Théories de la religion. Diversité des pratiques de recherche, changements des contextes socio-culturels, requêtes réflexives

(éds) Pierre Gisel (éds) Jean-Marc Tétaz
Teología - reviewer : Jacques Scheuer s.j.
«Pourquoi et comment parler de théorie de la religion? Est-ce possible, et si oui en quel sens?» À la variété des traditions religieuses, avec leurs mutations et acculturations, s'ajoute la diversité des disciplines: philologie, histoire, sciences sociales, philosophie, théologie… La problématique d'une définition et d'une théorie du religieux, en tant que champ propre et instance distincte, ainsi que la généalogie des sciences des religions font partie intégrante de notre modernité occidentale. On trouvera dans ce recueil, dont plusieurs textes sont traduits de l'allemand, des éléments pour une théorie de la religion comme reprise critique des sciences du religieux, articulée à une réflexion philosophique pour laquelle Kant demeure une référence majeure. L'entreprise permettrait en outre de mettre au point l'outillage requis pour une théorie du christianisme. N'est-ce pas, en somme, reprendre à nouveaux frais le défi relevé il y a un siècle par E. Troeltsch? Les quatre contributions de la première partie traitent de la notion de religion. S'inspirant de réflexions de Habermas et de Wittgenstein sur l'inconditionné, J.-M. Tétaz propose des «éléments pour une théorie post-métaphysique de la religion» alors que U. Barth défend une approche transcendantale de type kantien. S'inscrivant dans des perspectives théoriques - plutôt que philosophiques - propres aux sciences humaines des religions, M. Stausberg brosse un panorama des «Ritual Studies» tandis que H. Zander s'interroge, en référence à l'oeuvre du sociologue R. Wuthnow, sur le caractère universalisable de la notion américaine de «religion civile». Viennent ensuite sept études autour de théories du religieux et de quelques thèmes relevant des sciences des religions: anthropologie (C. Bernand), phénoménologie (J. Figl), sociologie (V. Krech), psychologie (P.-Y. Brandt), santé et pratiques de guérison (I. Rossi), écart entre le mythe tel que l'entend un M. Eliade et le muthos du monde grec antique (Ph. Borgeaud), pertinence de la classification en religions «primaires»et «secondaires»pour préciser le contraste entre les monothéismes d'Égypte et d'Israël (J. Assmann).
La troisième partie plonge le lecteur dans les débats entre sciences des religions, théologie et philosophie. B. Gladigow suit, depuis les Lumières, la formation et la différenciation progressive de ces trois disciplines, voire de ces trois cultures. I. Dalferth tente de préciser les méthodes et tâches d'une théologie (protestante) des religions: elle ne pourra nouer des relations fructueuses avec les sciences des religions qu'à condition d'honorer sa perspective propre. R. Célis renoue avec le projet d'une philosophie de la religion d'inspiration kantienne qui, tout en évitant de dissoudre le religieux dans l'éthique, permette de dégager une dimension qui excède l'éthique et garantisse l'espace d'une théologie critique. Partant notamment d'E. Voegelin, J.-M. Ferry examine le potentiel critique des religions dans la construction d'un espace éthique et politique européen. Il revient enfin à P. Gisel de recueillir bien des éléments de ce copieux dossier et de définir, à partir d'une mise en perspective historique et notamment de la généalogie moderne des disciplines du religieux, les requêtes et les tâches d'une théorie de la religion et, articulée sur elle, d'une théorie du christianisme. La «généalogie de l'Occident» est ainsi désignée comme un (le?) «lieu de l'exercice théologique aujourd'hui» (384). Il est clair que cet «Occident»déborde les frontières géographiques du monde occidental. Reste à se demander dans quelle mesure cette entreprise indispensable et passionnante est susceptible d'intéresser les adeptes d'autres religions et même les théologiens chrétiens dont l'arbre généalogique parfois bien touffu est planté en d'autres régions du monde. Si le christianisme, après le judaïsme, peut être considéré comme une «contre-religion» marquée par l'excès d'une transcendance qui cependant ne quitte pas le monde, on devra se demander si d'autres civilisations et d'autres traditions religieuses connaissent de semblables ruptures de la totalité et si elles sont aujourd'hui capables, dans le «geste de dépassement» qui leur est propre, de leur donner corps dans l'histoire et la société. À l'heure de la mondialisation, mais aussi de la pluralité des voies religieuses (391), la théologie, la philosophie, voire les sciences des religions seraient-elles plus régionales que jamais? - J. Scheuer, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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