Encore une substantielle étude sur Jésus. Il ne s'agit plus ici
d'une biographie, ou du «Jésus de l'histoire», ni d'une exégèse des
titres de Jésus, mais bien de ce fait surprenant qui pose question
aux théologiens comme aux historiens de l'Église: comment est-on
passé des récits concernant la vie terrestre de Jésus de Nazareth
au culte qui le reconnaît comme envoyé de Dieu et sauveur des
hommes? L'A. qui s'est attelé à résoudre cette énigme est un
spécialiste des pratiques religieuses des premières communautés
chrétiennes; en 1988, il publiait One God, One Lord: Early
Christian Devotion and Ancient Jewish Monotheism (Philadelphia,
Fortress Press). Ce nouvel ouvrage, paru en anglais chez Eerdmans
en 2003, analyse les «croyances et pratiques religieuses qui ont
constitué le culte de Jésus comme personnage divin dans le
christianisme du premier âge» (p. 9). Sa traduction française
constitue un véritable exploit.Conduit avec probité et respect de
ses sources, ce remarquable volume se déroule avec rigueur et
précision; le propos en est présenté dans l'introduction. Tout de
suite, l'A. aborde le monothéisme juif et son influence sur le
culte dévolu au Christ, puis examine le judaïsme de Paul et celui
qui régnait en Judée au ie siècle, avec une attention particulière
à la Source Q. Il poursuit son travail en analysant
l'interprétation synoptique de Jésus dans les évangiles, puis dans
les écrits johanniques et quelques apocryphes. Ensuite, il parcourt
les écrits du iie siècle et compare l'épître aux Hébreux et les
textes pauliniens tardifs aux écrits valentiniens (gnostiques)
comme l'évangile de vérité, les manuscrits de Nag Hammadi ou
Marcion. Un chapitre final fort éclairant présente la «dévotion
proto-orthodoxe», enracinée dans l'AT, compte tenu de l'Apocalypse
de Jean, du Pasteur d'Hermas, des Odes de Salomon et de la Didachè
avec les thèmes doctrinaux qui s'en dégagent. Malgré la richesse et
la variété des approches réclamées par les analyses minutieuses de
l'A., la lecture demeure passionnante et largement abordable,
quoique nécessairement soutenue. En fait, l'étude couvre les années
30 à 170 de l'ère chrétienne et s'arrête avec Justin. On aurait
grande envie de continuer la route; mais l'A. nous avertit: «La
dévotion pratiquée au premier âge du christianisme eut un rôle
éminemment fondateur pour les développements doctrinaux. Certes,
les croyances ou au moins les convictions fondamentales existaient
sûrement depuis le départ; mais la lumière de la pratique
dévotionnelle du premier âge chrétien eut une influence forte et
décisive pour impulser des formulations doctrinales plus affinées
et leur donner forme.» (p. 677) Une postface demandée par l'éditeur
à l'A. fait brièvement le point sur l'histoire du livre depuis sa
parution originale en 2003: plusieurs colloques ou sessions
(Salamanque, Berlin, Zurich, Indiana, Philadelphie) ont été
organisées sur le thème touché, suscitant le débat auquel les
revues ont fait écho, comme aussi les ouvrages de J.D.G. Dunn ou de
A. et J.J. Collins. L'édition originale a été épuisée en deux ans
et une édition de poche a vu le jour, signalant l'importance et le
succès de l'ouvrage.
Traduit en français, ce précieux livre deviendra vite une référence
historique de choix tant pour les théologiens que pour les
historiens, sans compter la bibliographie de 50 pages qui demeurera
longtemps une source d'information de première main. Merci aux
éditeurs d'avoir mené à bien le rude et patient travail de
traduction. - J. Radermakers sj