Le devoir de morale. Le rôle de l'Église catholique dans l'Holocauste et son devoir non rempli de repentance, tr. W.O. Desmond

D.J. Goldhagen
Historia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
Chaque année apporte son lot d'ouvrages qui se penchent sur l'attitude des catholiques face à l'un des plus grands drames de l'histoire de l'humanité, la «Shoah». Chacun, à sa manière, respectant plus ou moins sérieusement les règles du métier de l'historien, prononce un verdict plus ou moins favorable à l'Église. S'étant déjà fait remarquer entre autres par son livre Hitler's Willing Executioners: Ordinary Germans and the Holocaust (New York, 1996), traduit en français sous le titre Les Bourreaux volontaires de Hitler: les Allemands ordinaires et l'Holocauste, (Paris, 1997), D.J.G. poursuit ici son enquête du point de vue plus spécifique du catholicisme et nous donne un livre qui entend juger. Et le sous-titre est suffisamment explicite, en anglais The Role of the Catholic Church in the Holocaust and its Unfulfilled Duty, comme en français, pour que le lecteur soit d'entrée de jeu averti du contenu de ce jugement.
Que l'A. en soit assuré: j'ai lu son livre avec toute l'attention requise par la gravité de son sujet. Mais je dois bien avouer qu'il me paraît extrêmement ardu tant de faire une présentation objective et nuancée du livre que de l'apprécier avec sérénité. Encore dois-je ajouter que la difficulté est renforcée par une traduction qui paraît parfois peu élégante, de même que par une prolixité du propos qui risque peut-être de décourager le lecteur.
Comment «résumer» l'ouvrage? Je me risquerai à la formulation suivante. «Avant, pendant, après la Shoah, l'Église catholique, dans son immense majorité, à commencer par Pie XII, a tout faux, ayant en définitive suscité et approuvé l'antisémitisme, y compris dans sa forme la plus cruelle déployée par le nazisme». Cela choque d'autant plus l'A. qu'il reconnaît dans le catholicisme une admirable religion d'amour. Et l'A. de réclamer avec vigueur une repentance radicale, surtout «morale», qui irait jusqu'à supprimer des textes du Nouveau Testament tous les passages jugés par lui comme antisémites.
Là où l'ouvrage me semble poser véritablement question, c'est quant à sa formalité, qui rejaillit inévitablement sur le fond. Loin de moi de mettre en doute le désir de l'A. de débrouiller une question historique. Mais à prendre son livre au sérieux, on en arrive à se demander si ce n'est pas avant tout un «cri», un «immense cri de souffrance» face à tous les témoignages retenus par lui comme étant des actes d'hostilité des catholiques à l'égard des Juifs, qui l'amène à un verdict de culpabilité, sans appel. Si je n'entends nullement minimiser les fautes qui auraient été commises par des catholiques - clercs et laïcs - à l'encontre des Juifs, je me demande toutefois si l'A. a une perception suffisamment aiguisée de ce que le problème juif n'entrait pas dans les préoccupations majeures de l'Église du temps.
L'ouvrage n'en est pas moins intéressant à différents titres. Comme bien d'autres travaux sur le sujet, comme d'ailleurs sur tout ce qui concerne les relations entre le judaïsme et le catholicisme (cf. p. ex. J. Dujardin, L'Église catholique et le peuple juif, dans NRT 126 [2004] 278), il laisse percevoir que l'univers juif ne se considère vraiment pas comme les autres. Le comprendre n'est pas chose aisée. Et il lui est sans doute tout aussi difficile de comprendre d'autres univers, et même d'entrevoir qu'il a un «frère cadet».
D'autre part, en rendant compte de la biographie de Pie XII écrite récemment par Philippe Chenaux (NRT 126 [2004] 286), il me paraissait qu'il était important de souligner combien le désir du Saint-Siège de béatifier Pie XII me semblait délicat, à raison de l'impact qu'un tel geste pourrait avoir sur un grand nombre de personnes extérieures au catholicisme. Je ne sais quelle audience aura le livre de D.J.G., mais il y a fort à parier qu'elle sera grande et qu'elle renforcera une hostilité certaine à l'égard du Pontife et de l'Église catholique en général, et que dès lors la béatification envisagée risquera de scandaliser. Sans vouloir que l'Église soumette son jugement à la seule pression extérieure, on peut se demander une fois encore si, dans le cas concret, le «silence» ne serait pas de rigueur.
Pour terminer sur une note plus proprement historique, un tel livre remet en lumière la nécessité d'ouvrir au maximum les archives qui ont trait au sujet. Mais bien entendu, il est tout aussi nécessaire que toutes les parties pratiquent une même ouverture. Et surtout qu'on ait de la patience. Nul ne sait à quelle génération il reviendra de comprendre au mieux. - B. Joassart sj

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80