposer (chap. 9). Il fait alors
appel à H. Maldiney parlant du «moi inimaginable» (chap. 10) avant
de s'arrêter sur la pitié considérée comme «souffrance d'amour» ou
la réceptivité de la compassion (chap. 11). Il peut alors nous
présenter «l'événement de la personnalisation» où le moi se
découvre, construit par l'autre qu'il accueille en son intime:
telle est «l'identité d'exil» (conclusion). Le lecteur se trouve
ainsi amené à «choisir son style d'existence: être en exil et
vivre, ou rester en soi et mourir». Cette conclusion, on le voit,
rejoint la parole de Jésus: «qui veut sauver sa vie la perdra, mais
qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera» (Mc
8,35).Un très beau livre qui rendra confiance dans la grâce de la
rencontre et du dialogue. Le chemin de vie que nous trace l'A.
mérite qu'on s'y arrête longuement. - J. Radermakers sj