Judaïsmes. De l'hébraïsme aux messianités juives

A. Abécassis
Religions - Recenseur : Jean Radermakers s.j.
On connaît les travaux remarquables de l'A.: rappelons: A Bible ouverte, avec Josy Eisenberg (A. Michel 1981, 1991-1993; La pensée juive (LGF, 1987-1996); Les temps du partage (A. Michel 1993); En vérité je vous le dis: une lecture juive des Evangiles (Editions 1, 1999). Il nous offre à nouveau, en deux tomes, une étude originale et tout à fait bienvenue: faisant suite à L'univers hébraïque. Du monde païen à l'humanisme biblique (A. Michel 2003), ce volume sur les «judaïsmes» est en fait une histoire de la mémoire de l'histoire. Histoire interprétative de la conscience juive en quelque sorte, d'une grande pertinence et d'une intelligence pénétrante.
Nous en trouvons le propos, essentiel, dès le début de l'introduction: «Lire la Bible, c'est d'abord tenir compte du milieu culturel au sein duquel les écrits apparaissent. Mais c'est aussi tenir compte de l'ordre canonique de ses livres établi par les rabbins» (p. 9). Il ajoute: «L'ordre canonique des livres bibliques fut fixé par les maîtres du judaïsme et non par ceux de l'hébraïsme», entendant par là la société juive qui succéda à l'hébraïque au retour d'exil (fin du VIe s. avant notre ère)… «Si bien que la Bible est hébraïque dans les événements qu'elle raconte et juive dans leur ordonnancement. Le regard porté sur elle est donc double, mais son unité est garantie par les traditions qui y sont gardées et fixées par l'écriture, plutôt que par les événements racontés en tant que tels». Ce constat exclut toute lecture fondamentaliste comme tout historicisme, en même temps qu'il implique que l'Écriture soit lue dans la tradition d'Israël d'abord. «Ce qui doit intéresser (le lecteur), c'est la structuration de la mémoire hébraïque et de la mémoire juive qui lui succède, mémoires non de l'histoire du monde, mais de la lecture hébraïque et de la lecture juive du monde et de l'histoire». Ce constat de l'histoire des textes s'accorde, notons-le, avec les travaux des chercheurs modernes qui ont dépassé l'«historico-critique», avec cette différence que ceux-ci connaissent beaucoup moins bien les modes d'interprétation hébraïques et juifs, d'où l'éminent service que nous rend l'A.
Il s'agit en effet des rapports qu'Israël entretient avec YHWH, compte tenu des milieux réels où ses expériences furent consignées par écrit. Ainsi, l'histoire de la royauté telle qu'elle est écrite se solde par un échec parce que les rois ont cherché leur propre puissance au lieu de la fidélité à l'Alliance. Aussi devons-nous lire la Bible selon l'articulation du texte canonique et non comme une succession de documents chronologiques. L'A. développe alors les réinterprétations de la Torah par les prophètes et les écrits de Sagesse. La question est «Comment relier la Loi transcendante à l'immanence territoriale, politique, juridique, sociale et économique?» (p. 15). Faisant suite au premier tome qui montrait l'émergence du monothéisme biblique face au monde païen, celui-ci manifeste comment prophètes et hagiographes ont interprété l'articulation de la Loi révélée et de la réalité humaine. D'où l'histoire de l'interprétation juive à travers la prophétie, puis à la fin de l'exil: réflexions sur la souffrance, la loi, la vision de l'histoire, la naissance du Talmud comme dialogue des interprétations, puis la confrontations des judaïsmes éclos dans les civilisations perse, hellénistique et chrétienne. Le dernier chapitre est significatif pour les chercheurs chrétiens, avec un dernier paragraphe sur «la Loi constructive d'identité» (p. 490).
Nous recommandons ce grand ouvrage de l'A. aux exégètes chrétiens, aux historiens du christianisme naissant comme aux lecteurs intéressés par nos racines communes. Écrit avec un souci de rigueur et de probité, il jette une vive lumière sur la signification pérennelle de la judaïté, diffractée en de nombreux «judaïsmes». Merci à A. d'apporter une contribution positive et substantielle, loin de toute polémique, à la compréhension du judaïsme par lui-même, et au dialogue judéo-chrétien. C'est une oeuvre majeure de maturité et de généreuse responsabilité. Ses derniers mots interpellent: «Nous attendons des chrétiens le témoignage de l'esprit des prophètes qui gardaient toute leur lucidité quand ils examinaient les conduites de leur peuple, parce qu'ils lui manifestaient leur amour inconditionnel» (p. 492). - J. Radermakers sj

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