Les Chaires ennemies. L'Église, l'État et la liberté d'enseignement secondaire dans la France des notables (1830-1850)

Sylvain Milbach
Historia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
Cet ouvrage en dit plus que ne le laisse entendre le titre - et ce n'est pas une critique. Le fil conducteur est bien le combat pour la liberté de l'enseignement secondaire en France qui devait se conclure par la Loi Falloux. L'affaire était particulièrement complexe car, dans un camp comme dans l'autre, c.-à-d. du côté des autorités politiques comme de celui des catholiques, tous ne marchaient pas d'un même pas dans leur appréciation de l'Univ. de France, critiquée tout autant par ses membres que par les catholiques, quant aux principes hérités de gouvernements suivis depuis la Révolution jusqu'à la Monarchie de Juillet, ni sur la stratégie à adopter.
Mais il y a beaucoup plus dans cet ouvrage, et la 4e de couverture l'indique fort heureusement. En réalité, l'A. s'est penché, de manière très analytique, en s'aidant d'une documentation fort large (écrits de toute sorte, y compris des pamphlets, discours politiques ou autres, journaux ou revues comme Le CorrespondantL'Univers, etc.) sur la rencontre du libéralisme et du catholicisme, et la naissance du catholicisme libéral. Ici également, tous les protagonistes (il serait par trop fastidieux de les citer d'autant plus qu'ils sont bien connus, comme Montalembert, Dupanloup et autres), de quelque bord qu'ils fussent, n'étaient pas tous unanimes ni quant aux principes ni quant à leur application.
Ce qu'il me semble toutefois le plus important de signaler ici est la mise en évidence de la question du langage et de son contenu dans chaque parti, qui me paraît susciter les réflexions suivantes. Partons de quelques lignes de Dupanloup qui, dans De la pacification religieuse (1845), écrivait : « Moi, homme du sanctuaire, je parle un langage libéral, et vous, hommes de la révolution, vous parlez un langage religieux ! Je parle votre langue, et vous entendez la mienne ; j'invoque vos principes, et vous rendez hommage aux nôtres » (cité p. 475). Autrement dit, les libéraux, souvent issus du milieu chrétien, ou à tout le moins ayant baigné dans une société où le catholicisme était dominant, usaient d'un langage fort semblable à celui du catholicisme, et nombre de penseurs catholiques estimaient que le langage libéral correspondait au leur. Un exemple : le catholique entendant le mot « liberté » si cher au libéral ne pouvait que résonner positivement. Mais les deux y mettaient-ils un identique contenu ? Autrement dit encore, l'ADN - si on me permet de recourir à une comparaison relevant de la biologie - des langages libéral et chrétien était sans nul doute très proche. Mais combien d'espèces animales n'ont-elles pas un génome fort proche de celui de l'homme ? Et pourtant, la différence est nette. On peut dès lors comprendre que Rome ait parfois réagi, avec sans doute une rigueur excessive et pas spécialement de façon constructive, face au libéralisme pur et dur, tout autant qu'à l'égard des catholiques sympathiques à ce libéralisme. Ce qui ne veut pas dire non plus que le catholicisme ne pouvait pas tirer quelque bon parti de réalités libérales. Sans doute la difficulté était-elle d'autant plus grande en France que le tempérament général (qu'on me pardonne cette appréciation) était fort porté à couper les idées au plus ras. De ce point de vue, le cas belge, d'ailleurs évoqué par l'A., donna sans doute une meilleure réussite en fait de catholicisme libéral : rien de plus libéral que la constitution de 1831 ; Rome l'accueillit fort mal, mais, en définitive, le « compromis », désigné par le terme « unionisme » (à ne pas confondre avec son homonyme en matière d'oecuménisme), fut finalement plus aisé dans le Royaume, sans pour autant que chacun renonçât à ses propres principes ; le catholicisme en profita largement, même s'il y eut parfois de sérieux affrontements, étant entendu en outre que le catholicisme belge n'était pas victime du clivage entre gallicans et ultramontains, et que, tout en respectant Rome, il savait se montrer indépendant, comme d'ailleurs à l'égard du pouvoir belge.
Une question : n'aurait-il pas été utile d'au moins appeler à la barre un Benjamin Constant, - certes mort en 1830 -, l'un des grands inspirateurs du libéralisme, et un peu plus abondamment un Tocqueville ? Voilà en tout cas un livre qu'on aura grand plaisir à lire. - B. Joassart s.j.

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