La nuée et le feu. Judaïsme, christianisme et modernité après l'Holocauste

I. Greenberg
Œcuménisme - Recenseur : Albert Chapelle s.j.
L'A., rabbin à New-York, a fondé avec E. Wiesel un organisme destiné à nourrir le dialogue entre les diverses tendances de la communauté juive mais aussi avec les chrétiens et les incroyants. Peu d'ouvrages francophones (Wiesel, Fackenheim, Jonas et Pardès, 1989) rapportent la réflexion religieuse juive sur l'Holocauste, terme préféré en Amérique à celui sécularisé de Shoah. Cet essai, issu d'un texte prononcé en 1974 lors d'une rencontre entre juifs et chrétiens, ne traite pas d'Auschwitz au passé, mais du défi que l'événement représente aujourd'hui pour le judaïsme, des questions qu'il pose aux chrétiens et de la nouvelle distinction qu'il dessine entre croyants et non croyants. Judaïsme et Christianisme, religions de la rédemption, sont affrontées à l'Holocauste. Le défi n'est pas moindre pour la culture moderne, sa «barbarie diabolique» (p. 43) et sa faillite morale attestée par la complicité de l'humanisme libéral avec le crime. Ainsi les Einsatzgruppen réunissaient avocats, architectes, économistes, banquiers, enseignants, dentistes et… un pasteur (p. 46). Ainsi «dans le complexe industriel d'Auschwitz, l'usine de fabrication de caoutchouc synthétique de Buna fut bombardée, mais l'usine de la mort ne mérita pas tant d'attention» (p. 48). L'Holocauste révèle à l'A. les contradictions de la pensée et de la foi, la tension dialectique de la mort et de la vie. Les résistances juives et chrétiennes à cette nouvelle révélation ne lui paraissent pas seulement théologiques - encore que celles-ci semblent ici sous-évaluées.
Les réponses de la théologie juive à l'Holocauste ne se contentent pas de la traditionnelle confession des fautes; elles ne se satisfont pas de la désespérance de l'athéisme; fût-ce par intermittence, la foi dialectique est encore possible. L'actualité de l'Exode l'atteste: l'effondrement de l'absolu séculier (p. 71-74) manifeste en creux l'urgence éthique créée par l'Holocauste; «la nécessité morale du monde à venir… et même de la résurrection» (p. 74). La renaissance de l'État d'Israël confirme la foi traditionnelle dans la rédemption. Après l'Holocauste, Job encore nous enseigne une autre rencontre avec Dieu. Un insurpassable exemple nous en est donné par Y. Rakover qui, à la dernière heure du ghetto de Varsovie, parle à Dieu et lui reproche sa colère et son incohérence (p. 9, n. 1; la version authentifiée de ce document d'époque a été publiée par Zvi Kolitz, 1998). «Enfin, la description du Serviteur souffrant dans le livre d'Isaïe… ressemble à un extrait du témoignage sur l'Holocauste» (p. 86). Ce «modèle négligé» marque les limites de la modernité, même si la destinée du témoin, frappé à cause des péchés de tous les hommes, peut rester indéchiffrable et trop facilement récupérée. Les Lamentations (ch. II) crient elles aussi le drame d'avoir été abandonné par Dieu. Cette controverse avec Lui ne manque pas de s'étendre aux Évangiles: «Si la vraie foi consiste à porter sa croix pour Dieu, l'Holocauste n'était-il pas l'heure de vérité, le moment où il fallait accepter, si nécessaire, d'être crucifié?» (p. 94).
Après l'Holocauste, l'essence du témoignage religieux, suivant l'A., est de recréer l'image de Dieu en donnant la vie aux hommes. La construction de l'État d'Israël - fût-ce par des laïcs ou des athées - livre ce combat par la force de vie messianique. Pour l'A. en effet, l'Holocauste a détruit la signification des catégories «séculier» et «religieux». L'État d'Israël avec la loi du Retour constitue une illustration des liens nouveaux, imposés par la mort et la survie, entre séculier et religieux. La tension dialectique n'en demeure pas moins; elle est à supporter contre l'humanisme séculier, contre aussi «la supériorité de l'esprit sur la chair». L'Israël selon la chair, lui, n'a pu échapper à l'Holocauste; «c'est le sens de l'élection dans la foi juive» (p. 119). Le chrétien se trouve ici invité à regarder ceux qu'il a transpercés comme assimilés par le martyre au Serviteur souffrant, à l'Élu de Dieu, au Fils de son Amour.
La présentation de R. Dulong, P. Gruson et M. Taugis, p. 5-23, aide le lecteur à situer l'ouvrage dans le contexte religieux américain et en référence à l'ouvrage majeur de I. Greenberg, The Jewish Way, New York, 1993. - A. Chapelle, S.J.

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