Lévinas chemin ou obstacle pour la théologie chrétienne? L'hospitalité des intelligences

Fred Poché
Filosofía - reviewer : Hubert Jacobs
E. Lévinas, déclare l'A., «représente l'une des figures les plus riches de la pensée contemporaine». En moins de quatre-vingt pages, ce petit livre répond, brièvement mais de manière pénétrante, à la question: comment penser avec pareil philosophe? Trois points sont considérés 1. Montrer l'ambivalence du rapport que Lévinas entretient à la théologie. 2. Montrer que la philosophie lévinassienne ne se réduit pas à une philosophie de l'autre, de l'extériorité, mais se présente comme une authentique défense de la subjectivité. 3. Soulever quelques interrogations sur son utilisation dans le cadre de la théologie chrétienne.
L'A. insiste avec raison, à la suite de Lévinas lui-même, sur le fait qu'il s'agit d'une pensée qui entend demeurer sur le plan strictement philosophique. Comme l'écrivait Y. Labbé, la religion, chez Lévinas, n'apparaît en philosophie que comme une métaphore de l'éthique. Certes pour lui, la Bible est essentielle à la pensée mais elle donne à penser sans aucunement imposer une philosophie ferme et définitive.
L'A. rapporte aussi cette confidence du philosophe: «Je dis du visage du prochain ce que le chrétien dit probablement du visage du Christ». Des rapprochements sont donc possibles entre la pensée de Lévinas et le christianisme. Pourtant, pour le penseur juif, le nom du Messie ne ressemble en rien à celui qui est conféré à Jésus par les chrétiens. Pour Lévinas, le Messie, c'est Moi. Être moi, c'est être Messie. C'est répondre avant que l'autre n'appelle. Être libre, pour le Moi, c'est entendre une vocation à laquelle il est seul à pouvoir répondre. Pourtant, si grand que soit l'intérêt de telles analyses pour la réflexion chrétienne, celle-ci devra toujours les penser jusqu'à l'exigence d'une solidarité effective.
L'insistance, enfin, de Lévinas sur le vide déployé dans le «dire Dieu», qui séduisit A. Gesché, paraît insuffisante à l'A. quand il s'agit du Christ. Penser Jésus comme «pure disponibilité», n'est-ce pas s'interdire d'accéder à ce qui fait le «plein» de son humanité?
On le voit, l'A. se joint à tous les chrétiens qui saluent dans la pensée d'E. Lévinas une philosophie étonnamment riche et féconde. Il met toutefois en garde contre ses limites, face à l'ampleur de la pensée chrétienne. Dieu ne s'est pas révélé dans les seuls registres du prescriptif et du narratif. Il l'a fait également dans ceux du prophétique, du sapientiel, de l'hymnique, etc. Lévinas invite le croyant à penser du côté du «faire» et de son souci d'autrui; mais la foi chrétienne ne se réduit pas à une morale: elle s'inscrit bien plus largement dans «un chemin de libération intégrale». - H. Jacobs sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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