Le paradoxe du désir de Dieu. Étude sur le rapport de l'homme à Dieu selon Henri de Lubac
V. Franco GomesTeología - reviewer : Jean Burton s.j.
L'exposition de celle-ci, dans une première partie historique, occupe 231 pages! Un livre en soi. Elle sera utile à tout étudiant novice en théologie et soucieux de prendre un premier contact avec la méthode théologique du Père de Lubac. L'A. expose amplement le «système abstrait de la nature pure», d'une scolastique crispée sur une interprétation biaisée de l'Aquinate et échouant dans sa louable tentative de préserver la gratuité de la grâce contre tout naturisme (Baius et Jansénius).
La position de Lubac, développée avec abondance de citations, se découvre comme cette pensée paradoxale respectueuse du mystère concret, historique de l'homme. Pourtant, l'aspiration inamissible dont il est marqué ne s'apaise que dans le mouvement de sa conversion (l'homme concret est en effet «néant» et pécheur) et de sa transformation par la seule présence d'un Don absolument inexigible accordé gracieusement par un Dieu dont le Mystère se révèle «toujours plus grand» et sans cesse «au-delà». Cette longue première partie a évidemment le mérite de faire ressortir les avancées de la pensée de L en fidélité à la grande tradition authentique de l'Église fidèle dans son accueil de la Révélation en Jésus-Christ.
Suivent ensuite quelque 222 pages réexposant pour eux-mêmes les thèmes rencontrés dans leur diachronie génétique. Ici est honoré le titre de la thèse de notre A. dans une succession de chapitres relativement autonomes (un paragraphe d'exposition du thème, son illustration, un paragraphe de reprise synthétique) très pédagogiques mais n'évitant pas les redites. Il s'agira donc de décliner sur tous les tons la position théologique de L. qui est en même temps une démarche de la pensée et ce qui est en question: l'affirmation du Mystère (chap. V), le paradoxe du désir de Dieu (chap. VI), l'intelligence de la foi et la révélation du paradoxe de l'homme avec des pages suggestives sur le paradoxe chez Pascal et Kierkegaard ainsi que sur sa place, bien différente, chez Barth et Tillich (chap. VII).
L'intérêt certains de ces pages est de mettre en valeur la pertinence de la position lubacienne dans le discernement requis par tous les aspects, eux-mêmes toujours paradoxaux, de la vie humaine, de sa vie spirituelle et de son engagement chrétien dans l'Église et dans son ouverture au monde (un point délicat dans la réception de Vatican II). Sa fécondité est encore exemplifiée dans l'étude du rapport paradoxal entre mystique(s) et mystère; du rapport lettre-esprit et, corrélativement, du rapport entre les deux Testaments dans l'Histoire du Salut (Histoire et Esprit); et enfin concernant le lien entre l'évolution cosmique et le principe christique dans l'oeuvre du Père Teilhard de Chardin (Ch.VIII). Restait à indiquer encore l'actualité et la pertinence de l'apport, vaste, pénétrant et libérateur qu'a constitué au coeur de notre XXe siècle le travail de Lubac dans le domaine de la théologie fondamentale où la centralité du thème du désir de Dieu (de sa création à l'image et à la ressemblance du Dieu trine) se révèle toujours fécond.
Enfin, des amorces de débats hélas trop succinctes sont évoquées: avec E. Jüngel, avec les théologies des religions (J. Dupuis), avec les théologies de la libération (G. Gutiérrez). Les deux conclusions réaffirment la place centrale, indépassable et féconde, du paradoxe du désir de Dieu dans la vie de la foi et dans la découverte inlassable du double mystère de Dieu et de l'homme dans la Révélation de l'Amour offert et partagé. Un livre de disciple qui a mis en oeuvre une vaste familiarité avec la pensée du P. de Lubac et qui donnera lieu, on peut l'espérer, à des chantiers plus pointus (seulement nommés) que le nouveau docteur en théologie proposera à ses étudiants. - J. Burton sj