Mémoire chrétienne et expérience de Dieu. Le sens des dogmes aujourd’hui

Michel Fédou s.j.
Teología - reviewer : André Haquin

Michel Fédou s.j., récent prix Ratzinger, est professeur au Centre Sèvres (Paris) où il enseigne la patristique et la théologie dogmatique. Il est aussi membre du Groupe des Dombes et du Comité mixte catholiques-orthodoxes de France. Son ouvrage ne peut donc oublier la dimension œcuménique de la question dogmatique. Les deux parties du travail sont de longueur égale. La première Mémoire chrétienne et intelligence de la foi (p. 17-193), véritable « Discours de la méthode », est sans doute la plus neuve (L’accès à la foi ; La mémoire des Pères ; La mémoire des Écritures ; Qu’est-ce qu’un dogme ? ; L’interprétation des dogmes).

M.F. constate avec réalisme que dans la modernité et la situation de sécularisation, la mémoire religieuse est « en miettes ». Il ne verse toutefois pas dans le fatalisme, car de nombreuses traces religieuses subsistent dans le paysage contemporain ainsi que des témoins, grâce auxquels une reconstruction de cette mémoire est possible. Adossée à l’expérience personnelle, la mémoire religieuse peut ramener à la foi (cf. Les Confessions d’Augustin) ou conduire à la conversion (cf. Justin de Rome).

Le concept liturgique de « mémorial » ou d’« anamnèse » est central aujourd’hui dans la liturgie et l’œcuménisme. Il se vérifie également au plan dogmatique, les doctrines et les dogmes étant fondés sur la mémoire des événements du salut et principalement sur le mystère du Christ Sauveur et sa Parole de vie. De même, le binôme « recevoir-transmettre » (1 Co 11,23 : paradosis) concerne à la fois la Cène et le trésor de la foi.

La seconde partie Genèse et signification des dogmes (p. 195-376) ne se contente pas de présenter le point d’aboutissement de la réflexion, mais esquisse le lent mûrissement des doctrines au cours des siècles (Dieu le Père, le Fils, l’Esprit ; Création, péché, salut ; La vie sacramentelle ; L’Église « une, sainte, catholique et apostolique » ; La Vierge Marie). Selon Vatican ii, il faut tenir compte de la hiérarchie des vérités de foi, comme le fait l’A. en commençant par la Trinité. Il rappelle aussi les paroles de Jean xxiii inaugurant le Concile : « Autre chose est le dépôt même ou les vérités de foi, autre chose la façon selon laquelle ces vérités sont exprimées, à condition toutefois d’en sauvegarder le sens et la signification. » Il s’agit pour chaque époque de réinterpréter les données de la foi, notamment en fonction des cultures et des situations.

Autre est la situation de chrétienté et autre la situation actuelle, marquée par le pluralisme religieux, la sécularisation, l’athéisme, l’indifférence et l’ignorance. Ce n’est pas la première fois que l’A. prend à bras le corps la question du sens des dogmes pour en dégager les vrais enjeux (cf. Les dogmes, Bruxelles, Fidélité, 2020, 128 p., dans NRT 143, 2021, p. 339-340). L’interprétation des vérités de la foi a notamment comme objectif ultime de favoriser autant que possible la rencontre avec le Seigneur, de même qu’elle s’appuie sur les sources de la Révélation et sur le témoignage des disciples les plus authentiques.

Il n’est pas possible de présenter en détail les riches ouvertures proposées en finale de ce maître-ouvrage (p. 377-386). Quatre pistes méritent toutefois d’être évoquées.

1. Le caractère « libérateur » du dogme chrétien. La hiérarchie des vérités de la foi étant respectée, en rapport avec la Parole de Dieu, on peut affirmer que le dogme est libérateur. Ainsi la doctrine de l’Incarnation libère d’un Dieu conçu comme absolu, étranger à notre histoire. Le dogme sur le salut libère l’homme de l’illusion qu’il peut mériter le salut par ses propres efforts et d’une autre illusion qui, face au don de Dieu, entraîne à la passivité ou à la facilité.

2. Les multiples dialogues œcuméniques. Le dialogue a déjà produit de beaux fruits, notamment en christologie, avec les Églises préchalcédoniennes et en sotériologie, avec l’Église luthérienne, à propos de la justification par la foi. Mais les chantiers actuels ne manquent pas, notamment dans le domaine des sacrements, des ministères et de l’ecclésiologie.

3. Le respect des consciences s’impose (Vatican ii). Dans un monde marqué par le pluralisme religieux et l’indifférence, l’imposition des vérités n’aurait aucun sens. Deux tâches sont à entreprendre : le dialogue doctrinal et la coopération fraternelle en faveur de la paix, du développement des peuples et du respect de la terre. Une telle coopération, notamment avec l’Islam, créerait un climat nouveau et serait porteuse d’espérance.

4. La relation entre dogme et respect de la création. Si le péché concerne Dieu et autrui, sur le plan individuel ou collectif, il inclut aussi le cosmos. L’exploitation sauvage de la terre déshonore le Créateur. La théologie des sacrements est particulièrement concernée, notamment par les matières eucharistiques (pain, vin, eau) et la place du corps lié à la totalité du cosmos. La réflexion sur la résurrection et l’eschatologie (« Cieux nouveaux, terre nouvelle »), implique le don de Dieu et par conséquent l’avenir de la terre. À tous ces niveaux, l’« anamnèse » qui est au cœur de la dogmatique chrétienne rappelle le don de Dieu, son accueil au présent, et son accomplissement final. Elle enrichit notre connaissance des intentions de Dieu et nourrit notre expérience de croyants.

Les derniers mots du livre pourront servir de point final à cette présentation : « La mémoire des dogmes s’inscrit en fin de compte dans l’anamnèse de la communauté chrétienne qui se rappelle l’événement fondateur de la foi, qui vit aujourd’hui même de ce souvenir et qui y puise la force de l’espérance – dans l’attente du jour où la connaissance elle-même sera abolie et où il sera donné de voir Dieu face à face (1 Co 13,8 et 12) » (p. 386). — A.H.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80