Le livre d’André Gounelle, intitulé Théologie du protestantisme, est une mine pour quiconque cherche à se repérer dans un protestantisme aux « multiples visages », qu’il appartienne à cette dénomination chrétienne ou à toute autre. Et cela plus particulièrement s’il se trouve engagé dans le dialogue œcuménique ou s’y intéresse simplement. Dès l’abord, la visée de l’ouvrage est clairement énoncée : « (…) je m’intéresse à ce qu’en d’autres temps on aurait appelé l’“essence” du protestantisme ». L’A. tente donc de « dégager quelques logiques et thèmes qui sous-tendent, traversent et permettent d’éclairer, au moins partiellement, l’ensemble apparemment flou, nébuleux, discordant de la théologie protestante », en étant conscient de la richesse et des limites de son propos.

Les fondements méthodologiques sont d’emblée posés. A. Gounelle exploitera les deux méthodes possibles pour aborder son sujet : la description phénoménologique et la méthode typologique. C’est cette dernière qu’il privilégiera, non sans avoir au préalable exposé les forces et les faiblesses de chacune de ces deux approches. L’ouvrage est structuré en quatre parties. La première, intitulée « Réforme et Protestantisme », précise le champ de la recherche et les différents courants de la réforme – luthérienne, réformée (Zwingli, Calvin), radicale (Müntzer, anabaptistes), anglicane, catholique – en leur émergence historique pour les quatre premiers, lesquels donneront naissance à une pluralité d’Églises « qui perdurent » encore aujourd’hui. On remarquera l’inclusion de la réforme catholique et la mise en perspective des positions protestantes et catholiques qui ponctuera chaque partie de l’ouvrage. Car, écrit son A., « inévitablement, le protestantisme se situe par rapport au catholicisme et se définit en fonction de lui », ce qui « théologiquement et historiquement » distingue « le schisme d’Orient » du « schisme d’Occident ».

Les trois autres parties aborderont trois grandes thématiques : la Bible, la grâce et la foi, puis l’Église, mettant en évidence la manière dont se positionnent les différents courants de la Réforme et le catholicisme par rapport à ces trois pôles fondamentaux qui alimentent les échanges entre les Églises.

En ce qui concerne la Bible qui, sans aucun doute, est au cœur de la Réforme, il n’en demeure pas moins, précise l’A., que « l’autorité donnée à la Bible au sein de protestantisme ne constitue pas une originalité », puisque tous les chrétiens lui reconnaissent une autorité. C’est dans la nouvelle lecture qu’il en fait que le protestantisme se distingue, comme dans son refus de faire de l’Église la seule instance habilitée à l’interpréter. A. Gounelle revient sur le Sola Scriptura avec une subtilité qui évitera aux lecteurs de l’utiliser comme une formule à l’emporte-pièce. D’ailleurs la relation du protestantisme à l’Écriture et à la Tradition diffère selon les courants : luthériens et réformés ne se situent pas comme les radicaux. A. Gounelle ne fait pas l’impasse sur le fait que l’affirmation de la primauté de la Bible sur la Tradition ne va pas sans difficulté eu égard à l’obscurité du texte scripturaire. Il confronte également les discordances entre la Bible et la science, entre la Bible et l’histoire. Le propos est riche et nuancé.

Abordant la question de la grâce et de la foi, l’A. s’applique à lever tout malentendu sur la signification du terme grâce et à préciser les harmoniques du mot foi. A. Gounelle resitue le débat dans son contexte historique : « Selon Luther une opposition radicale structure la foi chrétienne : celle entre le salut par la grâce qu’annonce l’Évangile et le salut par les œuvres qui dominait, selon lui, dans la religiosité de son époque » – avec les conséquences existentielles que cela peut supposer.

Puis la dernière grande partie traite de l’Église et des sacrements, sans faire l’impasse sur les différentes conceptions existantes dans les Églises issues de la Réforme, notant que « Pour la majeure partie du protestantisme (…) l’Église ou, plus précisément la communauté ecclésiale, ne fait pas partie du noyau évangélique et ne se trouve pas au cœur de la foi chrétienne. Elle en est la suite, l’effet, le prolongement, elle vient après et en second lieu. »

Enfin, l’ouvrage se termine par un « envoi » stimulant dans lequel l’A. essaie de cerner « l’esprit du protestantisme » à travers ses diversités, lequel se décline en quatre rubriques : « Dieu seul est Dieu », avec pour conséquence la désacralisation du religieux et la sanctification du profane ; « Je suis devant Dieu » qui souligne le caractère éminemment personnel de la vie croyante ; « Dieu parle dans la Bible », ce qui ouvre à une rencontre ici et maintenant ; « Dieu rend libre » à l’égard de soi et des institutions, d’où un potentiel de créativité ; « Dieu fait surgir du nouveau ». Des propos qui donnent du grain à moudre au lecteur, quelle que soit l’Église à laquelle il se réfère. Ajoutons que la bibliographie offre un riche complément et que l’ensemble du livre est de lecture facile et stimulante.

Rappelons qu’André Gounelle a été professeur à la Faculté de théologie protestante de Montpellier entre de 1971 et 1998 et qu’il s’est intéressé aux théologies nord-américaines : celle de Tillich, celle du Process, celles de la postmodernité. — E.B.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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