Métamorphose de la finitude. Essai philosophique sur la naissance et la résurrection

Emmanuel Falque
Filosofía - reviewer : Jean Radermakers s.j.
J'ai été fasciné par le précédent livre de l'A., analysant l'expérience du Christ à l'agonie, où se vit et s'élucide toute souffrance humaine avec son angoisse et son lâcher tout dans la mort (Le passeur de Gethsémani; cf. N.R.T. 122 [2000] 661). Je le suis encore par ce nouvel ouvrage, qui s'essaie à traverser l'obstacle de la mort pour découvrir, par une analyse aussi rigoureuse - à la fois philosophique et théologique - comment la résurrection du Christ donne vie à nos corps mortels pour toujours. Le chemin qu'il nous propose est ardu et difficile à consentir. Ardu, parce qu'il nous mène à réfléchir très loin, ou très profond. Difficile à consentir, parce qu'il met en déroute notre imaginaire autant que nos prétendues certitudes, comme aussi nos habitudes de penser, pour retourner à la vérité illuminatrice de la révélation médiatisée par l'Écriture.
Partant de l'admirable retable du «jugement dernier» à l'hospice de Beaune, il nous appelle à parcourir avec lui la germination des ressuscités, déjà évoquée par Jésus en Jn 12,24 et par Paul en 1 Co 15,37-38. Il s'agit de la «métamorphose théologique de la structure philosophique du monde» (p. 14): «Peut-être pourrait-il se faire en effet que notre propre résurrection ne soit rien d'autre que le relèvement et la transfiguration de notre manière d'être au monde par notre corps ici-bas - par quoi nous vivons et exprimons le plus intime de nous-mêmes, tant nous sommes d'abord charnels» (id.). Être transformé, qu'est-ce à dire? Passant par l'entretien de Jésus avec Nicodème en Jn 3, l'A. nous fait réfléchir à notre naissance: naître, c'est aller vers la mort comme une entrée dans la vie. Buter sur notre finitude, c'est accepter d'en prendre conscience dans un surcroît qui la dépasse. Aussi nous interroge-t-il sur cette finitude, en passant par le goulot de l'athéisme qui atteint «l'homme tout court». Et il en appelle à Jean-Paul II invitant les croyants à trouver une «grammaire commune» avec les athées de notre époque: prendre au sérieux l'athéisme comme un a priori de l'existence. Considération de l'immanence et de la temporalité acceptant l'hypothèse d'une humanité «sans Dieu dans le monde» (Ep 2,12). Aller à la racine du «pourquoi l'existence» suppose qu'un dynamisme transformateur nous y pousse. C'est aller vers une métamorphose, non pas dans le sens nietzschéen d'une «sur-résurrection» du corps qui consisterait à se mettre debout par soi-même, sorte de fuite hors du monde, mais par l'incorporation des corps en un seul Corps (Ga 3,28). Le débat avec Nietzsche amène à relire le sens que Paul donne à la corporéité pour penser la signification chrétienne de la métamorphose comme relation du corps à Dieu.
Ayant montré que nous n'avons de Dieu qu'une expérience humaine (1ère partie: précis de la finitude), puis ayant confronté la conception de Paul à la négation nietzschéenne, l'A. entreprend d'indiquer comment le Fils de l'homme assume, pour la transformer, cette finitude (2e partie: la métamorphose chrétienne nommée résurrection). Comment se fait-il que «la résurrection change tout»? Et pourquoi le Père, opérant par la force de l'Esprit, transforme-t-il notre finitude dans le Christ qui la porte en lui (p. 157), si ce n'est afin de transmuer notre rapport au monde et au temps. Pour Paul, notre corps demeure tout en devenant corps glorieux, non comme un substrat, mais comme corps du Christ, lieu de toutes nos relations dans l'intimité trinitaire.
Cette «épreuve du Père» nous conduit à une 3e partie: l'esquisse d'une phénoménologie de la résurrection. Transformation du monde en capacité sacramentelle, transformation du corps humain par les noces de Dieu avec l'humanité qu'il s'incorpore. Ainsi se transmue le temps en instant d'éternité où s'inaugure la plénitude de la joie. Joie de la naissance au baptême, joie d'exister dans notre monde visité et habité par Dieu, et qui culmine dans la con-naissance de Dieu. Joie de Dieu qui transforme notre souffrance et notre mort, nous mettant en communion avec les saints. Ainsi, croire en «la résurrection de la chair», c'est participer à son effectuation en nous et dans notre monde: actuation de notre assomption au Corps du Christ «La résurrection est ainsi relèvement et métamorphose non pas de notre cadavre (Körper), mais de notre manière d'être au monde et au temps de notre chair (Leib), lieu de « tissage silencieux » et « le plus intime » ici-bas (naissance, sexualité, mort) des uns avec les autres» (p. 227). Et le retrait du corps - comme celui de Jésus disparu du tombeau - devient la manifestation de la chair - dans les apparitions du Ressuscité.
La conclusion est à la fois point d'orgue et ouverture. Je puis percevoir Dieu sensiblement en moi dans l'eucharistie et la prière, et attendre la rencontre avec tous ceux qui sont dans le corps de Dieu: «que ma chair fasse corps avec d'autres chairs pour qu'ensemble nous constituions enfin le corps charnel de l'Église promise par Dieu à la fin des temps» (p. 241). Et l'A. de nous annoncer un troisième volet de son oeuvre: l'entrée dans l'eucharistie par l'amour, celui que vivent déjà l'homme et la femme dans ce «grand mystère» du Christ et de l'Église (Ep 5,32). Nous attendons cette suite avec confiance et joie. Merci à l'A. de continuer à nous construire par sa réflexion où s'embrassent philosophie et théologie. - J. Radermakers sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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