Sainte Dympna et l'inceste. De l'inceste royal au placement familial des insensés.
Bernard ForthommePsicología - reviewer : Jean Burton s.j.
Bien des thèmes que dévoilent les titres de la bibliographie: acédie, folie, expérience de la guérison, excès d'amour, corps ardent… ne me démentiront pas. Au creux obscur, ou faut-il dire en ses marges les plus cruelles, de cette constellation anthropologique (métaphysique et théologique), B.F. ne pouvait pas ne pas rencontrer la «question» de l'inceste. «L'inceste est la forme majeure du repli sur soi, sur la lignée, sur la famille, sur des moeurs personnelles et décadentes, voire une utopie de la réconciliation ou de l'union» (Qu. Debray cité dans une page du site Internet précité). Bien des récits et légendes auraient pu porter la réflexion de l'auteur (et peu d'exemples échappent à son érudition) Mais la figure de la très belle et sainte Dympna (Dymphne) fournit à B.F. un cas exemplaire où conjoindre: folie, inceste, détresse psychique, guérison, hospitalité. Hospitalité encore actuelle associée par ailleurs à un mouvement international de prière confié aux pères franciscains gardiens des lieux.
Émergeant du VIIe siècle celtique, Dympna et l'aventure de sa fuite vertueuse outre Manche (loin du «Roi» son père, veuf, éploré et emporté par sa passion païenne, qui voulait s'unir à elle) ainsi que son martyre en un lieu qui se révéla par la suite lieu d'hospitalité exceptionnel (à Geel, près d'Anvers, et sous son patronage jumelé à celui de son confesseur irlandais Gérebernus lui aussi martyr, les habitants offrent à leur domicile un accueil pour des personnes mentalement ou nerveusement souffrantes ainsi que pour les victimes d'inceste et autres abus sexuels) concentre en elle un faisceau d'éléments propice à l'élaboration théorique de la question étudiée: I. La «lettre» des récits hagiographiques et la mise en reliefs des «motifs» de ces broderies; II. L'inceste («…il trouble la paternité divine qui s'exprime dans les relations corporelles… il rend le corps obscène, car il le force à se dénuder sans qu'il puisse se révéler», p. 108) et l'hospitalité (qui renvoie à «… ils pourront laver, par des aumônes répétées, ce qui a été souillé par la luxure» de l'homélie de Césaire d'Arles à propos des conduites sexuelles déréglées et «la continence qui fait la marque du chrétien», p. 109).
III. La souffrance hospitalière (et la généalogie de la tradition chrétienne de l'«hospital», du rôle des femmes saintes épouses, veuves ou vierges et encore des congrégations et ordres hospitaliers dont les membres y sont thérapeutes à la mesure de leur voeu de chasteté); IV. De l'Hôpital (1826) à la Chambre des malades (XVe s) et V. Le placement familial «civilisateur» et ses mises en question (et «le tournant pharmacologique»). Le dernier paragraphe de l'Épilogue, «la question de la famille et du chez-soi» ouvre, comme le redira la IVe page de couverture, une réflexion sur «l'essence de la famille comme instance critique de la dérégulation mondialisante ou individualiste réactive autant que de la tyrannie médicale et du dirigisme politique».
On le voit les perspectives tant théoriques que sociétales ouvertes par cette étude (passionnante, mais que la surabondance de l'information interdisciplinaire des incises et des notes en bas de page demandent une lecture disciplinée) ne peuvent être qu'évoquées. Rien n'est convenu dans les travaux de Bernard Forthomme, et si l'intuition fulgurante éblouit quelquefois, il ne tient qu'au lecteur de relire et de faire une pause pour lui laisser déployer sa fécondité. - J. Burton sj