L’unité du sacrement de l’Ordre. Dans la réforme des ordinations de 1968

Martin Troupeau c.s.m.
Teología - reviewer : André Haquin

Fruit d’une thèse doctorale présentée à l’Institut catholique de Paris, la recherche de Martin Troupeau embrasse la vaste question de la réforme liturgique des ordinations, jusqu’à la réalisation de l’édition du Pontifical romain de 1968 (ordination du diacre, du prêtre et de l’évêque). Le Coetus XX du Consilium, consacré à ce sujet, avait pour relator dom Bernard Botte (Mont César, Louvain), et pour secrétaire le p. Bruno Kleinheyer (Allemagne). Les divers Schemata (102, 124, 150, 180, 220 et 270) donnent une idée de l’ampleur de la tâche. Le cœur de la recherche est l’unité du sacrement de l’ordre : si chacun des trois degrés de l’ordre a sa spécificité, tous trois forment un unique « sacrement ». La thèse se développe en trois parties : « Les sources théologiques de la réforme. D’une question sacramentaire à une ecclésiologie » (p. 31-140), « Les premiers schémas du Consilium, témoins d’une approche globale ? » (p. 141-287) et « Réaliser l’unité du sacrement per ritus et preces : le De ordinatione diaconi, presbyteri et episcopi de 1968 » (p. 289-396). Le travail du Consilium a duré de 1964 à 1968.

La Constitution apostolique de Pie xii Sacramentum Ordinis (1947) affirme que la matière du sacrement est le geste de l’imposition des mains et non la « porrection des instruments » (Moyen Âge) et que la forme sacramentelle est la prière consécratoire qui demande le don de l’Esprit saint. Ce document aura une portée stratégique dans la suite. Pie xii avait l’intention de réformer l’entièreté de la liturgie ; la mort l’en a empêché, mais ses travaux ont grandement facilité la tâche de la réforme liturgique postconciliaire. La constitution Sacramentum Ordinis a été préparée par les travaux des Card. Gasparri et Van Rossum en vue du Code de 1917 et plus spécialement des canons ayant trait aux ordinations. De même les études sur le décret Pro Armenis (Concile de Florence, 1439) ont leur place dans cette lente maturation. Dans la suite, le texte conciliaire Lumen Gentium 21 (chap. 3) a pu établir la sacramentalité de l’épiscopat et Presbyterorum ordinis a développé la théologie de l’« In persona Christi » (Christ Prêtre) qui caractérise la situation de l’évêque et du prêtre, à la différence du diacre ordonné « non ad sacerdotium, sed ad ministerium ». Enfin, l’A. examine les trois prières consécratoires et leurs épiclèses qui permettent de qualifier l’effet du sacrement comme don de l’Esprit saint plutôt que comme « potestas » (Concile de Trente).

L’étude du Pontifical de 1962 et des premiers schémas (102 et 124) a permis de faire dialoguer les meilleures pratiques liturgiques de la Tradition et Lumen Gentium (chap. 3 : l’épiscopat). On peut donc parler d’un « ressourcement en tradition » sur la longue durée. Il englobe l’Occident et l’Orient. C’est la lex orandi qui révèle les richesses de la « foi vécue » « per ritus et preces », c.-à-d. la liturgie habitée par la foi de l’Église. L’argument liturgique a été déterminant pour la doctrine de la sacramentalité de l’épiscopat. En retour, Lumen Gentium a aidé à la reformulation du rite de l’ordination épiscopale, et dans sa foulée, de l’ordination presbytérale et diaconale, de sorte que s’affirme de plus en plus l’unité des rites d’ordination. L’Addendum au schéma 102, avec ses sept principes généraux constitue une véritable loi-cadre pour la reformulation des rites d’ordination. Nommons-en quelques-uns : la conviction que chacune des trois ordinations a sa consistance propre ; l’ouverture à l’Orient chrétien et la redécouverte du vocabulaire euchologique ancien ; la distinction entre les rites considérés comme essentiels (matière et forme) et les autres qui sont soit préparatoires (rites d’ouverture), soit explicatifs (rites finaux) ; pour couronner le tout, une même structure se retrouve dans chaque ordination et toutes trois prennent place entre la liturgie de la Parole et le rite eucharistique proprement dit. Le diaconat rétabli comme ordre stable (« diaconat permanent ») signifie que ce degré « ad servitium » (LG 29) fait bel et bien partie de l’ordre sacramentel comme les deux autres. Les diverses séquences des ordinations sont analysées à partir des Archives de l’Église de France (CNAEF, Issy-les-Moulineaux) et de l’Institut liturgique de Trèves (DLI). On y découvre les discussions entre les membres et la méthode du groupe de travail, utilisée en vue d’un discernement éclairé et commun. Affleure régulièrement la clairvoyance et la fermeté du relator du Coetus XX, Bernard Botte. C’est comme un « petit concile » qui est vécu au sein de ce « laboratoire », sans oublier les échanges avec le pape Paul vi et les évêques du Consilium (cf. Annexes, p. 409-686).

La troisième partie de la thèse est consacrée à l’examen du Pontifical Romain de 1968 et à la réponse à la question de la justification théologique de l’unité du sacrement de l’Ordre. Cette unité doit se manifester non seulement dans le rite essentiel, mais aussi dans les rites préparatoires (présentation, élection) et explicatifs (vestition, remise du pain et du vin pour le prêtre, etc.). Elle doit s’exprimer non seulement dans les paroles (« per preces »), mais dans les actions liturgiques (p.ex. l’imposition des mains) et les gestes (« per ritus »). Un des signes de cette unité est le vocabulaire utilisé : au lieu de privilégier celui de la « consécration », on a préféré celui d’« ordination », même pour l’évêque, afin de signifier l’entrée dans un groupe (« ordo ») et une responsabilité ecclésiale propre. La théologie des ordinations est loin d’être achevée : elle reste (trop) liée à la scolastique (matière et forme, etc.), alors que le rituel est plus proche de la théologie patristique. Une théologie plus contemporaine de l’ordination qui devrait faire toute sa place à la pneumatologie et à l’ecclésiologie – est-ce l’Église universelle ou l’Église locale qui est impliquée dans l’ordination ? – est encore à venir. La théologie du diaconat doit encore accéder à sa taille adulte. C’est notamment la relation du diaconat au presbytérat, mais aussi au peuple chrétien, qui sera à préciser. Ceci dit, il me semble que l’affirmation de la 4e de couverture est trop sévère : « Au terme de cette recherche, il apparaît que le Pontifical publié par Paul vi témoigne de l’unité liturgique du sacrement de l’ordre, mais qu’on n’y trouve pas exprimées les raisons théologiques qui ont motivé ce choix ». — A.H.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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