La communion ecclésiale. Progrès oecuméniques et enjeux méthodologiques

André Birmélé
Ecumenismo - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Rédigé au lendemain de cet événement oecuménique majeur que fut la signature de la Déclaration commune à propos de la doctrine de la justification par des représentants officiels de l'Église catholique et de la Fédération luthérienne mondiale (Augsbourg, 31 octobre 1999), ce livre vient à son heure. Ainsi que l'indique son sous-titre, il fait le point non seulement sur les progrès les plus notables du mouvement oecuménique au cours des dix dernières années, mais aussi sur leurs enjeux méthodologiques - ce qui permet de mieux «comprendre et expliquer la démarche globale qui oriente aujourd'hui l'ensemble des efforts oecuméniques».
Les trois premiers chapitres - soit près de la moitié du volume - sont consacrés au consensus luthérien-catholique à propos de la justification. Le premier rappelle l'apport des dialogues antérieurs (entre catholiques et luthériens des États-Unis et de la R.F.A.) au sujet de cette question. Le deuxième analyse d'une manière à la fois précise et nuancée les discussions et les tensions qui ont marqué le dialogue international luthérien-catholique Église et Justification (1994), qui eut le mérite d'aborder le problème des implications ecclésiologiques d'un consensus sur la justification par la foi. Si des options différentes (y compris entre luthériens) subsistent à propos de certaines questions (notamment quant à la compréhension de la «sacramentalité de l'Église», de l'articulation entre sa «sainteté» et sa «peccabilité» et de l'exercice de ses médiations ministérielles), l'A. constate qu'un «large accord» s'est manifesté entre catholiques et luthériens «sur le plan de la compréhension de l'Église communion des croyants à l'image de la communion du Dieu trinitaire». L'opposition entre Église visible et Église invisible, qui seule est objet de la foi, se trouve pareillement dépassée, tandis que, pour les catholiques, «les formes concrètes de l'Église en ce temps ne peuvent plus être simplement identifiées avec l'Église objet de la foi, dont la plénitude est eschatologique».
En soulignant l'importance historique de la signature de la Déclaration commune d'Augsbourg, l'A. rappelle les débats animés qui opposèrent l'approbation «enthousiaste» de «la très grande majorité des Églises luthériennes particulières» et les critiques virulentes orchestrées par une quinzaine de théologiens universitaires dont les méthodes relevaient de ce que l'A. qualifie de «néofondamentalisme confessionnel», caractérisé par une «absence totale de référence à la théologie contemporaine». On s'étonne toutefois qu'en se basant sur un texte de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, l'A. interprète dans le même sens ce qu'il appelle la «réponse du Vatican». C'est négliger le fait qu'indépendamment de ce texte dont l'approche est, en effet, trop unilatéralement tridentine, la vraie réponse du Vatican n'est autre que la signature du Cardinal Cassidy au bas de la Déclaration d'Augsbourg, confirmée dès le lendemain par une déclaration publique de Jean-Paul II. L'A. précise d'ailleurs loyalement qu'une visite du cardinal Ratzinger à Ratisbonne à l'automne 1998 s'est conclue par la rédaction d'une annexe qui permit «de lever les réserves que les réponses officielles de juin 1998 exprimaient encore» (p. 184).
En conclusion, l'A. se déclare d'accord avec tous les commentaires catholiques autorisés en reconnaissant que «l'enseignement des Églises contemporaines n'est plus touché par les condamnations du XVIe siècle». Il souligne également, comme ces mêmes commentaires, l'importance de l'enjeu méthodologique que constitue la notion de «consensus différencié» proposée par la Déclaration d'Augsbourg.
Le chapitre IV confronte la position luthérienne classique, qui fait de la doctrine de la justification l'«article capital» de la foi chrétienne, et les interprétation nuancées dont il fait l'objet dans le débat interprotestant du XXe siècle, notamment chez K. Barth (p. 217). Il souligne ensuite l'intérêt oecuménique que représente parallèlement la notion catholique, relativement nouvelle, de «hiérarchie des vérités», formulée dès 1946 par Y. Congar, et adoptée par Vatican II. L'A. voit dans la relation de ces deux principes herméneutiques «une des grandes questions à l'ordre du jour du mouvement oecuménique» (p. 243).
Tout aussi judicieux et stimulant est le chapitre V qui confronte et précise les notions de «consensus différencié» et de «différence fondamentale». Comment passer d'un consensus de théologiens à la communion ecclésiale? C'est à cette question que le chapitre VI tente d'apporter des éléments de réponses en étudiant les déclarations de «Communion ecclésiale» entre les Églises issues de la Réforme. L'A. estime qu'elles ont instauré entre les Églises signataires une «nouvelle qualité de relation» où s'exprime l'«unité dans la diversité réconciliée». Ces avancées n'ont toutefois pas encore été en mesure de surmonter la contradiction qui subsiste entre les divisions actuelles et la confession que «l'Église est une, sainte, catholique et apostolique». Celle-ci demeure cependant une requête incontournable du mouvement oecuménique, ainsi que l'énonce fermement le chapitre VII: «L'unité de l'Église comprise comme communion». Une communion dont tous les artisans du mouvement oecuménique sont aujourd'hui d'accord pour estimer qu'elle doit être ouverte à deux dimensions: la communion dans la foi, les sacrements et le ministère ecclésial, et dans l'engagement concret en ce monde.
Mais c'est sans nul doute le chapitre VIII, à la fois conclusif et prospectif, qui retiendra l'attention. Il rencontre les deux «défis» auxquels doit faire face la démarche oecuménique contemporaine, et dont la prise en compte conditionne son avenir: celui de la «réception» de ses acquis; celui de la «comptabilité» des textes et des documents bilatéraux ou oecuméniques soumis à réception. La «réception», telle que la définissait, dès 1972, une importante étude du P. Congar, «ne saurait être limitée à un acte juridique par lequel une Église locale adhère à des décisions prises sur un plan hiérarchiquement supérieur. Seule l'acceptation par la communauté, qui reconnaît dans la donnée à recevoir la foi des apôtres, donne à celle-ci sa pleine autorité».
Toutefois, dans la conjecture oecuménique actuelle, la notion de réception demande à être utilisée dans un sens qui n'est pas encore applicable à la réception de décisions conciliaires, lesquelles consistent à mettre un terme à des débats au sein d'une Église une. Situation «sans précédent direct dans l'histoire de l'Église», et cela d'autant plus que les rapports des commissions de dialogue sont fort variés. L'A. en étudie les cas d'espèces aussi bien que les promesses avec un exceptionnel discernement tant historique que théologique. À cet égard, il est permis d'appliquer à son livre la conclusion qu'autorise la pertinence de ses analyses: «Ainsi s'ouvre un nouvel espace d'une vie ecclésiale commune, un aboutissement synonyme de commencement nouveau». - P. Lebeau, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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