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Cet article propose une méditation trinitaire et christologique dans laquelle l’auteur montre comment le mystère de l’Incarnation révèle celui de la Trinité. En effet, l’unicité de la nature divine et la trinité des personnes divines sont attestées dans l’être et la vie du Verbe fait chair qui nous permet, notamment, de comprendre comment l’être-soi de chaque hypostase divine a la consistance de son être-pour-l’autre. Par ailleurs, la relation économique du Christ à l’Esprit (inversion trinitaire) nous enseigne sur la logique d’amour trinitaire dont le Fils est l’icône visible.

À la mémoire du Père Albert Chapelle, sj.

La méditation néo-testamentaire, notamment johannique et paulinienne, de l’Incarnation en situe la logique dans l’horizon trinitaire. Le prologue de saint Jean médite le « devenir chair » du Verbe dans la grammaire de son éternelle relation au Père. « Le Verbe était auprès de Dieu ... et le Verbe devint chair... et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité ... Nul n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique, qui est tourné sur le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,1.14.18). La grande hymne de saint Paul aux Philippiens décline aussi la kénose du Christ selon l’indicatif de sa communion à Dieu le Père dont il partageait la condition divine et de qui il reçoit son exaltation. « Lui de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même ... Aussi Dieu l’a-t-il exalté... pour que toute langue proclame de Jésus-Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,6 ...11). La véritable adresse du Verbe incarné est auprès du Père !

C’est pourquoi, le mystère de l’Incarnation, en ce qu’il est, nous révèle admirablement le mystère de la Trinité « enveloppé de silence aux siècles éternels » (Rm 16,25). La vérité du Dieu fait homme est prégnante de l’amour échangé par les personnes divines et dans lequel elles s’identifient. Car l’amour, qui est l’ultime motif de l’Incarnation, n’est pas d’abord mesuré par la condition finie et pécheresse de l’humanité, ni non plus déterminé par un besoin divin de susciter un partenaire d’alliance. Dieu est éternellement amour. L’Incarnation et l’exhaussement dont elle gratifie l’humanité en sont le déploiement et la manifestation. Cette herméneutique de l’Incarnation est « théo-logique » ; nous venons d’en énoncer les linéaments. L’Incarnation est diaphane du contenu et de la modalité de la vérité trinitaire qui s’imprime et s’exprime dans le mystère du Verbe fait chair.

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Dans l’Incarnation, Dieu se fait homme ; il devient ce qu’il n’est pas sans rien perdre de ce qu’il est de toute éternité. Celui qui est infini et parfait entre dans la condition finie de la créature ; celui qui est immortel et éternel, la source de toute vie, assume la mortalité des fils d’Adam ; celui qui possède par lui-même et en lui-même la béatitude souveraine entre dans l’histoire qui le mènera jusqu’aux souffrances et à la déréliction de la croix. Cependant aucun des attributs propres à la divinité n’est perdu par le Verbe qui s’incarne.

Ce devenir-autre, où rien n’est abandonné de ce qui le constituait hypostatiquement et essentiellement, est au cœur de l’Incarnation du Verbe. Il est signifié par la modalité de sa conception dans le sein de la Vierge Marie et de sa naissance. Marie conçoit sans avoir connu d’homme et elle enfante sans perdre sa virginité. L’épisode de l’adoration des mages est comme la sigillation de la théophanie propre à l’Incarnation : Dieu est reconnu et adoré dans la vulnérabilité d’un homme. La vie du Christ, marquée par la brutalité et l’opacité de toute vie humaine, est aussi transie d’événements qui en manifestent la divinité : il guérit les malades et ressuscite les morts ; il a pouvoir sur les éléments naturels (le vent et la mer qu’il apaise ; l’eau qu’il change en vin). Les enseignements du Christ sont pétris des mots et des images de notre humanité finie et pourtant la vérité divine s’y exprime : « Ils étaient frappés de son enseignement car il les enseignait comme ayant autorité » (Mc 1,22). Le mystère de la mort du Christ, où il peut encore exhaler l’Esprit de Dieu, et celui de sa résurrection, qui l’établit Fils de Dieu, scellent l’union, en sa personne, de l’humanité et de la divinité.

La coexistence, en Jésus Christ, des deux natures divine et humaine, signifie substantiellement la logique hypostatique des processions en Dieu. La vérité de l’altérité humaine, assumée sans effacement de l’identité divine du Verbe, traduit l’engendrement du Fils en lequel le Père pose l’autre de lui-même (qui n’est pas autre que lui-même). L’unicité substantielle de Dieu, préservée dans cet engendrement comme dans la procession de l’Esprit Saint, est admirablement exprimée dans l’unicité hypostatique du Verbe incarné. L’altérité intra-divine c’est-à-dire trinitaire, la possibilité pour Dieu de devenir l’autre de lui-même sans se perdre, est attestée dans l’union hypostatique des deux natures du Verbe incarné.

Nous avons énoncé comment l’assomption de l’humanité par le Verbe inscrivait en Dieu le chiffre de la finitude propre de l’humanité créée et blessée par le péché. Le Verbe s’est fait semblable à nous en tout à l’exception du péché mais la chair qu’il a enhypostasiée fut celle de l’humanité blessée par le péché : la fatigue, la souffrance et la mort du Christ en signent l’actualité. En amont, l’intégrité divine du Verbe ne l’exempte pas d’assumer intégralement la modalité essentielle et existentielle de l’humanité. Pour être celui en qui toutes choses ont été créées, le Christ ne se donne pas pour autant sa vie d’homme lui-même : il la reçoit de Marie obombrée par la puissance de l’Esprit Saint. Lui qui, comme Dieu, mesure et détermine l’existence de tout homme, dans ses tâches quotidiennes comme dans sa vocation la plus noble, doit apprendre à parler, marcher, vivre et aimer comme un homme. Lui, qui n’a rien perdu de l’intimité de communion qui l’unit éternellement au Père, fut initié par d’autres à observer les commandements de sa religion et à prier Dieu son Père. S’il n’eut d’autre désir et dessein que de faire librement et spontanément (sponte) la volonté de Celui qui l’envoya, il en reçut de son Père, par l’Esprit, l’indicatif et les instances ; il ignore même l’heure de sa parousie : « Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père seul » (Mt 24,36). Lui qui, enfin, donne la vie à toute chose se la fit prendre quand le Père le livra à ceux qui le livrèrent à la mort.

Cette coïncidence en Jésus-Christ de la liberté divine avec l’obéissance et la réceptivité propres de la créature décline quelque chose de la vérité du Dieu trinitaire. En Dieu, dans le mouvement d’amour trinitaire qui distingue les personnes dans leur union indéchirable, existe cette coïncidence de l’autonomie et de la dépendance, de l’immunité et de la réceptivité, de l’être-pour-soi et de l’être-pour-l’autre. Cette simultanéité, qui est la variation trinitaire du Dieu unique, est attestée et révélée par les caractéristiques de l’Incarnation que nous avons colligées. Elles nous révèlent de Dieu l’indice de son être trinitaire. L’extase divine du Père coïncide avec son ipséité. L’être-soi de chaque hypostase a la consistance de son être-pour-l’autre. Sans sacrifier à la précédence des actes sur les personnes (generat quia Pater et pas Pater quia generat), il faut dire que Dieu existe comme Père dans l’engendrement éternel où il pose le Fils avec lequel il spire l’Esprit Saint. À l’instar de Balthasar, on pourrait parler d’une kénose paternelle intra-trinitaire ; celle où le Père ne revendique pas pour lui-même le privilège de la divinité mais s’en fait déhiscent pour le Fils dans l’Esprit Saint. Cette « réceptivité » et ce partage du Père ont leur correspondant dans l’être trinitaire du Fils qui se reçoit intégralement de son Père et se remet à lui en toute intégrité. Cet échange est spiration active de l’Esprit Saint. La liberté du Verbe incarné, déployée à l’intérieur du cadre dessiné par la Volonté du Père, correspond, dans la Trinité, à son être hypostatique : le Fils éternel est tout ce que le Père lui donne d’être, c’est-à-dire ce qu’a et est le Père, mais selon la modalité filiale qui lui est propre. Parce que le Fils est l’image de son Père, il faut aussi d’une certaine manière penser cette coïncidence de la liberté et de la « nécessité » dans l’acte d’engendrement du Père. Celle-ci atteste que la prolation du Verbe n’est ni optionnelle, ni arbitraire. Si le Père avait pu ne pas engendrer le Fils, sa paternité serait un amoindrissement de sa divinité dans la mesure où celle-ci est, par nature, infiniment libre et sans la limite que la négation d’une potentialité impliquerait. Cette coïncidence ne peut être théologiquement entendue que selon une herméneutique de l’amour.

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La Trinité, telle qu’elle apparaît dans la réalisation du mystère du salut, nous révèle la Sainte Trinité elle-même. Les relations du Verbe incarné aux deux autres personnes de la Trinité disent celles qu’il a éternellement avec elles dans ce qu’on appelle parfois la Trinité immanente. Comme un leitmotiv de tout son enseignement, le Christ proclame son union indéfectible au Père : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30). Cette union se traduit par le fait que le Christ ne veut rien révéler sinon ce que le Père lui a donné de manifester. Il ne fait rien sinon ce qu’il voit faire par son Père. Cette communion correspond à son caractère iconique : « qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9).

Dans la vie du Christ, sa relation d’intimité avec le Père semble comme scellée dans l’Esprit Saint qui vient du Père et auquel il est lui-même uni. Avec le Père, le Christ partage la joie de l’Esprit Saint : « le Père vous donnera un autre Défenseur, l’Esprit de vérité, pour être à jamais avec vous » (Jn 14,16-17) ; « Je vous enverrai l’Esprit de vérité d’auprès du Père » (cf. Jn 15,26). Et l’Esprit rendra témoignage au Père et au Fils (cf. Jn 16,15).

La vie du Christ est donc spécifiquement marquée par son union au Père et à l’Esprit Saint. Mais dans sa relation économique à l’Esprit quelque chose semble inversé par rapport à sa relation éternelle. Tandis qu’en Dieu l’Esprit procède du Père et du Fils, c’est inversement par l’Esprit que le Fils devient homme et par le même Esprit qu’il est guidé dans sa mission. Jésus est conçu par la Vierge Marie visitée par le pouvoir de l’Esprit (cf. Mt 1,18). Son baptême inaugure une vie menée par l’Esprit Saint qu’il reçoit alors : « Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau : et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui… Alors Jésus fut emmené au désert par l’Esprit » (Mt 3,16 ; 4,1). Jésus parcourra la Galilée et la Judée dans la puissance de l’Esprit Saint, et par lui expulsera les démons, guérira les malades et tressaillira de joie (cf. Lc 10,21). Tout se passe comme si l’Esprit Saint exerçait un rôle de médiation dans le rapport de mission entre le Père et le Fils venu dans la chair.

Ce rôle de l’Esprit doit pouvoir être compris comme la traduction économique des relations intra-trinitaires du Père et du Fils. L’inscription de la propriété filiale dans l’amour du Père, interprétée comme un acte de réception active de la part du Fils, s’énonce, dans l’économie, par l’inversion trinitaire. Précisons encore. Deux attitudes se rejoignent dans la vie du Christ : l’obéissance totale (s’exprimant en pauvreté et abandon) et la liberté souveraine (s’exprimant en autorité). Pour autant que Jésus est obéissant, l’Esprit descend sur lui comme celui qui montre la volonté du Père. Pour autant que Jésus est souverainement libre, l’Esprit demeure en lui comme amour filial. L’attitude d’obéissance l’emporte dans l’existence de Jésus et elle est manifestée par l’inversion trinitaire. Celle-ci traduit économiquement la distance intra-trinitaire entre le Père et le Fils qui consiste en leur relation d’origine. Le Père est celui qui n’est pas engendré mais qui engendre, tandis que le Fils est celui qui est engendré mais qui n’engendre pas de telle sorte que le Fils reçoit alors toute sa divinité et tout son être filial du Père : c’est l’aspect de sa réceptivité et de sa disponibilité filiales. Sa docilité à l’Esprit dans la chair atteste son éternelle disponibilité filiale.

Dans l’état d’abaissement du Christ, l’aspect d’égalité commune entre le Père et le Fils, et l’aspect subjectif de l’Esprit1, qui exprime la commune spiration active de l’Esprit par le Père et le Fils, s’effacent dans l’histoire du salut, pour mettre en pleine lumière la distance et la réceptivité du Fils par rapport au Père : l’aspect objectif de l’Esprit, qui exprime la différence et l’altérité des trois Personnes divines, rend ainsi possible l’obéissance sotériologique du Christ. Mais l’autre aspect — de l’entente parfaite entre le Père et le Fils — reste présent dans l’abaissement du Christ comme disposition fondamentale, afin qu’il puisse, sans aucune hétéronomie, se livrer à la volonté du Père. Nous pouvons donc apprécier dans cet aspect de l’Incarnation comment se fondent en Dieu une certaine obscurité, un effacement de la puissance. Ceux-ci sont toujours l’œuvre de l’amour et son expression économique.

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Dans la personne du Verbe incarné, nous contemplons la figure de Dieu : en lui, Dieu, que nul homme n’a jamais vu, se donne à voir comme le fond dans la figure esthétique où il se montre. En effet, la figure n’existe pas en elle-même et pour elle-même, elle est révélation d’une profondeur. Simultanément, la profondeur, à laquelle renvoie la figure, est présente dans la figure elle-même et non dans un arrière-fond. La figure comme apparition relève de l’ordre phénoménal mais ne s’y réduit pas ; la profondeur ontologique lui est inhérente. Le fond se présente dans la figure car il y est présent.

Entre le Christ et Dieu le Père qu’il révèle, il existe le même double mystère de distance et d’intimité qui unit le fond et la figure. Cette polarité traverse la vérité du Verbe incarné, vrai Dieu et vrai homme. C’est ainsi qu’il est ce qu’il révèle, c’est-à-dire Dieu (identité), mais il n’est pas celui qu’il manifeste, c’est-à-dire le Père (altérité). Le fait de l’Incarnation confirme encore, dans la dialectique du fond et de la figure, l’articulation du nombre en Dieu. L’identité divine essentielle fonde la distinction (distance) hypostatique. Le subsistere de chaque hypostase est ainsi identifié dans sa propriété sans qu’il y ait d’opposition à la nature divine ni confusion des personnes. Cette dialectique atteste ainsi l’excès déployé par le mouvement divin trinitaire, à savoir que Dieu est toujours plus grand : « Deus semper major ! ». Le Père ne s’épuise pas dans son image proférée mais il ne s’extasie jamais que dans celle-ci ; la plénitude divine ne s’épuise pas dans l’engendrement du Fils, éternellement elle s’excède dans la spiration, commune au Père et au Fils, de l’Esprit d’Amour.

L’Incarnation est ordonnée au salut des hommes et à leur divinisation parce qu’elle est manifestation de l’amour intra-trinitaire, de l’amour divin de l’humanité et ultimement révélation de Dieu lui-même. Comme figure de révélation, l’Incarnation trouve un premier achèvement dans le Crucifié, rejeté par les hommes et défiguré par la souffrance. C’est vers ce paradoxe que s’achemine l’Incarnation toute ordonnée vers la Passion. Ainsi, même la mort et la laideur du péché cristallisées dans le Crucifié révèlent Dieu. Balthasar écrit à ce sujet « que l’abandon du Fils s’offre comme la manifestation économique du don aimant de la Trinité dont le Père est la source »2. L’amour intra-trinitaire se révèle donc en son contraire dans la sigillation du non-amour, c’est-à-dire du péché sur la Croix. S’indique ici en filigrane comment l’Incarnation, qui révèle le mystère trinitaire, exhausse la logique analogique de la révélation. Si dans l’analogie il faut se souvenir que la dissemblance est encore plus grande que la ressemblance (cf. quatrième concile de Latran), alors dans la figure du Verbe incarné crucifié, est portée à son comble la manifestation analogique de Dieu dans la dissemblance !

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En conclusion, nous aimerions énoncer deux déterminations théologiques qui fondent notre propos. La première a été évoquée dans l’incipit. La logique de l’Incarnation est révélatrice du mystère de la Trinité en tant qu’elle s’exprime comme logique de l’amour. Mais inversement, la réalité de l’Incarnation est portée par la vérité de l’amour dans les relations trinitaires. En effet, l’essence divine ne préexiste pas à la déhiscence intra-divine en laquelle le Père engendre le Fils et spire avec lui, comme d’un seul principe, leur Esprit commun. Autrement, il y aurait en Dieu non pas une trinité mais une quaternité. La prolation du Verbe est transmission sans retenue par le Père, source de toute divinité, de la substance divine. Le Fils ne possède rien d’autre que toute l’essence divine du Père ; la modalité d’être cette divinité varie cependant : il la possède comme étant donnée et reçue. L’essence divine est donc coextensive à l’événement des processions ; elle n’existe que comme « paternelle, filiale et pneumatique ; elle peut être décrite comme la manière d’être l’une dans l’autre de chaque hypostase et c’est ainsi qu’elles dessinent ensemble le visage unique, libre et personnel de Dieu »3. Dans l’économie trinitaire du salut, l’amour est le motif du don du Fils et de l’Esprit. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16) ; « Le Père aime le Fils » (Jn 5,20). Dans l’amour sont scellés l’auto-donation du Père au Fils et le don du Fils au monde par le Père. Selon la logique explicitée, nous pouvons étendre cette affirmation : la sigillation du don dans l’amour, du point de vue économique, est significative de la vie de la Sainte Trinité. Le dépouillement intra-trinitaire est déclinaison de l’amour : amour qui est le chiffre de la divinité.

La seconde détermination concerne le statut d’expressivité par le Fils de la Trinité tout entière. Encore une fois, ce statut lui appartient hypostatiquement. Le Père invisible peut et veut s’extérioriser et s’exprimer, se dire dans son Verbe proféré. Le motif de cette extase divine n’est autre que l’amour. Le contenu du Verbe proféré est identiquement l’amour. « Si donc le Logos de Dieu est défini comme le lieu où se développe une logique divine, celle-ci sans se supprimer elle-même en tant que logique ne peut être qualifiée que comme une logique de l’amour »4. Si l’hypostase du Fils est constituée par l’entière réception de tout ce qui appartient au Père, alors son subsistere doit intégrer le dynamisme du Père exprimé dans l’amour donné, partagé. Il appartient à la personne du Fils unique comme telle d’être un dynamisme qui suscite l’autre de lui-même, qui n’est pas autre que lui-même : Filioque ! Le Fils spire l’Esprit avec le Père ; le Père donne à son Fils, dans l’auto-donation qui le suscite, d’être lui aussi, avec lui, principe originant de l’Esprit Saint. Et la procession de l’Esprit se situe dans l’acquiescement du Fils au Père en même temps que dans son dépassement ; elle est simultanément dans la concaténation de la double déhiscence intra-divine et dans la fécondité du retour du Fils au Père. Le Verbe exprime la Trinité tout entière, c’est-à-dire l’amour du Père et l’Esprit d’Amour dans lequel se noue leur amour. Il devient ainsi l’expression de la Trinité tout entière ; ou, en d’autres termes, il est l’amour trinitaire entier dans la forme de l’expressivité.

Cette logique inscrite dans la vie de la Trinité Sainte vaut aussi pour la Trinité dans l’Économie. La mission du Fils est le prolongement et l’accomplissement, dans le monde, de la réalité de sa procession. Il est envoyé par amour tout en étant l’amour qui envoie. Comme dans l’éternelle Trinité, l’achèvement de sa mission est lié au don de l’Esprit au monde et à la reddition de l’Esprit au Père : « Recevez l’Esprit » (Jn 20,22), « Père entre tes mains je remets mon Esprit » (Lc 23,46).

Notes de bas de page

  • * L’auteur de cet article, docteur en théologie de l’Institut d’Études Théologiques de Bruxelles avec une thèse intitulée Le chiffre trinitaire de la vérité chez Hans Urs von Balthasar. La Trinité comme principe d’intelligibilité de l’articulation de la philosophie et de la théologie dans La Théologique, vient de publier La Théologie de Balthasar, coll. Essais de l’École Cathédrale, Paris, Parole et Silence, 2005, 162 p.

  • 1 Nous faisons ici allusion à la pneumatologie de Balthasar à laquelle nous empruntons les concepts d’Esprit subjectif et d’Esprit objectif. « Nous avons signalé l’impossibilité d’approcher l’Esprit Saint autrement que par deux côtés : comme quintessence (subjective) de l’amour réciproque du Père et du Fils, et en tant qu’il se manifeste lui-même alors comme leur lien (nexus) et comme fruit (objectif) résultant de cet amour et l’attestant » (von Balthasar H.U., La Théologique. III. L’Esprit de vérité, tr. J. Doré et J. Greisch, Bruxelles, Culture et Vérité, 1996, p. 151).

  • 2 von Balthasar H.U., La Dramatique divine III. L’action, tr. R. Givord et C. Dumont, S.J., Namur, Culture et Vérité, 1990, p. 308.

  • 3 Cf. Id., La Théologique. II. Vérité de Dieu, tr. B. Déchelotte et C. Dumont, S.J., Bruxelles, Culture et Vérité, 1995, p. 148.

  • 4 Ibid. p. 164.

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