Luther et Mahomet. Le protestantisme d’Europe occidentale devant l’Islam. xvie-xviiie siècle

Pierre-Olivier Léchot
Religiones - reviewer : Anne-Marie Petitjean a.s.

Docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut protestant de théologie de Paris, Pierre-Olivier Léchot nous offre une enquête aussi fouillée que passionnante sur les rapports entretenus par les protestants avec l’Islam.

La première partie se penche sur le temps des Réformes, un temps notamment marqué par la peur de l’Islam considéré comme un adversaire (« antichrist charnel » mais plus vertueux que le pape, figure, lui, de l’« antichrist spirituel »). C’est un adversaire dont Dieu se sert pour châtier la chrétienté pécheresse, mais un adversaire connu et à connaître via son texte fondateur, le Coran, même si, jusqu’en 1542, Luther n’en connaît que des extraits. Son jugement dépréciatif de l’Islam est un jugement porté sur ces textes. Il en va de la défense de l’excellence de la Bible et de la divinité du Christ. Il ouvre ainsi la voie au souci de se référer au texte coranique. Dès lors, si certains dénoncent les hérésies d’une tentative échouée de réforme du christianisme (Bibliander et ceux qui entendent distinguer), d’autres y lisent un premier mouvement de réforme dénonçant la corruption du christianisme (Servet et ceux qui soulignent aussi ce qui est commun ou devrait l’être). À l’intérêt philologique se joint donc de diverses manières la quête d’identité. Tous se rejoignent en ce qu’ils estiment fondamental de connaître ce Coran qui les fascine et dont paraît alors une édition latine.

Le temps des confessions, abordé en seconde partie, voit notamment le développement de la passion érudite des théologiens, notamment hollandais, pour l’arabe. On étudie le Coran en vue de mieux interpréter l’hébreu biblique, alors considéré comme une langue mère dont l’arabe dériverait. Nous sommes à l’aurore du comparatisme.

La troisième partie, quant à elle, enquête sur l’Islam au temps des Lumières, époque désormais marquée au coin de la rencontre et de l’échange, à commencer par ce que vécurent bien des protestants embarqués avec des Turcs sur les galères françaises. D’aucuns soulignent la qualité humaine de ceux qu’un Luther en croyait dépourvus. À la fin du xviiie demeurent les deux types d’intérêt remarqués dès la fin du xvie, toutefois bien pondérés : Lessing se laisse interroger sur le cœur constitutif du protestantisme, mais en voulant sortir de la logique confessionnelle au profit de la rencontre des religions. Herder, lui, poursuit la ligne philologique, mais aborde aussi Christianisme et Islam comme des produits culturels, l’un façonné par la raison, l’autre par la poésie. D’une manière générale, l’intérêt pour le commun n’a pas disparu mais, désormais, la différence intéresse. Avec Herder, nous sommes à l’aube de l’orientalisme, curiosité guettée par le développement d’un sentiment de supériorité européenne. L’auteur invite donc, en conclusion, à méditer les vues toujours actuelles du Nathan le Sage de Lessing.

Les conclusions respectives de chaque partie ainsi que la conclusion générale devraient au moins être lues par celles et ceux que l’enquête fouillée risquerait de décourager quand bien même elle est de fort grand intérêt pour une meilleure connaissance de ces strates historiques et, surtout, pour la connaissance (notamment historique, mais pas uniquement) du protestantisme et son apport à notre culture. — A.-M. Petitjean

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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