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Les données de l’embryologie contemporaine sur la procréation humaine rendent aujourd’hui indéchiffrable la doctrine de la conception virginale dans sa dimension physiologique, référée à un schéma « agraire ». La réouverture des dossiers biblique et théologique ainsi que l’étude des religions comparées et de la psychanalyse invitent à recentrer les enjeux de la doctrine sur ses implications christologiques et à ne pas établir de rapport de nécessité entre la dimension biologique et la fonction théologique de la doctrine.

Toute la difficulté de la doctrine de la conception virginale — et son intérêt théologique — tient dans cette question posée jadis par les juifs : « Celui-là n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel ? » (Jn 6,42). De cet écart entre l’origine divine du Christ et le commencement de sa vie terrestre sont nés les évangiles de l’enfance, destinés à répondre à l’objection des juifs quant à la parenté véritable de Jésus. Depuis lors, les chrétiens ont confessé que Jésus est né de Marie par la puissance de l’Esprit Saint, sans père biologique. Mais ce qui apparaissait autrefois comme une nécessité pour pouvoir affirmer la divinité du Christ est devenu aujourd’hui, au contraire, source de malaise et de difficulté. Et tandis que les contestations anciennes relevaient des adversaires de l’Église, aujourd’hui, certains chrétiens disent croire en la filiation divine de Jésus non pas à cause de, mais malgré la conception virginale. Pour beaucoup en effet, cet énoncé a fini par rejoindre le lot des articles de foi énigmatiques, vestiges insolites de l’ancienne apologétique, et jugés trop éloignés de la vie des hommes d’aujourd’hui au point que les prédicateurs eux-mêmes en font désormais en chaire un usage des plus modérés.

Or, Jésus peut-il être dit « vrai homme » si, en définitive, il n’eut qu’un seul parent humain1 ? Et l’Église pourrait-elle exiger que la divinité du Christ repose sur un hapax gynécologique auquel, en définitive, ni la biologie, ni la science historique, n’auront désormais plus jamais accès ? Enfin, faut-il proroger dans sa formulation actuelle la doctrine de la conception virginale de Jésus ou celle-ci doit-elle se dissoudre en un mythe des origines, un théologoumène dont la fonction serait purement pédagogique ?

Ce travail2 se donne pour but de rouvrir, en vue d’une mise à jour, les différents dossiers de la question : biblique, dogmatique, historique, mais aussi d’élucider les enjeux nouveaux liés au questionnement de la génétique moderne, de la psychanalyse et des religions comparées.

I Nécessité d’une reformulation

Sinon pour des raisons pastorales, du moins pour des raisons épistémologiques propres à l’articulation entre christologie et sciences contemporaines, une mise à jour de la doctrine s’impose, et ceci, parce que les énoncés traditionnels entendent assumer pleinement la dimension biologique de la doctrine. Après les objections rationalistes et positivistes rejetant la possibilité même des miracles, au delà de la démythologisation des Écritures et de la survalorisation sociale de la sexualité, plusieurs sources nouvelles de difficultés ont été négligées, à commencer par ce qui paraît pourtant le plus évident : la description biologique de la procréation dans les termes actuels des sciences médicales.

Depuis les grecs et les égyptiens jusqu’aux balbutiements de l’anatomie au XVIe siècle, la procréation humaine a été décrite selon le modèle « agraire » de la semence masculine enfouie dans le terreau féminin, un rôle déterminant pour spécifier l’être de l’enfant. Dans cette description, la femme ne participe pas à donner l’être à l’enfant au même titre que l’homme, mais fournit seulement le matériau de base pour constituer le f œtus3. Cette vision des choses remonte à la plus haute antiquité puisque l’on en trouve des traces dans l’Égypte de l’Ancien Empire ainsi qu’en Grèce à l’âge classique, autour notamment de la figure d’Aristote, dont on sait l’influence sur la théologie occidentale.

La vision aristotélicienne distinguant forme et matière, dans ce schéma agraire, c’est le père qui donne forme et âme à l’enfant. Malgré l’influence de la médecine juive et arabe, le modèle aristotélicien restera le modèle dominant pendant près de deux mille ans. Ce n’est véritablement qu’au XXe siècle que les connaissances médicales sur la procréation humaine ont connu une rupture totale par rapport au schéma agraire en proposant un modèle dans lequel les contributions paternelle et maternelle vis-à-vis de l’être nouveau sont très remarquablement symétriques.

Le premier enseignement de l’embryologie moderne est que la notion de semence est inadéquate pour décrire la procréation humaine, car toute cellule du corps est porteuse de la totalité de l’information génétique. Il n’y a pas d’un côté une matière en désordre (le sang menstruel) et de l’autre un « ferment », une présure apportée par le père pour donner ordre et forme à ce chaos. L’antique distinction entre ce qui donne forme et la matière qui prend forme est donc, à la limite, une distinction encore opératoire au niveau cellulaire, mais caduque pour ce qui concerne l’organisme complet. Le second déplacement opéré par la génétique est que les patrimoines génétiques des deux parents contribuent équitablement à l’émergence d’un être nouveau. D’un point de vue génétique, la distinction fécondeur-fécondé perd largement son sens : ce n’est plus le père qui féconde, ni la mère qui féconde, mais les deux parents ensemble qui procréent.

La procréation sexuée présuppose une similitude génétique entre le père et la mère, similitude qui donne lieu à la notion d’espèce, c’est-à-dire l’ensemble des individus susceptibles de se reproduire ensemble. D’un point de vue génétique, est humain l’individu issu de parents humains. Cette définition, qui se réfère à une procréation non médicalement assistée, n’est pas sans difficulté dans le cas de Jésus. Car si Jésus est vrai homme, son génome est un vrai génome humain, unique en son genre mais semblable, dans sa structure, au génome des autres hommes. Il possède donc une partie normalement issue de chaque parent. Si l’on attribue à Marie la partie maternelle du génome du Christ, la question est ici de savoir d’où provient la partie normalement issue du père4. Dans le schéma actuel de la procréation qui décrit une parfaite symétrie des contributions paternelle et maternelle, l’absence d’un des parents pose, à nouveaux frais, la question de la conception de Jésus et interroge la pleine réalité de son humanité.

II Un motif universel

Un examen sommaire des parallèles non chrétiens de conceptions miraculeuses montre que le thème général de la conception sans père humain est relativement banal dans les mythologies les plus diverses, et ce, sans dépendance littéraire repérable. De la Haute-Égypte5 à l’Inde6, de la Perse7 au monde gréco-romain8, des mythes africains9 jusqu’à certaines traditions mélanésiennes10 ou extrême-orientales11, l’histoire regorge de récits mythiques dans lesquels une femme conçoit un enfant sans l’intervention d’un père humain. Si dans certains cas, le rôle du géniteur divin est figuré par un animal ou un élément météorologique plus ou moins assimilable à un élément viril, un examen plus serré de ces textes révèle que l’on n’a pas systématiquement affaire aux grossières théogamies païennes si souvent dénoncées par l’apologétique, mais qu’il existe un corpus non négligeable de textes qui observent une sobriété comparable à celle des récits évangéliques pour décrire la conception : effusion d’un esprit, mention d’un souffle divin, vision onirique.

Compte tenu de son caractère quasi universel, le motif de l’enfant divin semble exprimer une intuition fondamentale de l’humanité dont l’origine remonte aux profondeurs de la psychologie humaine12. L’originalité des textes bibliques doit donc plutôt être recherchée du côté de leur portée théologique. La comparaison de la conception de Jésus avec des traditions religieuses a priori indépendantes, permet d’apercevoir en quoi l’Écriture est porteuse de nouveauté, et dans quelle mesure elle reprend à son compte des intuitions religieuses universelles.

III L’antériorité biblique

Sans ignorer les conditions physiologiques associées à la conception d’un enfant (Gn 4,1.17.25), les auteurs de l’Ancien Testament attribuent à Dieu la cause de la fécondité comme celle de la stérilité (Gn 20,18 ; 25,21 ; 29,31 ; 30,2.22 ; 1 S 1,5.6). La fécondité du couple est perçue comme un don de Dieu et n’est pas le résultat automatique de l’acte conjugal. L’union sexuelle et l’intervention divine ne font pas nombre ; l’intervention de Yahvé pour la conception d’un enfant — fût-elle miraculeuse — est perçue comme compatible avec la réalité physiologique engagée dans l’acte procréateur (Rt 4,13 ; 1 S 2,20-21).

L’étude des grossesses miraculeuses dans l’Ancien Testament montre que les récits évangéliques s’y adossent largement, tant dans leur structure littéraire qui rappelle celle des récits de vocation, que dans des emprunts à une phraséologie stéréotypée. Ainsi, la mère de Samson, réputée stérile, reçoit l’annonce de la naissance de son fils par la formule « tu vas concevoir et tu enfanteras un fils » (Jg 13,4) — formule reprise verbatim dans les évangiles — tandis que le rôle de Manoah, père de Samson, n’est nullement écarté13. Comme dans le cas d’Isaac (Gn 17,15-19) ou de Samuel (1 S 1-2), la pointe du récit est de manifester la consécration à un projet divin, de l’enfant à naître ; les modalités physiologiques de la conception étant mentionnées de manière relativement évasive car l’essentiel est ailleurs.

Plus proches du contexte de la rédaction des évangiles, les traditions orales juives concernant la naissance des grandes figures de l’Ancien Testament comme Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, se sont développées dès le IIe siècle avant notre ère14 et ont été partiellement mises par écrit jusqu’au Ier siècle de notre ère. Dans cette littérature apocryphe juive, dite littérature haggadique, on retiendra particulièrement les récits concernant Noé et Melchisédek. Ainsi, l’Hénoch slave raconte la conception et la naissance de Melchisédek sans l’intervention d’un père humain15. Un tel récit constitue une rupture par rapport aux récits de l’Ancien Testament car, cette fois, l’absence de père humain y est clairement mentionnée sans que ce motif puisse être attribué à un remaniement post-chrétien.

IV Les récits de Noël

Contrairement aux traditions apocryphes et autres sur la naissance virginale de Jésus, qui ne possèdent aucun support scripturaire16, ou sur la virginité de Marie après la naissance de Jésus17, dont la base textuelle est pour le moins litigieuse, la doctrine de la conception virginale de Jésus trouve, dans les évangiles de Luc et Matthieu, un support scripturaire indiscutable quoique de facture plus tardive que le reste des évangiles.

L’historicité des récits de l’enfance pose clairement problème et constitue « une cible de choix pour les rationalistes »18 en raison des nombreux éléments de type légendaire qu’ils comportent et qui auraient dû laisser des traces dans d’autres écrits juifs. Leur appartenance au corpus canonique ne change rien à la particularité de leur statut littéraire et il importe, dans tout travail d’interprétation, de ne pas perdre de vue qu’ils ne peuvent pas être crédités de la même historicité que le reste des évangiles19. D’une part, en effet, les évangiles de l’enfance en Luc et en Matthieu sont inconciliables d’un point de vue géographique comme d’un point de vue chronologique ; d’autre part, ces récits s’harmonisent relativement mal avec la suite des évangiles, que ce soit pour la version de Matthieu ou pour celle de Luc. Ces considérations générales suggèrent une lecture avant tout théologique des récits concernant la conception de Jésus.

Le récit de l’annonce à Joseph (Mt 1,18-25) ne laisse aucun doute sur l’absence de père humain dans la génération de l’enfant Jésus. On est frappé par la sobriété et la discrétion qui entoure le processus par lequel Marie devient enceinte : ni souffle, ni figure animale, ni phénomène météorologique, ni même la mention d’une cause mais plutôt celle d’une origine pneumatologique20. Le comment de la conception ne constitue pas le message fort du récit ; celle-ci n’est affirmée que par défaut, à travers un silence du texte. Cela est confirmé par la structure chiasmique utilisée qui se déploie autour de la formule elliptique du v. 20b : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». L’intention théologique contenue dans cette révélation centrale est de dire que Jésus est fondamentalement issu de l’Esprit. La non-paternité de Joseph n’est qu’un élément contextuel destiné à mettre en valeur cette révélation fondamentale.

Le texte de l’annonce à Joseph se situe comme hors de tout lieu et de tout repère temporel21. En dehors de Joseph lui-même, la scène ne comporte aucun témoin. Elle se situe in illo tempore, en un temps quelconque et en un lieu qu’il est inutile de préciser : celui du songe et de la vision22. Comme cela est fréquent chez Matthieu, la révélation principale du récit est attestée par l’accomplissement d’un signe emprunté à l’Écriture. Ici, l’origine divine de Jésus s’appuie sur Is 7,14 : « Voici que la Vierge enfantera un fils … ». Toutefois, on ne saurait se prévaloir de cette traduction fautive de la Septante pour argumenter en faveur de la conception virginale23. L’enjeu théologique du récit est de faire apparaître Jésus comme le nouveau Moïse.

Dans le récit lucanien de l’annonciation (Lc 1,26-38), la thématique de l’absence du père humain est loin d’être aussi explicite que dans le récit de Matthieu24. La formule stéréotypée de l’ange Gabriel : « Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils » (v. 31) laisse même entendre que Marie va procréer de manière normale — ce qui est conforme au sens vétéro-testamentaire de ces paroles (Jg 13,4) — d’où la légitime question posée par Marie au sujet du père de l’enfant : « comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » (v. 34)25.

La question pratique du comment posée par Marie contraste avec la réponse angélique qui ne fournit aucun élément concret d’explication mais se situe sur le registre de la révélation christologique (v. 35). Les verbes eperchestai et episkiazein sont les verbes utilisés respectivement à la Pentecôte (Ac 1,8) pour décrire l’effusion de l’Esprit sur les apôtres et à la Transfiguration pour exprimer la théophanie à travers le thème de la nuée (Lc 9,34). Dénués de connotation sexuelle, ils indiquent que l’effusion de l’Esprit est critère et motif de la filiation divine de Jésus : telle est la seule réponse donnée par l’ange à la question du comment.

Alors que le récit de la conception de Jean (Lc 1,5-25) est émaillé de verbes d’action, celui qui concerne Jésus est bâti autour du thème de la Parole. L’idée théologique sous-jacente est que la puissance de Dieu se manifeste dans une Parole qui agit par persuasion et non telle une verticalité souveraine. Contre l’idée que la conception de Jésus ne devait pas dépendre de la volonté d’un homme — d’où l’absence de père —, Luc suspend au contraire l’efficience de la Parole de Dieu au libre consentement d’une réponse humaine, celle de Marie.

Par leur discrétion et l’accent mis sur le rôle de la Parole et de l’Esprit Saint, les textes évangéliques qui fondent la doctrine de la conception virginale de Jésus obéissent à une intention fondamentalement christologique pour affirmer que Dieu n’est pas lié à Jésus de manière contingente, mais de manière constitutive. Ils assurent ainsi une triple fonction26 : 1. à l’égard des juifs, en montrant que Jésus n’est pas un prophète de plus mais le Messie d’Israël, le véritable Fils de Dieu dès la conception ; 2. à l’égard des gnostiques et des tendances docètes, en affirmant qu’en Jésus, le Christ n’a pas revêtu un déguisement humain puisqu’il est vraiment né d’une femme ; 3. à l’égard des païens, en se démarquant d’une théogamie qui ferait de Jésus un demi-dieu issu de l’union sexuelle entre un dieu et une mortelle.

V Le silence du reste du Nouveau Testament

Exception faite du début des évangiles de Luc et de Matthieu, la doctrine de la conception virginale est totalement absente du Nouveau Testament. Ni Marc27, considéré comme le plus ancien des évangiles synoptiques, ni Paul28, auteur des premiers écrits chrétiens, ne rapportent la tradition de la conception virginale. Aucun des kérygmes primitifs ne fait allusion à cette doctrine alors que celle-ci aurait pu se révéler utile dans la prédication en faveur de la filiation divine de Jésus29. Enfin, rédigé après les synoptiques, le quatrième évangile développe une christologie pré-nicéenne relativement élaborée qui remonte à la préexistence sans faire mention de la conception virginale30.

Le commencement de la vie de Jésus se dit également à travers les généalogies de Jésus (Lc 3,23-38 ; Mt 1,1-17). Ces généalogies, quoique inconciliables et douteuses historiquement, poursuivent un but christologique clair : montrer que Jésus est le Messie, celui qui accomplit la promesse faite à Israël. Or, ces généalogies paraissent buter sur un même problème : si Joseph n’est que le père adoptif de Jésus, comment celui-ci peut-il être appelé Fils de David et à quoi bon dresser une liste d’ancêtres prestigieux si, pour finir, Jésus n’est que le fils de Marie mais pas celui de Joseph31 ? La généalogie de Jésus en Matthieu mentionne quatre figures féminines de l’Ancien Testament dont le point commun semble être les circonstances inhabituelles ou illégitimes par lesquelles elles ont assuré l’avènement du Messie d’Israël : prostitution, adultère, intrigue amoureuse. Les histoires de ces femmes préparent davantage le lecteur au récit d’une grossesse irrégulière plutôt qu’à un récit de conception virginale.

VI Postérité des récits évangéliques

Alors que les récits d’annonciation avaient une visée d’abord christologique, des motifs mariologiques viendront s’ajouter dès les plus anciens écrits apocryphes32. Ils présentent la conception virginale de Jésus comme le premier volet d’un triptyque destiné à affirmer la virginité perpétuelle de Marie (avant, pendant et après l’accouchement). Parfois franchement docètes33, ces écrits midrashiques s’efforcent de combler les silences des récits évangéliques et témoignent de l’existence de débats externes, mais probablement aussi internes à l’Église avant les grands conciles christologiques.

Dans ce contexte, le témoignage des écrits patristiques permet de comprendre qu’en marge des interrogations populaires qui ont suscité ces récits merveilleux, de vraies questions d’ordre christologique se sont posées aux premiers théologiens. Les principaux éléments de ces débats se trouvent chez Justin de Rome34, Irénée de Lyon35, Tertullien36, Origène37 et Ignace d’Antioche38. Dans une perspective apologétique, les Pères cherchent à se démarquer des théogamies païennes en refusant de faire jouer à l’Esprit Saint le rôle d’un géniteur. Cependant, tous les arguments développés dans les écrits patristiques restent fortement dépendants du fait que la procréation humaine y est décrite à l’aide du concept aristotélicien de semence immatérielle39. L’absence de père humain pour concevoir Jésus devient, dans ce cadre, un impératif logique pour dire sa divinité.

L’étude des anciennes formules baptismales indique que la doctrine de la conception virginale de Jésus est très tôt présente dans la pratique liturgique des premières communautés. En particulier, l’expression « conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie » a pour intention de faire droit autant à l’humanité du Christ qu’à sa divinité40. Au cours de l’histoire, la question se déplace du champ christologique vers le champ mariologique. Dès le Ve siècle, l’enjeu principal de la conception virginale devient la virginité de Marie et non plus la filiation divine de Jésus. C’est ainsi que le concile de Latran (649) propose la formule « conçu du Saint-Esprit sans semence », excluant le rôle physiologique de Joseph comme celui de l’Esprit Saint.

Le concile Vatican II n’a pas apporté d’éléments nouveaux concernant la conception de Jésus, se contentant de la formule traditionnelle : « sans connaître d’homme, enveloppée par l’Esprit Saint » (Lumen Gentium 63). Cependant, même après le concile, aucun signe de détente n’a été enregistré au sujet de cette doctrine : sanctions disciplinaires à l’encontre de théologiens, corrections apportées au catéchisme hollandais, etc. Lors d’une audience générale, le pape Jean-Paul II a même déclaré que « l’intégrité physique est retenue comme essentielle à la vérité de foi de la conception virginale de Jésus » (10 juillet 1996). Bien que les juristes débattent sur le fait que la doctrine de la conception virginale de Jésus n’ait jamais été définie dans les règles strictes d’une vérité de foi catholique, son autorité canonique ne peut pas être facilement contestée.

VII Enjeux psycho-affectifs

On peut se demander pourquoi la question de la conception virginale suscite des réactions si vives de la part de certains catholiques alors même que les contestations contemporaines ne touchent pas à l’essentiel du kérygme chrétien. Puisque la conception virginale est une question qui touche profondément à la sexualité, à la filiation, à la maternité, le recours à la psychanalyse freudienne peut contribuer à faire la part entre les enjeux psychoaffectifs de la question et les éléments proprement théologiques.

La psychanalyse freudienne met tout d’abord en évidence le phénomène d’idéalisation de la mère chez les garçons, idéalisation qui conduit tout homme à penser sa mère comme une vierge et sa propre conception comme une conception virginale. Les psychanalystes appellent cela le « déni de la scène primitive ». À travers la dévotion mariale masculine, cette idéalisation de la mère serait transférée sur la personne de Marie, seule femme dont on peut dire qu’elle fut totalement vierge et mère à la fois41. L’analyse freudienne situe le complexe d’Œdipe au cœur de la question de la conception virginale. En effet, l’amour du garçon pour sa mère : 1. exige que Marie, projection de l’idéal féminin, soit vierge et sans sexualité active afin de dissimuler le désir refoulé du garçon pour sa mère42 ; 2. motive la castration ou la mort symbolique de Joseph qui, totémisé en chef de famille protecteur et asexué, retrouve son autorité paternelle en cessant d’apparaître comme un rival. La mise à l’écart de l’époux de Marie permet de désamorcer la rivalité sexuelle entre le père et le fils, ce dernier redevenant l’unique objet de l’affection maternelle. L’explication freudienne, si elle rend compte des excès de la piété mariale masculine, néglige toutefois le point de vue féminin, moins attentif à la virginité de Marie qu’à sa maternité.

Dans une perspective plus valorisante et moins inféodée à une vision névrotique des affects de l’homme, la psychologie jungienne postule l’existence d’« archétypes », c’est-à-dire de formes symboliques universelles — dont le mythème de l’enfant divin constitue un exemple. Jung décrit le mythe de l’enfant divin non comme le signe de pulsions sexuelles refoulées, mais comme l’expression de la résolution du conflit entre l’humain et le divin, le ciel et la terre, d’où la nécessité de recourir à un événement non empirique comme la conception virginale. La conception virginale exprime la résolution d’un conflit entre la volonté rationnelle et dominatrice associée à la figure du père — d’où la nécessité de l’exclure du processus de la conception — et la dimension affective et mystérieuse de l’âme figurée par l’enfant divin.

La prise en compte des enjeux psychanalytiques de la question permet : 1. de relativiser la charge affective dont est investie la virginité de Marie ; 2. d’assumer la multiplicité culturelle des mythes à travers des motifs psycho-affectifs universels ; 3. de réintégrer au débat sa dimension affective souvent négligée par la théologie spéculative.

VIII Enjeux christologiques

D’un point de vue théologique, la conception virginale constitue d’abord un chapitre de christologie pneumatologique avant d’être une question de dogmatique mariale. L’expression même de « conception virginale » a fini par effacer le rôle si essentiel de l’Esprit Saint en prenant acte seulement d’une absence. Aussi serait-il plus conforme à l’Écriture de parler de « conception de l’Esprit », plutôt que de « conception virginale », qui privilégie l’intégrité physique de Marie au détriment de la référence à l’Esprit.

Cette importance christologique est confirmée par l’examen de la position thomiste qui justifie que l’on ne peut pas considérer l’Esprit Saint comme le père biologique de l’enfant Jésus43. Bien que s’exprimant dans le contexte des connaissances médicales disponibles au XIIIe siècle44, la démarche d’exigence scientifique adoptée par saint Thomas le conduit à décrire la conception de Jésus avec le souci de maintenir la plénitude de son humanité tout en manifestant son origine divine. Pour saint Thomas, la doctrine résulte de l’argument de convenance et n’a pas valeur de nécessité théologique vis-à-vis notamment de la filiation divine de Jésus45. Le génie thomiste s’exprime particulièrement à travers la notion de simultanéité qui permet de faire droit à la réalité d’un corps pleinement humain assumé par le Verbe, tout en échappant au risque d’adoptianisme46. De fait, tant que la contribution virile était pensée comme immatérielle dans la procréation, il était possible de penser la conception de Jésus en l’absence d’interventions matérielles de Joseph ou de l’Esprit Saint47.

La prise en compte de la théologie du XXe siècle permet de mieux situer la doctrine de la conception virginale par rapport au fondement de toute christologie moderne qu’est la Résurrection du Christ. Ce changement de point de vue relativise le caractère nécessaire de la conception virginale de Jésus et ouvre sur des débats fondamentaux pour la théologie trinitaire. Le lien entre la conception virginale de Jésus et l’épisode de la résurrection a souvent été relevé48, la formule la plus saisissante à ce sujet revenant à K. Barth : « de même que personne ne l’a déposé dans le sein de la Vierge, de même personne ne l’a enlevé du tombeau »49. L’intention de Barth dans ce passage est d’insister sur la pure grâce divine signifiée par l’absence d’intervention humaine dans les deux cas. Mais plutôt que de se coordonner, volonté divine et volonté humaine semblent plutôt s’affronter dans une dramaturgie où la liberté humaine est quelque peu négligée. Or, le « qu’il me soit fait » de Marie contredit toute interprétation trop « verticale » du vouloir divin. En montrant qu’il n’existe pas de lien constitutif entre l’épisode du tombeau vide et celui de la conception de Jésus, on évite de faire dépendre la manifestation du Christ comme Fils de Dieu de l’épisode de Noël50. Au contraire, la divinité du Christ, conformément aux christologies de Paul et de Marc notamment, se manifeste d’abord dans l’événement pascal. Ce changement de perspective est devenu courant aujourd’hui et la plupart des christologies catholiques modernes sont construites sans prendre appui sur la conception virginale51.

Dans un passage « répété partout avec empressement »52, le cardinal J. Ratzinger déclare que « la doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas remise en cause si Jésus était issu d’un mariage normal »53. Beaucoup ignorent que Ratzinger publia presque aussitôt une rétractation gênée54 à la suite des critiques de Balthasar fondées principalement sur le conflit psychologique entre paternité biologique de Joseph et paternité spirituelle de Dieu55. Or, ce conflit supposé entre la paternité céleste du Père et la paternité terrestre de Joseph ne peut plus être invoqué dans le cadre d’un discours théologique non patriarcal qui a élucidé le contresens d’une vision trop virile de la personne du Père. Pas plus que Marie et l’Esprit ne sont en conflit dans la génération du Christ, Joseph et le Père ne se situent dans un rapport de rivalité sexuelle ni même psychologique vis-à-vis de la conception de Jésus56. Si l’on maintient l’exclusion de tout rôle physiologique de Joseph, on doit au moins reconnaître que cette rivalité, pourtant vivement défendue par Balthasar57, est dénuée de sens.

Un des plus solides arguments en faveur de la conception virginale est lié au risque d’adoptianisme que représenterait son affaiblissement. Si c’est Dieu lui-même qui est en lice dans le Christ en croix, c’est que celui qui se donne comme le propre Fils de Dieu est beaucoup plus qu’un simple émissaire ayant reçu l’investiture messianique58. Sur cette base, certains théologiens donnent à la conception par l’Esprit valeur strictement biologique59 et récusent finalement l’idée thomiste selon laquelle l’union du Verbe est, au plan causal, consécutive à la formation du corps de Jésus, tout en étant une opération simultanée sur le plan temporel. Si Jésus était né d’un mariage normal, cela ne reviendrait pas à considérer l’action de l’Esprit Saint comme une adoption. Car s’il est vrai que la conception virginale de Jésus « attire l’attention sur le fait que Jésus n’était pas un homme comme tous les autres et qu’il est Fils de Dieu d’une façon unique »60, il est impossible de prouver théologiquement que le Fils de Dieu n’aurait pas pu s’incarner à travers l’union conjugale de Joseph et Marie.

Mais si le rôle de l’Esprit n’est pas de « féconder » la Vierge en un sens biologique, quelle est en définitive sa fonction ? La parole de Jésus adressée à Nicodème, « ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’esprit est esprit » (Jn 3,6), rappelle que l’origine familiale ne fournit aucune garantie de salut, seule compte la naissance de l’Esprit. Autre est le processus physiologique de la génération, autre est le processus spirituel de la renaissance dans le baptême61. Même si le Christ est, pour sa part, conçu de l’Esprit d’une manière absolument singulière, « la naissance du Christ de l’Esprit est une affirmation concernant le rapport du Christ à Dieu, ou de Dieu au Christ, et il n’est pas nécessaire de la lier à une affirmation généalogique »62.

Dans le même sens, l’argument épiclétique concernant la présence réelle dans l’eucharistie met en perspective le fait que la réalité spirituelle n’est pas nécessairement liée à une réalité matérielle. Pas plus qu’il n’est nécessaire aux espèces consacrées de devenir matériellement de la chair et du sang pour affirmer la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, il n’est indispensable de dire de Jésus qu’il fut conçu sans père humain pour le proclamer en même temps Fils de Dieu.

IX Un mythe étiologique ?

Si le rôle de l’Esprit Saint dans la conception de Jésus est un rôle immatériel63 pour dire l’origine et l’identité profonde du Christ, il demeure difficile aujourd’hui de parler de la conception virginale de Jésus comme d’un « mythe ». En effet, dans le langage courant, l’expression est clairement dépréciative et l’on dira d’une chose que « c’est un mythe » pour signifier « c’est faux, contrairement à une idée reçue ». C’est pourquoi certains auteurs préfèrent aujourd’hui parler de « théologoumène »64 plutôt que de mythe à propos des récits de Noël. Au contraire, pour l’ethnosociologie, le mythe est un récit hautement valorisé, reconnu pour vrai par les sociétés qui le transmettent en dépit des éléments invraisemblables qu’il contient65. Le mythe a précisément cette fonction de rappeler aux hommes que toute vérité n’est pas réductible à ce qui se donne pour vraisemblable. La question est de savoir « si la vérité scientifique est toute la vérité, ou si quelque chose est dit par le mythe qui ne pourrait pas être dit autrement »66. La philosophie grecque a cherché à dévaloriser le langage mythique par rapport au langage spéculatif67 considéré comme plus sûr. En réalité, le mythe ne s’oppose pas au logos mais représente une forme première de celui-ci68.

Ainsi, c’est en toute vérité que le chrétien peut affirmer de Jésus qu’il est « conçu du Saint-Esprit » et cette « vérité », qui prépare l’affirmation chalcédonienne d’un Christ vrai homme et vrai Dieu, n’est ni exclusive d’une réelle dimension biologique, ni suspendue à des considérations physiologiques mouvantes en fonction des connaissances médicales du moment. Enfin, si la question de l’historicité de la conception virginale demeure indécidable sur le plan scientifique, il n’est pas sûr qu’elle soit décisive et normative sur le plan théologique : « Frères, pour vous faire connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, nous n’avons pas eu recours aux inventions des récits mythologiques, mais nous l’avons contemplé lui-même dans sa grandeur » (2 P 1,16).

Notes de bas de page

  • 1 C’est par exemple l’opinion de P. Tillich pour qui la conception virginale « frise l’hérésie » en favorisant le docétisme et le monophysisme car elle fait de Jésus un être à part, un bébé surnaturel sans père humain, comparable à un demi-dieu, dans Théologie de la culture (1959), Paris, Denoël-Gonthier, 1968, p. 123-124.

  • 2 Cet article reprend les principales conclusions de notre ouvrage Jésus, fils de Joseph. Comment comprendre aujourd’hui la conception virginale de Jésus ?, coll. Religion et Sciences Humaines, Paris, L’Harmattan, 2002. Voir les recensions de D. Cerbelaud, O.P., dans Théophilyon VIII/2 (2003) 553-554 et de P. Gibert, S.J., dans Études n° 3993, sept. 2003, p. 284-285.

  • 3 La ressemblance des enfants à la mère pouvait s’expliquer par « infusion » des caractères maternels au cours de la grossesse.

  • 4 Plusieurs hypothèses, également problématiques, sont envisageables :

    1. La partie paternelle est issue de Marie. Dans ce cas, on aurait affaire à une forme de parthénogenèse dont on sait qu’elle ne peut produire qu’une fille qui serait alors, hors phénomène de mutation, le clone de Marie. Mais même à supposer qu’un enfant de sexe masculin ait pu être engendré par parthénogenèse ou par clonage, la question de la pleine humanité de Jésus reste posée, au plan anthropologique, si celui-ci n’eut qu’un seul parent humain. De plus, selon une déclaration du pape Jean-Paul II, « l’affirmation de la conception virginale, due à l’action de l’Esprit Saint, exclut toute hypothèse de parthénogenèse naturelle » (dans Doc. Cath. 2143 [93, 1996] 705).
    2. La partie paternelle est issue de l’Esprit Saint. Cette opinion qui ferait de l’Esprit le père biologique de l’enfant, est écartée par la Tradition chrétienne qui a toujours refusé de faire jouer à l’Esprit Saint le rôle d’un géniteur pour bien se démarquer des théogamies païennes. D’un point de vue théologique, cette hypothèse minimise la figure du Fils au profit de celle de l’Esprit, ce qui signifierait que c’est l’Esprit lui-même qui s’incarne et non le Fils.
    3. La partie paternelle provient du Père. Dans ce schéma, on quitte le motif de la génération pour adopter l’allégorie de la création. Cette position, ralliée par un certain nombre aujourd’hui, présente le danger de décrire le Christ comme une créature du Père, un être totalement à part du reste de l’humanité et non le Fils éternel de Dieu fait homme. En négligeant le rôle central de l’Esprit tel qu’il est décrit dans l’Écriture, cette option brise la solidarité périchorétique des œuvres ad extra de la Trinité.

  • 5 Selon E. Brunner-Traut, « pratiquement tous les épisodes du miracle de Noël se retrouvent déjà en Égypte », dans « Pharao und Jesus als Söhne Gottes » (1961) ; repris dans Gelebte Mythen. Beiträge zum altägyptishen Mythos, Darmstadt, 1988, p. 51.

  • 6 Cf. la conception du Bouddha, décrite dans le Lalitavistara et le Digha Nikaya, livre 14 (tradition pâlie, antérieure au christianisme). Voir Le Lalitavistara, l’histoire traditionnelle de la vie du Bouddha Cakyamuni, traduit du sanscrit par P.E. Foucaux, Paris, Les deux océans, 1988.

  • 7 Dans le Dênkart, livre 7, chap. 2, Zarathustra est décrit comme ayant été conçu suite à l’absorption par sa mère d’un breuvage à base de lait.

  • 8 En plus des cas bien connus de conceptions miraculeuses telles que celles de Platon, cité par Plutarque, ou d’Auguste, rapporté par Suétone, citons le cas de Mithra dont le culte était célébré dans la Rome antique et pour lequel des bergers vinrent adorer le nouveau-né au milieu de la nuit ; cf. Vermaseren M., Mithra, ce dieu mystérieux, Paris-Bruxelles, Sequoia, 1960, p. 63-64.

  • 9 Cf. la conception virginale de Mikombo’a Kalewo rapportée par F. Kabasele Lumbala, « La conception virginale de Jésus, une lecture africaine », dans Lumière et Vie 210 (1992) 55-57.

  • 10 Cf. les récits des habitants des îles Trobriand ; Saliba J.A., « The Virgin-Birth Debate in Anthropological Litterature : a Critical Assessment », dans Theological Studies 36/3 (1975) 437.

  • 11 Ainsi Confucius serait-il également le fruit d’une conception virginale selon Campbell J., The Masks of God : Oriental Mythology, New York, Viking Press, 1962, p. 414.

  • 12 Cf. l’anthropologie structurale de Cl. Lévi-Strauss ou la psychologie des profondeurs de C. Jung.

  • 13 La consécration de l’enfant au naziréat (Jg 13,5-6) intervient dès l’instant de sa conception et non à sa naissance, sans supposer ici de conception virginale.

  • 14 Cf. Perrot Ch., « Les récits d’enfance dans la haggada antérieure au IIe siècle de notre ère », dans Recherches de Science Religieuse 55 (1967) 481.

  • 15 Cf. Hénoch slave, chap. 23, cité par H. Cousin, « Une autre exégèse de la conception virginale est-elle possible ? », dans Lumière et Vie 23 (1974) 108.

  • 16 Cf. Clark A.C., « The Virgin Birth : A Theological Reappraisal », dans Theological Studies 34/4 (1973) 576-593 ; Rahner K., « Virginitas in Partu. Contribution au problème du développement du dogme et de la tradition », dans Église et Tradition, éd. J. Betz et H. Fries, Le Puy-Lyon, Mappus, 1963, p. 289-318.

  • 17 Cf. Bauckham R., « The Brothers and Sisters of Jesus : An Epiphanian Response to John P. Meier », dans Catholic Biblical Quarterly 56 (1994) 686-700 ; Refoulé Fr., Les frères et les s œurs de Jésus, Paris, Desclée, 1995.

  • 18 Cf. Brown R.E., The Virgin Birth of the Messiah, New-York, Doubleday, 1977, Appendice 7, p. 25 ; 547-556.

  • 19 Cf. Fitzmeyer J., « The Virginal Conception of Jesus in the New Testament », dans Theological Studies 34/4 (1973) note 68, p. 561.

  • 20 Il convient en effet de distinguer le commencement de la vie terrestre du Christ de son origine au sens ontologique. Voir à ce sujet le débat relaté en Jn 7,41-43 où s’affrontent ceux qui proclament la messianité de Jésus et ceux qui s’en tiennent à ses origines galiléennes.

  • 21 À l’issue du récit, des repères géographiques et temporels sont redonnés comme si ce qui venait de se passer était situé en dehors de l’histoire : « Jésus étant né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode … » (Mt 2,1).

  • 22 Cette élision des repères est très typique des récits mythiques qui se déroulent en un lieu sacré du monde et en un temps primordial de l’histoire.

  • 23 Le texte hébreu dit : « Voici que la jeune fille enfantera un fils » (almah, la jeune fille). De plus, quand bien même il s’agirait bien d’une vierge dans le texte hébreu, le contexte n’indique nullement une conception virginale mais seulement le fait qu’une femme actuellement vierge va enfanter. Cf. Fitzmyer J., « The Virginal Conception of Jesus … » (cité supra, n. 19), note 33, p. 551 ; Dubarle A.-M., « La conception virginale et la citation d’Is 7,14 dans l’évangile de Matthieu », dans Revue Biblique 85 (1978) 362-380.

  • 24 Cf. Fitzmyer J., « The Virginal Conception of Jesus … » (cité supra, n. 19), note 94, p. 569.

  • 25 L’interprétation de la réponse de Marie dans le sens d’un « v œu de virginité », est anachronique étant donné la disgrâce que représentait pour une femme juive l’absence de fécondité. De plus, cette disposition d’esprit paraît contradictoire avec son état de fiancée.

  • 26 Cf. Moingt J., L’homme qui venait de Dieu, coll. Cogitatio Fidei, 176, Paris, Cerf, 1993, p. 639.

  • 27 L’évangile de Marc commence au baptême de Jésus, ce qui ne l’empêche pas d’y développer une christologie très puissante qui présente Jésus comme le Fils de Dieu (Mc 1,1 ; 15,39 ; 14,60-61) sans jamais prendre appui sur la conception virginale de Jésus, visiblement ignorée.

  • 28 Il est peu vraisemblable que Paul eût relayé en Rm 1,3 la formule appuyée ek spermatos David s’il avait eu connaissance de la conception virginale. Certains auteurs se prévalent de Ga 4,4-7 pour suggérer que Paul connaissait implicitement la conception virginale, à cause de l’expression « né d’une femme ». Mais l’argument ne tient pas car la visée du passage est de souligner l’origine humaine de Jésus et, de toutes façons, il eût été impossible d’être « né d’un homme » !

  • 29 Aucun des cinq discours de Pierre (Ac 2,22-36 ; 3,13-15 ; 4,10 ; 5,30-32 ; 10,39-40), ni le discours de Paul devant les juifs (Ac 13,28-31), ni l’hymne aux Corinthiens (1 Co 15,3-4) ne font allusion à la conception virginale.

  • 30 À part certains exégètes catholiques (de la Potterie I., Marie dans le mystère de la Nouvelle Alliance, chap. 3 : « La conception virginale selon Saint Jean », p. 99-150, Paris, Desclée, 1988 ; Galot J., « Être né de Dieu : Jn 1,13 », coll. Analecta Biblica, 37, Rome, Pont. Ist. Biblico, 1969), tous les auteurs ont abandonné la lecture au singulier du verset 13 du prologue car cette leçon ne se trouve dans aucun manuscrit grec. Pour une évaluation documentée de la question, cf. Pryor J., « On the Virgin Birth or the Birth of Christians ? The Text of John 1,13 once more », dans Novum Testamentum 27/4 (1985) 296-318 ; Blanchard Y.-M., « Né d’un vouloir de chair ? La conception virginale au regard du quatrième évangile », dans La Virginité de Marie, éd. J. Longère, coll. Études Mariales, Paris, Médiaspaul, 1998, p. 25-34.

  • 31 Cependant, la nécessité du caractère biologique de la filiation davidique doit être relativisée si l’on se fonde sur la distance que Jean le Baptiste prend par rapport à la notion de fils d’Abraham (Mt 3,8) et sur celle que Jésus lui-même prend par rapport à celle de fils de David (Mt 22,41-46 ; Mc 12,35-37 ; Lc 20,41-44), ou de ses propres parents (Mt 12,46-50 ; Mc 3,31-35 ; Lc 8,19-21).

  • 32 C’est le cas notamment d’une première version du Protévangile de Jacques (chap. 11), de l’Ascension d’Isaïe (chap. 11) et des Odes de Salomon (ode 19), rédigés avant la fin du IIe siècle. Plus tardifs, des écrits apocryphes comme l’Évangile du Pseudo-Matthieu (fin du VIe siècle) ou le Livre de la Nativité de Marie (fin IXe siècle) surenchérissent au sujet de Marie présentée comme le modèle de la parfaite moniale chrétienne.

  • 33 Cf. Les Actes de Pierre, 24.

  • 34 Cf. Apologies, I, 21 ; 32 ; 33 ; Dialogue avec Tryphon, 43, 54, 63, 67, 69, 76, 84.

  • 35 Cf. Contre les Hérésies, I, 25, 26 ; III, 19, 21, 22.

  • 36 Cf. La Chair du Christ, 17-20.

  • 37 Cf. Contre Celse, I, 28, 32, 33, 35, 37.

  • 38 Cf. Éphésiens, 7, 17, 19 ; Smyrn. I, 1 ; Magn. 11, Tral., 9.

  • 39 Ainsi pour Tertullien, « la semence de l’homme était superflue pour qui avait en soi la semence de Dieu » (La Chair du Christ, 18, 2). Lorsque semence humaine et semence divine peuvent être mises ainsi sur le même plan, l’absence de paternité humaine s’impose presque d’elle-même.

  • 40 Dans l’Église ancienne, la conception virginale était moins un signe de sa divinité que de son humanité véritable. Selon J. Moltmann, « si l’on voulait honorer cette intention de l’histoire de la naissance du Christ aujourd’hui, il faudrait parler avec insistance de la naissance non virginale du Christ », dans Jésus, le Messie de Dieu, coll. Cogitatio Fidei, 171, Paris, Cerf, 1993, p. 129.

  • 41 Dans les apocryphes, la distance sexuelle entre Marie et Joseph est accentuée par leur grande différence d’âge, faisant apparaître Joseph comme le grand-père potentiel de Marie (Év. du Pseudo-Matthieu 8,4), renforçant ainsi la nécessité absolue de la virginité de Marie par l’interdit universel de l’inceste.

  • 42 Ainsi, selon certaines théologiennes féministes comme M.P. Carroll, si Marie avait eu une vie sexuelle, les fantasmes masculins pourraient s’exercer sur elle : sa virginité perpétuelle servirait « à cacher cela » (The Cult of the Virgin Mary, Psychological Origins, Princeton, 1986).

  • 43 Thomas d’Aquin, Somme Théologique IIIa 32,3.

  • 44 Voir en particulier Somme Théologique IIIa 31,4.

  • 45 Somme Théologique IIIa 28,1.

  • 46 En effet, pour saint Thomas, il convenait au Fils de Dieu « de ne prendre qu’un corps humain déjà formé » (Somme Théologique IIIa 33,1), ce qui implique l’antériorité causale de la formation du corps du Christ par rapport à son union au Verbe. Or, pour échapper à tout risque d’adoptianisme, cette union doit avoir eu lieu « sans que cette nature [humaine] ait subsisté et existé en soi avant d’être prise par le Verbe » (Somme Théologique IIIa 33,3). Il en résulte que la formation du corps du Christ et l’union au Verbe sont ontologiquement consécutifs et temporellement simultanés.

  • 47 Cf. Somme Théologique IIIa 32,4.

  • 48 Ainsi, pour B. Sesboüé, « on devrait avoir la même position à l’égard du tombeau vide et de la conception virginale », dans Pédagogie du Christ, Éléments de christologie fondamentale, coll. Théologies, Paris, Cerf, 1996, p. 221.

  • 49 Barth K., Dogmatique, Genève, Labor et Fides, 1954, t. 3, p. 169-170.

  • 50 Au demeurant, l’Islam, qui affirme la conception virginale en un sens biologique, ne considère pas le Christ comme Fils de Dieu, mais seulement comme un prophète. Cf. Coran, sourate 19.

  • 51 Ainsi Kasper W., Jésus le Christ, coll. Cogitatio Fidei, 88, Paris, Cerf, 1975 ; Forte Br., Jésus de Nazareth, coll. Cogitatio Fidei, 122, Paris, Cerf, 1984 ; Moingt J., L’homme qui venait de Dieu (cité supra, n. 26) ; Duquoc Chr., Christologie, essai dogmatique, coll. Cogitatio Fidei, 29, Paris, Cerf, 1968.

  • 52 von Balthasar H.U., « Conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie », dans Je crois. Explication du symbole des apôtres, Le Sycomore, Culture et Vérité, Namur / Paris, Lethielleux, 1978, p. 33-45, ici p. 38.

  • 53 Ratzinger J., Foi chrétienne hier et aujourd’hui (1968), Paris, Mame, 1969, p. 192.

  • 54 Ratzinger J., Die Tochter Zion, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1977, p. 50, cité par H. Urs von Balthasar, « Conçu … » (cité supra, n. 52), p. 45, note 1 ; traduit depuis lors : La fille de Sion. Considérations sur la foi mariale de l’Église, tr. S. Binggeli, coll. Cahiers de l’école cathédrale, 55, Paris, Parole et Silence, 2002, p. 94, note 26.

  • 55 Ainsi, von Balthasar H.U. : « La relation exclusive de Jésus avec Son Père céleste n’aurait-elle pas dû profondément offenser Joseph l’artisan, dans le cas où il aurait été Son père corporel ? », « Conçu … » (cité supra, n. 52), p. 37.

  • 56 Ainsi, pour P. Grelot, « Joseph a rempli une fonction authentiquement paternelle » en dépit de son absence dans la génération de Jésus, cf. « Joseph, père de Jésus », dans NRT 124 (2002) 619-629, ici p. 629.

  • 57 von Balthasar H.U., « Mystère saintement manifesté », dans Communio 3/1 (1978) 42. Le débat qui l’a opposé à J. Ratzinger a été finement analysé par R. Virgoulay, « Conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie. Réflexions sur le rapport du fait et du sens dans le dogme chrétien », dans Recherches de Science Religieuse 69/4 (1981) 509-528.

  • 58 Ainsi, « affirmer l’onction originelle et l’historicité originelle de la personne de Jésus, sa pleine appartenance initiale et à Dieu et à la race humaine, qui le qualifie, de part et d’autre, pour être le sauveur du monde : voilà le véritable intérêt et enjeu de la foi en Jésus (…) conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie », dans Moingt J., L’homme qui venait de Dieu (cité supra, n. 26), p. 645.

  • 59 Ainsi Martelet G., L’au-delà retrouvé. Christologie des fins dernières, Paris, Desclée, 1975, p. 203, note 8.

  • 60 Brown R., « The Problem of the Virginal Conception of Jesus », dans Theological Studies 33/1 (1972) 16.

  • 61 Ainsi, Jésus relativise volontiers l’origine biologique par rapport à la parenté spirituelle (Mt 3,9 ; 22,41-46 ; Mc 3,35).

  • 62 Moltmann J., Jésus, le Messie de Dieu (cité supra, n. 40), p. 130. Voir aussi, dans ce sens, la controverse sur la vraie parenté de Jésus (Mc 3,31-35).

  • 63 Ainsi, « l’Esprit Saint n’a pas produit la nature humaine dans le Christ à partir de sa propre substance ; seul son pouvoir a œuvré à cette production », Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, IV, chap. 47, trad. D. Moreau, Paris, Flammarion, 1999, vol. 4, p. 255.

  • 64 Cf. Rahner K., « Theologoumenon », dans Lexikon für Theologie und Kirche, Fribourg, Herder, 1965, t. 10, col. 81.

  • 65 En cela, les mythes se distinguent des légendes et des contes réputés fictifs.

  • 66 Ricœur P., art. « Mythe - C. L’interprétation philosophique », dans Encyclopaedia Universalis, 1985, t. 12, p. 883.

  • 67 Ainsi « le logos a pris le sens sévère d’un discours bien réglé, discipliné pour la conquête de la vérité. Le mythos a pris le sens fascinant de la parole servant à créer l’illusion, bienfaisante ou malfaisante », Ramnoux C., art. « Mythe -B. Mythos et Logos », dans Ibid., p. 881.

  • 68 Cf. Theißen G., La religion des premiers chrétiens, Paris, Cerf, 2002, p. 16.

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