Sur quoi repose le lien social? Dans son «Essai sur le don», Marcel Mauss avait montré que la forme originaire des relations se fonde dans la circularité du don et du contre-don. Ceci ne valant pas seulement pour les sociétés archaïques mais pour toute forme de vie humaine en commun.
Cependant l'oeuvre de Mauss a fait l'objet d'une critique parce qu'elle ne rend pas suffisamment compte de l'acte qui consiste à «faire un don». En effet ne faut-il pas faire droit à un type de relation qui échappe à l'ordre d'un échange réglé, toujours prisonnier de ce que Levinas appelle la «mêmeté»?
Les deux conférences réunies dans ce livre, issues des journées d'étude organisées par la Caritas italienne, entendent répondre à cette question.Le P. Paul Gilbert montre, en suivant les réflexions d'Aristote, que l'amitié est une des figures de ce don sans contre-don. Dans l'amitié selon la vertu, l'on sort de la réciprocité attendue. La relation d'amitié est asymétrique. On sait que cette idée d'asymétrie a particulièrement été thématisée par Levinas au travers de la formule de «la relation sans relation» où l'autre, par l'infini de son visage, me rend en quelque sorte «otage» et m'intime l'ordre de le respecter.
Mais c'est sans doute J. Derrida qui a le plus radicalement «déconstruit» la réflexion de Mauss et ce qu'elle doit encore à une vision économiste. Pour lui, le don n'est jamais un échange. Il sort du cercle, étant aussi bien anéconomique qu'alogique. Le don pur ne devrait même pas apparaître comme un don, il repose sur un «oubli absolu».La conférence de S. Petrosino s'appuie à la fois sur la perspective de Derrida tout en la corrigeant. Pour analyser la logique du don, il propose d'étudier une autre figure et expérience, celle de la paternité. Dans celle-ci, la demande du père n'est pas la reconnaissance pour soi-même mais que le fils puisse s'ouvrir à toute la vie. En outre le père «reçoit» du fils de se découvrir fils à son tour, toujours-déjà. Il y a un retour au donateur mais sans restitution. Cela implique, de part et d'autre, une disposition qui ne relève plus de l'ordre du recevoir mais de l'accueillir.
Ces deux conférences, aux analyses profondes et fines, montrent bien où s'enracine l'espace de la gratuité. Elles sont complétées par une bibliographie établie par C. Fumagalli.
Peut-être trop centrées sur l'intersubjectivité sans développer l'aspect sociétaire, elles devraient être complétées par une analyse du lien social et sa condition dans nos sociétés dites post-modernes. - H. Thomas, O.S.B.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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