L'unico Cristo. La sinfonia differita

Chr. Duquoc
Teología - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Le P. Duquoc, dont on connaît depuis de longues années le souci de clarification et d'actualisation théologiques, constate en introduisant ce nouvel ouvrage qu'il se situe dans une autre perspective que la christologie qu'il a publiée, en deux tomes successifs, en 1968 (cf. NRT 90 [1968] 976-981) et 1972 (cf. NRT 94 [1972] 975-976): «Les défis pris alors en compte proviennent soit de la lecture historico-critique de la Bible, soit de la déconstruction philosophique dont les répercussions amenèrent les théologies à des théories paradoxales, telle celle de la « mort de Dieu »». Aujourd'hui, estime l'A., «c'est le caractère central du Christ, expression première de la foi en son unicité révélatrice et salvatrice», qui est remis en question «par les pluralités religieuses, le déchirement judéo-chrétien et les cassures internes».
L'A. s'emploie à relever ce défi en abordant successivement trois interpellations contemporaines de la christologie: 1. La césure première et radicale entre Israël et les disciples de Jésus, qui «affecte le mouvement de l'implication de Dieu dans l'histoire»; 2. la brisure entre Israël et l'Église, symbole d'une autre division: celle de la multiplicité des religions; 3. le fait que la culture contemporaine, influencée par la vulgarisation des connaissances scientifiques concernant l'évolution du cosmos, s'accorde mal à la conviction que le Christ-Seigneur unifie les devenirs historique et cosmique. Une quatrième partie s'efforce enfin de «synthétiser les recherches précédentes en focalisant la question autour de l'activité de l'Esprit et de l'articulation entre la singularité du Nazaréen et l'universalité du Christ».
Si l'Alliance dont se réclament à la fois le judaïsme et l'Église mérite, selon l'A., d'être «revisitée» en vue de dissiper certains malentendus, ou, de la part des chrétiens, de désavouer toute prétention substitutive, c'est la constatation d'un véritable pluralisme religieux qui pose aujourd'hui à la théologie la question la plus radicale. «On n'ose plus prétendre que le christianisme est la seule vraie religion, et que sa tâche est d'unifier ecclésialement le monde dans la reconnaissance du Dieu de Jésus-Christ. Aussi s'efforce-t-on, depuis la clôture de Vatican II, d'articuler positivement le mouvement chrétien à la dynamique multiple des religions».
Tout en prenant quelque distance par rapport à certaines propositions récentes en ce sens (K. Rahner; J. Dupuis; Cl. Geffré), dont le défaut, estime-t-il, consiste à supposer «que les religions, malgré leurs différences notoires, convergent vers un point unique», l'A. intitule la deuxième partie de son ouvrage: «Les religions en fragments», et en précise ainsi la portée: «Chaque fragment, il est vrai, suggère une unité potentielle, mais leur ensemble, n'ayant aucun horizon commun, ne s'impose pas comme unité: peut-être demeure-t-il en attente d'une unité pour l'instant indiscernable» (p. 122) - ce qu'illustre bien, ajouterions-nous, cet ensemble diversifié de contours et de couleurs qui orne la première page de la couverture du livre en français. D'où la question: «En quel sens faut-il entendre l'universalité du Christ dans le cadre de la fragmentation religieuse?»
On ne peut répondre adéquatement à cette question, estime l'A., qu'en prenant conscience, à partir d'une relecture des Évangiles, «du caractère à la fois critique, modeste et radical de la prédication de Jésus». Critique: «Jésus se tient à distance du désir ou des attentes de ses auditeurs». Les signes qu'il accomplit «illuminent le présent de la gloire que chacun juge future, notamment dans les miracles - la Transfiguration en présente un remarquable symbole -, mais leurs fulgurations ne s'inscrivent pas dans la durée», ce qui déçoit son entourage. Modeste: «Jésus annonce certes l'accomplissement du temps et la présence du Règne. Mais au lieu de donner à rêver des conséquences sociales, politiques et même individuelles de ce dévoilement, il requiert un retournement du coeur et déclare heureux ceux qui s'accordent à son annonce par le paradoxe de leur situation ou leur choix différent des souhaits majoritaires» - tel est bien le paradoxe particulièrement abrupt des Béatitudes! (Mt 5,1-13). Non moins caractéristique est la réponse de Jésus à la requête de Philippe: «Montre-nous le Père, et cela nous suffit», ce qui signifie en clair: «Dévoile ce qui est le plus essentiellement divin!». Alors que Philippe avoue ne rien avoir décelé de la richesse annoncée du divin dans le quotidien, Jésus ne lui donne d'autre réponse que l'affirmation de la présence de Dieu: «Celui qui m'a vu, a vu le Père» (Jn 14,9). «Philippe pensait que la manifestation du divin exigeait un éclat digne de sa grandeur. Jésus redresse son attente: il le détourne de sa curiosité» (p. 91).
Radical: «dans l'affirmation de l'accomplissement du temps et de la présence du Règne, Jésus opte pour une position abrupte: le Règne se dérobe à celui qui ne s'y accorde pas dès maintenant… La radicalité requise de la vision du divin dans le plus simple de la présence travaille à rendre encore plus invisible le Règne annoncé, tant ce dévoilement rompt avec le souhait majoritaire» (p. 90-92). Voilà qui invite, observe l'A., à une interprétation nuancée de «l'effort contemporain, avalisé par la Constitution conciliaire Gaudium et Spes, pour reconnaître à la foi la capacité, sinon de transformer, du moins de peser sur l'espace public pour l'ajuster à un idéal de non-violence et de justice». Mais, selon lui, un discernement analogue s'applique également au souci contemporain de dialogue avec les religions non chrétiennes.
En ce domaine, estime-t-il, «le théologien chrétien peut accepter que le fragment demeure fragment (…); il peut renoncer, sans trahir ses convictions, à une réalité unificatrice conceptuellement désignable». C'est précisément, en effet ce défaut d'horizon commun qui «permet d'écouter sans la solliciter l'annonce première de Jésus confirmée par l'expérience pascale» (p. 124). Cette interprétation se heurte toutefois, reconnaît l'A., à «une difficulté majeure: le rôle de l'énonciateur, Jésus. On le dit révélateur et médiateur. Son identité ne relativise-t-elle pas son annonce?» «Jésus, répond l'A., n'occupe pas la position de l'origine. Parler du caractère central de Jésus ressuscité et confessé Christ conduit à oublier que, dans sa prédication, il a incité à se tourner vers un autre, celui qu'il désignait comme présent en usant de la métaphore du Règne. La singularité de cette situation: témoigner de ce qui se donne, sans être à l'origine du don, n'est pas abolie par la Résurrection. «Le Christ est à Dieu» (1 Co 3,23); il n'est pas le terme du mouvement» (p. 128). «Sa médiation de prophète ou son rôle de Christ sur le fondement de la Résurrection ne lui assigne jamais une place centrale: il convertit pour autant qu'il s'efface devant une autre Figure à laquelle il rend grâce (Mt 11,25-28)».
Jésus en effet prévient ses disciples, selon Jn 16,13, que lorsqu'ils seront privé de sa présence visible, l'Esprit les conduira à une vérité jusqu'à présent insoupçonnée (…) L'Esprit conforte cette attitude. Il est l'Esprit de la Promesse (Ep 1,13), il en est l'acompte dans le temps intermédiaire (…) il n'éteint pas la mèche qui fume encore (Mt 12,20), il laisse à chaque fragment le temps nécessaire à sa maturation, il n'a pas la passion de la totalité ou de l'unité qui écraserait les capacités naissantes ou dévaluerait les légitimités acquises. Dans ce mouvement lent et tolérant s'insère la division. Selon l'hypothèse avancée, elle affecte notre monde, elle en partage l'ambiguïté, mais elle ne s'identifie pas au mal, elle est positive comme garantie contre la réalisation trop enfiévrée de la Promesse» (p. 216).
Et de conclure: «Il est sans doute exaltant de parler d'un Christ cosmique, et il est beau de prétendre unifier sous sa domination la marche indéfinie du cosmos et le devenir inachevé de l'histoire. L'idée est esthétique, mais les formes d'articulation entre le mouvement cosmique et le devenir historique nous sont étrangères. Aucune théorie théologique ne peut sérieusement les unifier» (p. 253). On l'aura compris: cet ouvrage, «exploration d'un domaine peu analysé jusqu'à présent» invite à poursuivre la réflexion et le dialogue, ainsi que le précise modestement l'A. en exprimant «l'espoir qu'il ne soit pas une investigation vaine». - P. Lebeau, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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