La jalousie. Élection divine, secret de l'être, force naturelle et passions humaines, préf. J. Le Brun

Bernard Forthomme
Psicología - reviewer : Jean Radermakers s.j.
La jalousie: vilain défaut ou fleuron de l'amour, faudrait savoir! Est-elle ce à quoi nous pensons? En 800 pages de texte dense et bigarré, l'A., prêtre franciscain, belge résidant à Paris et professeur au Centre Sèvres, nous mène à la découverte de cette portion du continent humain largement inexplorée, pour nous convaincre que cette sacrée bête tapie à la porte du coeur de Caïn peut être domptée et assagie, mais qu'elle nous réserve toujours des surprises. Après avoir publié des essais sur Lévinas (1979), mais aussi sur la folie (1997 et 2002), la dépression (2002) et la guérison (2002), l'inceste (2004) et les stigmates (2004 et 2005), l'A. nous fait parcourir en tous sens les profondeurs de la brousse humaine, convoquant toutes sortes de disciplines scientifiques humaines et même divines, telles que psychologie et psychiatrie, littérature et histoire, phénoménologie et… théologie, au long de douze chapitres passionnants et touffus.
Après une préface apéritive de J. Le Brun, qui ouvre le rideau sur les thèmes du livre, l'A. saisit la baguette du chef d'orchestre pour une ouverture qui annonce magistralement le sujet. Ensuite, il nous invite à écouter successivement «la pluralité exclusive de la jalousie», avec ce qu'elle a d'incommunicable et le malaise qu'elle engendre, puis «le jaloux en quête de liberté», avant de nous plonger dans la complexité de «l'exclusivité amoureuse» avec les méandres de l'inceste, de la passion et de l'envie, et finalement avec son élan vers l'infini. À ce moment, une sorte de cadence calculée nous mène à travers la spontanéité de l'être par les détours de la Bible, jusqu'à l'Esprit de la Vérité et la croissance du Royaume.
C'est alors la terre nue que l'A. nous fait rencontrer avec François d'Assise et Thérèse d'Avila, avant de nous découvrir la vie qui prend corps jusque dans les espèces eucharistiques. Après un long développement sur les envies qui se disputent en l'homme, nous entendons la jalousie shakespearienne avec Othello, Desdémone et Iago, puis la jalousie soupçonneuse avec l'investigation scientifique. Introduit par le roi Shaül, émerge alors le politique: la réalité toute-puissante de l'État et son dépassement dans la créativité ecclésiale. Enfin «la gloire du singulier» apparaît dans «le signe jaloux des stigmates et ses contestations», pointant sur la jalousie du philémite et celle du philanthrope. La conclusion de l'oeuvre fait retour à Dieu et à sa jalousie propre, avec reprise de la question de la comparaison. Un envoi fulgurant chante «le clair abandon à la jalousie» en des termes nouveaux: «Puisque Dieu est jaloux, il sera trop jaloux de notre intérieur et de notre désir, de tout notre être, pour ne pas accueillir sans retenue notre abandon total à lui, et pour ne pas nous recueillir et nous infinir ainsi tout entier en lui seul…» (p. 795).
Ce livre nous laisse rêveur. Impression d'un feu d'artifice grandiose qui passe par toutes les couleurs, toutes les formes et tous les éclats. Musique trop puissante - ou trop ténue - pour nos oreilles mortelles, comme l'harmonie des sphères - ou celle d'une fragile cellule -. Une oeuvre géniale en tout cas, synthèse surprenante de notre culture du XXIe embrassant toute la Bible et tout le cheminement de notre tradition d'Occident. On se sent petit, et peut-être jaloux de la science et de la verve de l'A. Pouvait-il mieux nous faire entrer dans l'expérience de la jalousie? - J. Radermakers sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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