Dans un symposium célébrant, à Lyon, le sixième centenaire de
Nicolas de Cues (1401-1464), cardinal philosophe et théologien né à
la jonction du moyen âge et des débuts de l'humanisme, huit
spécialistes de sa pensée ont développé quelques concepts
spécifiquement cusains: concorde, coïncidence des opposés,
conjectures (assertions positives participant dans l'altérité à la
vérité telle qu'elle est). Qu'en retenons-nous? La concorde est le
thème du De pace fidei. Cet ouvrage décrit une vision de la
Jérusalem céleste où des sages de tous pays, s'exprimant en latin,
langue du Verbe, proclament d'une voix unanime l'unique Sagesse,
coïncidant avec la diversité des rites; de retour chez eux, ils
auront à provoquer l'acceptation d'une foi unique, fondation d'une
paix perpétuelle. Cette foi est le fruit d'une recherche toujours
inachevée de la vérité infigurable, qui prend la forme d'une
conjecture. L'équilibre entre la révélation chrétienne et sa
relativisation historique est exprimée par la principe
d'adaptation: Moïse s'est adapté aux coutumes de pensée de son
peuple. Parler de foi, c'est faire abstraction de tout contenu
religieux historiquement conditionné: toute religion est
idolâtrique. L'objection du cardinal à toute objectivation du
langage religieux s'enracine dans la théologie négative. La
coïncidence des opposés (et, en Dieu, la coïncidence des
contradictoires) est particulièrement manifeste dans le De icona.
En Dieu coïncident le temps et l'éternité; pour lui, voir, c'est
voir à la fois la totalité et la singularité; parler, c'est
s'adresser à tous et à chacun en même temps. Il crée éternellement
dans le temps; les créatures, issues de l'éternité, sont par nature
temporelles. Dieu n'est perçu qu'au-delà des contradictoires: la
docte ignorance (entrée dans la ténèbre) doit tenir ensemble la
nécessité métaphysique la plus absolue et l'impossibilité logique
la plus obscure. Nous concluons: exprimant la nécessité de ce qui
est impossible, Dieu appelle l'esprit humain à un dépassement de la
raison par l'intellect, foyer de la conception de la coïncidence.
Les derniers chapitres concernent la connaissance symbolique et les
mathématiques Exposés rigoureux, dont la lecture est ci et là
ardue. - P. Detienne sj