La mémoire revisitée. Études johanniques

Jean Zumstein
Sagrada Escritura - reviewer : Pascal-Marie Jerumanis

Jean Zumstein propose un recueil de ses contributions majeures sur le corpus johannique, en particulier sur l'Évangile de Jean. Les 25 articles publiés ici sont regroupés en trois parties : 1) histoire et herméneutique ; 2) parcours de textes ; 3) parcours thématiques. Comme l'A. l'explique dans son avant-propos, « le questionnement est tout d'abord de nature herméneutique. Comment faut-il interpréter le langage symbolique ? Comment se pose la question de l'intertextualité ? Comment identifier le processus de la relecture ? Quel est le rapport entre diachronie et synchronie ? (…). Mais cette réflexion herméneutique se conjugue avec une investigation théologique. Comment le quatrième évangile a-t-il interprété la personne de Jésus ? (…). C'est donc à une découverte de ce texte prestigieux que le présent ouvrage voudrait entraîner son lecteur. Avec une orientation centrale : comment le quatrième évangile fait-il mémoire de la personne de Jésus qui est au centre de son récit ? Comment revisite-t-il la mémoire des premiers chrétiens ? » (p. 9-10).
Pour mettre en appétit, relevons simplement, parmi tant d'autres, trois points de l'investigation de l'A. :
1) En se situant par rapport aux recherches modernes sur le corpus johannique, l'A. critique l'interprétation qui privilégie une « oeuvre reconstruite et purement hypothétique de l'évangéliste. Ce texte fictif, qui n'est attesté par aucun manuscrit, a longtemps été le pilier de l'exégèse johannique. D'un point de vue scientifique, un tel choix est hautement problématique. C'est tout au contraire le texte attesté par la tradition manuscrite qui doit s'imposer au commentateur » (p. 73). L'A. poursuit en refusant l'alternative entre lecture diachronique et lecture synchronique : « l'évangile doit être lu aussi bien dans son devenir que sous sa forme achevée. En effet, même si l'évangile canonique forme une unité de signification parfaitement cohérente, il porte encore les traces de son devenir » (ibid.). Pour rendre compte des processus interprétatifs encore identifiables dans le texte, l'A. propose « le modèle de la relecture » (ibid.).
2) En abordant la question de la canonicité du quatrième évangile, l'A. fait remarquer que « l'évangile ne saurait être détaché de l'activité du Paraclet, mais [qu'] il est - au niveau des médiations historiques - l'oeuvre du témoin privilégié et de l'herméneute indépassable du Jésus johannique, le disciple bien-aimé. Placé sous ce double patronage, l'évangile selon Jn revendique une autorité absolue à l'égard de ses destinataires. Ce faisant, il prétend à un statut comparable à celui qui est ordinairement attribué à l'Écriture » (p. 108).
3) En étudiant les chapitres 13 à 17 de Jn, l'A. note qu'ils « sont sans doute l'expression la plus achevée de la réflexion théologique proposée par le quatrième évangile » (p. 233). Et même plus encore, « l'adieu du Jésus johannique aux siens représente l'une des plus hautes expressions de la pensée théologique du christianisme primitif » (p. 250). « Avant même que le lecteur soit confronté à la recension johannique de la mort de Jésus, ils [les deux discours d'adieu] esquissent l'interprétation johannique de la mort de Jésus, laquelle se distingue par sa complexité et son originalité » (p. 309). « Les catégories interprétatives mises en oeuvre par Paul ou les synoptiques ne jouent pas un rôle décisif » (ibid.). L'auteur implicite des discours d'adieu a « pensé la mort dans toute sa radicalité dans l'exacte mesure où il place au centre de sa réflexion les expériences fondamentales qui lui sont associées » (p. 310), mais il subvertit « les valeurs ordinairement attachées à la mort » (ibid.) et « présente la mort de Jésus comme un événement productif » (ibid.). « En accord avec les différents courants du christianisme naissant, mais dans un langage tout à fait nouveau (…), l'auteur implicite fait découvrir que la mort de Jésus suscite la possibilité d'une nouvelle relation avec Dieu » (ibid.). « De façon remarquable, l'auteur implicite s'attache [aussi] à lier à la mort de Jésus les médiations qui permettent l'avenir de la révélation durant l'époque postpascale » (ibid.) : l'eschatologie, la pneumatologie et l'ecclésiologie sont ancrées dans le départ du Fils vers le Père. Enfin, « l'existence pascale du disciple est, elle aussi, pensée en fonction de la mort de Jésus » (p. 311). L'A. ose alors affirmer que « l'auteur implicite qui s'exprime dans le discours d'adieu est l'un des théologiens chrétiens primitifs qui a pensé avec le plus de radicalité et de créativité le scandale que représentait la mort violente du Nazaréen » (ibid.).
Ces quelques points, glanés dans ce recueil d'articles, devraient permettre de pressentir sa grande richesse, tant du point de vue herméneutique que du point de vue exégétique et théologique. Il est rare de trouver un A. qui ait creusé et approfondi le corpus johannique avec des regards croisés aussi variés et complémentaires. À travers sa recherche, l'A. manifeste même comment allier, dans une fécondité réciproque, sans confusion ni séparation, la rigueur « scientifique » et le regard de foi. - P.-M. Jerumanis

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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