Traduction d'un original américain (2015), le livre d'André
Lacocque porte un titre qui rappelle celui d'un autre ouvrage en
provenance du même continent : Jesus, a Marginal
Jew de John P. Meier (trad. française : Un
certain juif Jésus, Paris, Cerf, 5 vol., 2004-2018).
« Marginal » ou « central », les deux auteurs
s'accordent en tout cas totalement sur la judaïté de Jésus, même
s'ils la perçoivent de façon quelque peu différente. Pour mener son
enquête sur le Jésus historique, le professeur émérite du Chicago
Theological Seminary s'appuie surtout sur les évangiles synoptiques
- eux-mêmes pétris de références aux Écritures - et, de façon plus
occasionnelle, sur l'évangile de Jean (dont la recherche récente a
pourtant relevé l'intérêt pour l'histoire) et sur les écrits de
Paul. Il utilise aussi abondamment la littérature rabbinique. Après
les propos introductifs, son parcours se déroule, de manière somme
toute assez classique, en 16 étapes : Jésus (J) le
messie ; J, le Fils de l'homme ; J, le guérisseur ;
J et la Torah ; J et Moïse ; J et Israël ;
l'enseignement en paraboles ; les récits de naissance ;
le baptême de J ; la conscience de soi de J ; J est
trahi ; le procès de J et sa passion ;
l'expression egô eimi ; le cri de J sur la
croix ; J et la résurrection. La section la plus développée et
- à mon avis - l'une des plus intéressantes est celle qui concerne
le rapport de Jésus à la Torah (p. 145-266) dans laquelle l'A.
discute notamment les positions de E.P. Sanders (Jesus and Judaism,
1985) sur le pur et l'impur et celles de A.-J. Levine (The
Misunderstood Jew, 2006) sur le divorce. Il y présente aussi le
concept si important de « Royaume de Dieu » dans la
prédication de Jésus. En terminant ce chap. par un commentaire de
la parabole du bon Samaritain, il écrit : « En résumé,
l'herméneutique de Jésus n'autorise pas la loi à ne rester
qu'une loi ! (…) Pour Jésus, la Torah n'est pas un simple
dispositif légal (…). La Torah, en qualité de loi, requiert sa
propre transcendance » (p. 263). Comme le prouve la
conclusion générale de l'ouvrage (p. 545-554), le problème
avec ce genre d'approches - centrées sur le fait que « ce sont
les judaica qui fixèrent les limites et furent
la référence du témoignage chrétien primitif » (p. 545)
-, c'est qu'elles rendent parfois difficile la compréhension de
l'évolution postérieure : « Dès le moment où le
christianisme rompit les amarres qui le reliaient au judaïsme (…),
il perdit sa « virginité » et se mit à donner forme à une
idéologie païenne de nature mythologique. Selon moi, la principale
victime en fut Jésus, le juif central. Il a inauguré l'ère
eschatologique, mais la « nouvelle » Église mit un frein
à l'histoire » (p. 553-554). Une position finalement pas si
éloignée de celle d'Alfred Loisy (« Jésus annonçait le
Royaume, et c'est l'Église qui est venue »). S'il faut
apprécier le fait que cet ouvrage ait été traduit aussi rapidement,
il est regrettable que le travail d'édition n'aille pas jusqu'à
bout, notamment en ne reprenant pas les index présents dans
l'original et si utiles pour ce genre d'ouvrage ! - D. Luciani