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De la repentance au renouveau

Enjeux pour la lecture de la Bible de la relation de l’Église avec le peuple juif

Antoine Guggenheim
Les nouvelles relations entre l’Église catholique et le peuple Juif s’expriment dans des gestes et des textes forts du magistère récent (Vatican II, Jean-Paul II, Benoît XVI). Au plus profond, c’est l’interprétation chrétienne de la Bible qui doit être clarifiée, comme y appelaient déjà les Notes de 1985 que l’on se propose de relire et d’actualiser. Évitant les deux tentations de la substitution et du néo-marcionisme, une lecture authentiquement chrétienne des Écritures est un héritage de la tradition d’Israël. L’unité de la Tora écrite et de la Tora orale dans la tradition juive est la matrice de l’unité de l’un et l’autre Testament dans le Christ.

Les nouvelles relations entre l’Église et le peuple Juif sont-elles une conséquence de la Shoah ? L’énormité du crime a ouvert les yeux de la conscience chrétienne sur ce qui était faux dans une certaine compréhension théologique du judaïsme quand les chrétiens, en particulier les catholiques, ont appris à reconnaître la différence positive du judaïsme. Si le dialogue avec Israël fait partie de l’identité chrétienne — comme l’a enseigné Jean-Paul II — au plus profond, c’est l’interprétation chrétienne de la Bible qui est clarifiée. Cheminant entre la tentation d’une substitution des chrétiens aux Juifs comme lecteurs autorisés des Écritures et celle, contraire mais non contradictoire, d’un néo-marcionisme qui rejette la particularité juive hors de la révélation chrétienne, une lecture authentiquement chrétienne des Écritures paraît un héritage de la tradition d’Israël. L’unité de la Tora écrite et de la Tora orale dans la tradition juive est la matrice historique et spirituelle de l’unité de l’un et l’autre Testament dans le Christ1.

Une nouvelle théologie chrétienne du judaïsme

Le 17 janvier 2010, le Pape Benoît XVI a inscrit sa visite à la synagogue de Rome, la plus ancienne et peut-être la plus prestigieuse d’Europe — dont l’origine précède la naissance et l’arrivée du christianisme apostolique sur les rives du Tibre, comme le Nouveau Testament le laisse entendre — non plus dans le cadre d’un événement, mais d’une tradition.

L’après-deuxième guerre mondiale fut pour l’Église catholique le temps d’une conversion spirituelle (metanoia) et d’un retour authentique (techouva) au dessein de Dieu dans ses relations avec le peuple Juif. La révélation de l’horreur du crime païen des Nazis, poursuivant l’élimination totale par le meurtre de masse des Juifs, qu’ils appelaient des « sous-hommes (Untermensch) » ou des « non-hommes (Unmensch) », rendit inacceptable à la conscience chrétienne l’antijudaïsme séculaire de mépris et d’exclusion. Le crime monstrueux de la Shoah a révélé le péché de l’antijudaïsme des chrétiens, jusque-là caché dans leur inconscient, comme une trahison de la raison et de l’Évangile, et un ferment de déchristianisation. La pratique de la repentance et de la conversion est indissociable d’une nouvelle théologie chrétienne du judaïsme, dont les principaux documents de Vatican II (Dei Verbum ; Lumen Gentium ; Nostra Aetate) posent de manière autorisée les fondements.

Je ne rappelle pas les étapes du processus, et en particulier celle du Concile œcuménique, pour en venir plus vite aux paroles et aux gestes, discrets ou spectaculaires, de Jean-Paul II, stimulant les évêques, les chrétiens et les hommes du monde entier à reconnaître que le dialogue avec le peuple Juif appartient à l’identité chrétienne2. Jean-Paul II était convaincu que, pour que ce dialogue puisse renaître en vérité, une triple condition est requise : la connaissance mutuelle, la confession des fautes historiques, la recherche d’une expression authentique de ses convictions fondamentales attentive au point de vue de l’autre. Un vrai dialogue entre Juifs et chrétiens conduit, selon le Pape, à rendre témoignage ensemble dans le monde par une action inspirée de la Loi du Sinaï résumée dans les dix commandements, considérés comme s’adressant universellement à la conscience humaine.

Le contexte historique dans lequel Jean-Paul II a situé son action était l’entrée dans le troisième millénaire de l’ère chrétienne. Le Jubilé de l’an 2000 fait mémoire de l’Incarnation du Verbe comme de l’événement central de l’histoire du salut et de la pierre d’angle de la foi catholique : le Jubilé, conformément aux prescriptions bibliques du Lévitique, doit être un temps de grâce et de remise des dettes pour l’Église et pour l’humanité. De manière de plus en plus précise à mesure qu’approche la célébration du jubilé, le Pape manifeste son dessein de procéder, à la manière du grand Prêtre lors de la fête des Pardons, à la confession des fautes du passé devant Dieu au nom du peuple tout entier.

Trois démarches lui tiennent particulièrement à cœur : la demande de pardon pour les fautes commises contre la recherche scientifique de la vérité, la division des chrétiens, les violences contre « nos frères aînés dans la foi », le peuple de l’élection « jamais révoquée par Dieu ». Cette dernière consiste en un long cheminement, de la visite du camp d’Auschwitz, lors du premier voyage en Pologne, à celle de la synagogue de Rome, précédant la rencontre d’Assise, à la résolution de l’affaire du Carmel d’Auschwitz, le tout culminant avec l’Accord fondamental pour la reconnaissance diplomatique de l’État d’Israël, la cérémonie pénitentielle du Vendredi Saint à Rome, le pèlerinage jubilaire à Jérusalem, la cérémonie au Yad VaShem et la prière au Mur occidental de Jérusalem.

Je ne peux étudier ni même nommer tous les textes et discours qui exposent la réflexion théologique, qui justifient et expliquent le langage quasi parabolique des gestes du Pape. Il faut cependant rappeler que ces initiatives sincères et intenses furent observées avec attention du côté juif et suscitèrent des réponses aussi audacieuses qu’improbables quelques décennies plus tôt. Je commenterai un seul texte, ancien désormais, dont je pense qu’il faut encore le lire ou le relire pour nous l’approprier et le transmettre.

Renouveler la prédication et la catéchèse

Parmi tous les textes où s’exprime le renouveau de la théologie chrétienne du judaïsme, je choisis pour leur importance symbolique les Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’église catholique (1985)3. Ce document officiel de la « Commission pontificale pour les relations religieuses avec le Judaïsme » est en quelque sorte la réponse aux demandes de Jules Isaac et de l’Amitié judéo-chrétienne concernant « l’enseignement du mépris » ; il a un caractère fondateur et les orientations qu’il propose sont pérennes.

Le texte examine deux domaines fondamentaux de la vie et de l’enseignement catholique : la prédication liturgique et la première formation des chrétiens par la catéchèse. Il s’ouvre en citant un discours de Jean-Paul II aux délégués des conférences épiscopales et aux autres experts réunis à Rome pour étudier les relations entre Église et Judaïsme le 6 mars 1982, trois ans après son élection : « … vous vous êtes préoccupés, pendant votre session, de l’enseignement catholique et de la catéchèse par rapport aux juifs et au judaïsme… Il faudrait arriver à ce que cet enseignement, aux différents niveaux de formation religieuse, dans la catéchèse donnée aux enfants et aux adolescents, présente les juifs et le judaïsme, non seulement de manière honnête et objective, sans aucun préjugé et sans offenser personne, mais plus encore avec une vive conscience de ‘l’héritage commun’ aux juifs et aux chrétiens ».

« Dans ce texte au contenu si dense, commente la Congrégation, le Saint-Père s’inspirait visiblement de la déclaration conciliaire Nostra Aetate n. 4 où il est dit : ‘Que tous aient donc soin, dans la catéchèse et la prédication de la Parole de Dieu, de ne rien enseigner qui ne soit conforme à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ’, comme aussi des paroles : ‘Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l’estime mutuelle…’. »

La catéchèse et la prédication sont deux lieux théologiques majeurs où la nouvelle présentation du judaïsme, demandée par le Concile, doit faire l’objet des premiers efforts de rénovation parce qu’ils engagent la prière et la formation de tous, c’est-à-dire le présent et l’avenir de l’Église. La transmission de la foi chrétienne dépend de la compréhension que l’on se fait de l’élection et de la mission d’Israël, car l’enseignement du mépris et l’antijudaïsme blessent l’intelligence de la foi et brouillent le témoignage rendu à Jésus de Nazareth, Messie d’Israël et Fils de Dieu. L’antisémitisme est non seulement une « gifle que Jésus reçoit sur la joue de sa mère » (Léon Bloy), mais une dénégation païenne du témoignage des Apôtres qui, tous, étaient juifs et le sont demeurés dans l’accomplissement messianique4. L’antijudaïsme des chrétiens, manquant la pérennité de l’élection divine et l’accomplissement du mystère du Christ, fausse l’intelligence de l’Évangile et du dessein de Dieu dans l’histoire.

Enracinement et renouveau de la lecture chrétienne des Écritures

Les Notes appellent en conséquence au renouvellement de l’enseignement catholique sur le judaïsme à tous les niveaux : « De même, les Orientations et Suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate, n. 4 [1974]5, finissaient leur chapitre III, intitulé ‘Enseignement et éducation’, où l’on énumère une série de données concrètes à y mettre en œuvre par cette recommandation : ‘L’information au sujet de ces questions concerne tous les niveaux d’enseignement et d’éducation du chrétien. Parmi les moyens d’information, ceux qui suivent ont une importance particulière : manuels de catéchèse ; livres d’histoire ; moyens de communication sociale (presse, radio, cinéma, télévision). L’usage efficace de ces moyens présuppose une formation approfondie des enseignants et des éducateurs, dans les écoles normales, les séminaires et les universités » (Acta Apostolicae Sedes 77, 1975, p. 73) ».

La formation théologique sacerdotale et universitaire doit donc se renouveler, comme la catéchèse et la prédication, pour permettre la metanoia et la techouva de l’Église que réclame le Concile Vatican II. Le travail intellectuel à accomplir concerne les concepts fondamentaux de la théologie. Ainsi, il est dit au paragraphe 5 du texte : « La singularité et la difficulté de l’enseignement chrétien concernant les juifs et le judaïsme consistent surtout en ce qu’il exige de tenir en même temps les termes de plusieurs couples en lesquels s’exprime le rapport entre les deux économies de l’ancien et du nouveau Testament : promesse et accomplissement ; continuité et nouveauté ; singularité et universalité ; unicité et exemplarité. Il importe que le théologien ou le catéchiste qui traite de ces choses ait le souci de montrer, dans la pratique même de son enseignement, que : la promesse et l’accomplissement s’éclairent mutuellement ; la nouveauté consiste dans une métamorphose de ce qui était auparavant ; la singularité du peuple de l’Ancien Testament n’est pas exclusive et qu’elle est ouverte, dans la vision divine, à une extension universelle ; l’unicité de ce même peuple juif est en vue d’une exemplarité ».

Les concepts théologiques proposés à l’approfondissement des chercheurs sont au cœur de la foi dont ils expriment l’unité, la dimension historique et eschatologique. Ils appartiennent à l’identité chrétienne non moins qu’à l’identité juive. La promesse et l’accomplissement s’éclairent l’un l’autre parce que ce qui est donné par Dieu dès la création et ce qui s’accomplit dans l’histoire relèvent d’une même grâce inépuisable et indépassable. La profondeur de la promesse paraît dans son exaucement : les accomplissements des promesses manifestent les ressources cachées et la nouveauté indépassable du don premier. Le « nouveau » transfigure « l’ancien », non par une rupture mais en confirmant et en dévoilant sa plénitude qui ne passe pas. La grâce première de l’élection d’Israël est un don singulier et incommunicable, comme la mise à part du frère aîné dans une famille, qui révèle la singularité et l’unicité de chacun des enfants. Le concept d’« exemplarité » employé par les Notes pour exprimer cette réalité traduit en termes analogiques le dynamisme dialectique de l’élection d’Israël et de la bénédiction des Nations que saint Paul décrit dans la parabole de l’olivier franc et de l’olivier sauvage, citée par les Notes au n. 9. Il y va de l’unité de l’ancienne et de la nouvelle Alliance6.

Le texte poursuit en reprenant les paroles de Jean-Paul II : « Finalement, ‘en ce domaine, l’imprécision et la médiocrité nuiraient énormément’ au dialogue judéo-chrétien (Jean Paul II, discours du 6 mars 1982). Mais elles nuiraient surtout, étant donné qu’il s’agit d’enseignement et éducation, à la ‘propre identité’ chrétienne ».

Un travail de fond est donc demandé aux théologiens, dont la mise en œuvre exigera des années de recherche d’équipes pluridisciplinaires appartenant aux différentes traditions chrétiennes, car œcuménisme et dialogue avec le peuple juif sont indissociables, comme l’a remarqué Fadiey Lovsky7. La lecture chrétienne des Écritures doit en effet résister à la tentation récurrente du marcionisme qui isole le Nouveau Testament et rejette l’Ancien, comme à la tentation d’expulser Israël de sa position de premier lecteur de ses textes saints, en s’appropriant de manière exclusive un héritage scripturaire reçu en indivis, comme le disait le cardinal Jean-Marie Lustiger.

Dans leur troisième partie, les Notes indiquent le chemin concret de la traversée des difficultés qui grèvent l’intelligence chrétienne de la Bible : le lecteur chrétien des Écritures doit être attentif aux « racines juives du christianisme ». Je prolongerai la réflexion des Notes sur ce point à la lumière de la recherche récente d’une « théologie chrétienne du judaïsme » qui « médite la promesse » de Dieu (Ps 119,148) « à l’écoute d’Israël en Église »8.

« À l’écoute d’Israël en Église »

« Tout ceci [poursuit le texte de la Note] devrait aider à mieux comprendre l’affirmation de saint Paul (Rom 11,16sq.) sur la ‘racine’ et les ‘branches’. L’Église et le christianisme, dans toute leur nouveauté, trouvent leur origine dans le milieu juif du premier siècle de notre ère, et plus profondément encore dans le ‘dessein de Dieu’ (Nostra Aetate, n. 4) réalisé dans les Patriarches, Moïse et les Prophètes (ibid.), jusqu’à sa consommation dans le Christ Jésus. »

La parabole paulinienne de l’olivier franc, racine et branches, exprime avec précision la typologie qui unit pour les chrétiens la première à la nouvelle Alliance. Elle dit l’unité vitale des Écritures, l’indépassable grâce du texte premier, que l’on ne peut appeler « ancien Testament » qu’en signe d’honneur et de primogéniture, en raison de l’« accomplissement » messianique inauguré par Jésus, et conformément à la signification du terme corrélatif de « nouveau » chez les Prophètes, dans l’Évangile et dans la tradition rabbinique9. L’interprétation chrétienne des Écritures a vitalement besoin de se nourrir du dialogue avec l’exégèse juive vivante.

Comme le fait remarquer le théologien et exégète jésuite Paul Beauchamp10, c’est dans le mouvement qui traverse les Écritures de l’Alliance — de la Loi, aux Prophètes et aux Sages — et dans le moment apocalyptique qui accompagne la clôture historique du canon, que se laissent reconnaître par les chrétiens la consistance de la Bible juive et de son interprétation vivante par la tradition d’Israël, ainsi que la légitimité de l’interprétation chrétienne qui, en demeurant à l’écoute de la tradition juive, réfère toutes les Écritures à la personne et à la vie de Jésus de Nazareth, crucifié et ressuscité. La primauté foncière de la transmission orale sur l’écriture, en laquelle elle s’exprime et se condense, rend compte de l’unité de la révélation, Tora écrite et Tora orale selon la tradition juive, ancien et nouveau Testament selon la tradition chrétienne.

La tradition d’Israël enseigne aux chrétiens à lire ensemble ce qu’ils appellent « l’un et l’autre Testament », non comme des documents historiques disjoints, mais comme une seule Parole dont la mise par écrit est un acte de tradition. La transmission orale de la Parole n’est pas une déformation du témoignage originel, mais la manifestation de son actualité et de sa vérité divines toujours en surcroît par rapport aux mots humains qui la transmettent. La perte de cette clé de lecture des Écritures est une des conséquences de la « déchirure de l’absence » et de la division entre Juifs et chrétiens. Elle se redouble du positivisme apologétique ou critique qui marque la conception de l’histoire et de la lettre dans l’exégèse chrétienne moderne. Les chrétiens sont invités à lire les Écritures saintes aujourd’hui, comme à toutes les grandes époques de la théologie, en faisant le chemin qui les conduit vers la table d’étude des rabbins et des autres témoins de la tradition juive. Non que la vérité ne réside pas chez eux-mêmes mais seulement chez l’autre, mais parce que le Verbe incarné n’est audible que dans ce dialogue intérieur à l’identité chrétienne.

« D’une part le Message évangélique n’est pas isolable purement et simplement de la culture dans laquelle il s’est d’abord inséré (l’univers biblique et plus concrètement le milieu culturel où a vécu Jésus de Nazareth), ni même, sans déperditions graves, des cultures où il s’est déjà exprimé au long des siècles ; il ne surgit de manière spontanée d’aucun terreau culturel ; il se transmet depuis toujours à travers un dialogue apostolique qui est inévitablement inséré dans un certain dialogue de cultures ; d’autre part, la force de l’Évangile est partout transformatrice et régénératrice. Lorsqu’elle pénètre une culture, qui s’étonnerait qu’elle en redresse bien des éléments ? Il n’y aurait pas de catéchèse si c’était l’Évangile qui devait s’altérer au contact des cultures. »11

L’Évangile est inséparable de la foi et de la culture juives du premier siècle qui le porte et le prépare, et dans lesquelles il est exprimé. Cette constatation de Jean-Paul II est le principe et le fondement, étrangement masqué aux yeux des chrétiens, d’une interprétation historique et croyante — ni « par en bas » ni « par en haut » — de la figure de Jésus de Nazareth, comme celle qu’a tentée au milieu de nous Benoît XVI, et d’une juste lecture de ses rapports avec les chefs spirituels de son peuple, même quand ils paraissent polémiques, et le sont en effet. Elle est aussi la clé d’une rencontre vraie et profonde du christianisme avec chaque culture dans le temps et l’espace et de la croissance qualitative de la catholicité.

L’un et l’autre Testament ne sont pas unis seulement par un mouvement typologique qui embrasse les siècles dans le dessein de Dieu : ils ne sont pas joints l’un à l’autre par un lien allégorique, comme par une violence qu’il faudrait faire cesser, ils se recouvrent l’un l’autre dans la lettre et dans l’esprit comme la Tora écrite et la Tora orale. La tradition des sages d’Israël en accomplit le tuilage littéraire, elle qui est intérieure à la tradition rabbinique comme à la tradition évangélique12.

L’unité de la révélation, telle que conçue par les sages d’Israël, Tora écrite et orale ensemble, fut reçue et vécue par les premiers chrétiens avec l’intégralité des Écritures juives comme leur chemin de lecture : le nouveau Testament en est à la fois un fruit et un témoin. La Bible ne serait que la tombe d’un peuple d’absents si elle n’était sans cesse lue et transmise par les témoins qu’elle fait vivre. La chaîne continue de la tradition de la Parole de Dieu est le signe et l’instrument de la puissance de vie de cette Parole. La permanence de l’élection d’Israël, qu’évoque la sixième partie des Notes, est, pour l’Église, comme un sacrement de la puissance vivifiante de la Parole divine révélatrice et rédemptrice.

Dans la célébration de la messe, l’unité des Écritures est manifestée vivante et en croissance dans sa transmission orale et sacramentelle, conformément à la tradition liturgique d’Israël13. Ce qui est lu dans le livre des Écritures, par un ministre pour toute l’Assemblée, signe vivant du Christ, est la Parole agissante de Dieu par la grâce de l’Esprit du Christ. L’Eucharistie dit et fait l’unité de la sacra doctrina, l’Écriture et la Tradition, grâce à la double table de la Parole et du Pain de vie. Elle est le foyer de l’unité secrète et inachevée du Peuple de Dieu tout entier, Israël avec l’Église, et de toute l’humanité, car s’y exprime la demande instante de la foi : « Viens, Seigneur Jésus ! ».

Notes de bas de page

  • 1 Ce texte est la reprise d’une conférence donnée le 6 octobre 2009 à l’Institut d’études œcuméniques de l’Université Catholique d’Ukraine, à Lviv, à l’invitation de M. Antoine Arjakovsky, son fondateur et directeur. Le thème du colloque qui prenait place dans les Semaines sociales œcuméniques était « mémoire et réconciliation ».

  • 2 Pour la France, je pense à la déclaration de repentance de Drancy prononcée et signée par l’ensemble des évêques dans les diocèses desquels se trouvaient des camps de concentration d’où des dizaines de milliers de juifs furent déportés vers les lieux de leur assassinat. On doit aussi évoquer les démarches des conférences épiscopales d’Allemagne et de Pologne.

  • 3 Cf. Doc. Cath. 1900 (73, 1985), p. 733 et s.

  • 4 Cf. M. Sales, Le corps de l’Église, Paris, Communio – Fayard, 1989.

  • 5 Cf. Doc. Cath. 1668 (72, 1975), p. 59 et s.

  • 6 Cf. la deuxième partie du document, consacrée aux « Rapports entre Ancien et Nouveau Testament », selon le solécisme chrétien signalé par le P. de Lubac : « vetus et novum Testamentum » (au singulier).

  • 7 Cf. F. Lovsky, La Déchirure de l’Absence, Paris, Calmann-Lévy, 1971.

  • 8 J.-M. Lustiger, La promesse, 2002 ; C. Thoma, Théologie chrétienne du judaïsme, 2005 ; P. Lenhardt, À l’écoute d’Israël en Église, t. 1 et 2, 2006 et 2009. Ces quatre livres sont publiés par le Collège des Bernardins (Paris, Parole et Silence).

  • 9 P. Lenhardt, « Le renouvellement (hiddush) de l’alliance dans le judaïsme rabbinique », dans À l’écoute d’Israël en Église, t. 2, (cité supra n. 8) p. 101-146.

  • 10 Cf. P. Beauchamp, L’un et l’autre Testament, Paris, Seuil, 1977.

  • 11 Jean-Paul II, Catechesi tradendae n. 53 (1979), dans Doc. Cath. 1173 (76, 1979), p. 901 et s.. Paul Beauchamp a donné un commentaire magistral de ce texte : « Acculturation, inculturation, Bible », dans Le récit, la lettre et le corps. Essais bibliques, nouvelle édition augmentée, coll. Cogitatio fidei n. 114, Paris, Cerf, 1992, p. 191-204, en particulier 196 sq. Cf. aussi la quatrième partie des Notes ici commentées.

  • 12 P. Lenhardt, Voies de la continuité juive. Aspects de la relation maître – disciple d’après la littérature juive ancienne, dans À l’écoute d’Israël t. 1 (cité supra n. 8), p. 29-59.

  • 13 Cf. La cinquième partie des Notes.

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