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La prière interreligieuse et l’Église catholique*

Risto Jukko
Cet article traite de la prière interreligieuse officielle dans l’Église catholique romaine. Après le Concile Vatican II, l’événement le plus important dans ce domaine a été la journée mondiale de prière interreligieuse pour la paix à Assise en 1986. Les fondements théologiques en sont la doctrine de la Trinité, la théologie de la création, la présence universelle de l’Esprit et le royaume de Dieu. La prière interreligieuse est un défi pour la théologie chrétienne des religions qui pose la question des relations entre les personnes divines et leurs liens avec l’ecclésiologie.

I La prière interreligieuse et la journée mondiale de prière pour la paix à Assise en 1986

Durant les deux dernières décennies, un intérêt croissant s’est ressenti pour la spiritualité entre traditions, dans le domaine du dialogue interreligieux, et notamment pour la prière commune entre les religions. Cet intérêt fait vraisemblablement partie d’un mouvement plus général propre à la théologie chrétienne : dans les années 1960, l’accent a été mis sur la présence de Dieu au centre de la création et dans le prochain, mais, à la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle, il semble s’être déplacé vers une expérience personnelle et immédiate de transcendance, de Dieu donc.

Il faut aussi noter que l’intérêt pour le dialogue et la spiritualité interreligieux traverse les différentes confessions et Églises chrétiennes1. D’une certaine manière, cet intérêt est signe de la recherche spirituelle de notre temps, autant qu’il est permet aux religions de s’immiscer dans les relations entre l’État et la société civile. Ainsi, même si l’État français fait par principe une nette distinction entre la religion et l’État, c’est lui qui a pris l’initiative d’organiser des célébrations interreligieuses après de grandes catastrophes nationales ou internationales, telles la chute du Concorde à Paris en 2000 ou les événements du 11 septembre 2001. Les représentants officiels de l’État laïque ont participé à ces prières interreligieuses. Ces célébrations avaient à la fois une dimension religieuse et éthique. L’État reconnaissait par là que les religions ont une importance pour la société, et pour la paix en général au plan local, national et international2.

La prière interreligieuse peut être scindée en deux catégories : d’une part, la prière informelle qui a lieu entre fidèles de différentes religions lors de rencontres quotidiennes et de l’autre, la prière formelle préparée à l’avance et qui a souvent lieu lors de rencontres entre représentants officiels des religions3. Un aspect important lié à ces célébrations interreligieuses est d’ordre terminologique. Au lieu d’utiliser le mot “prière”, on parle volontiers de “prière et méditation” ou de temps de “recueillement”. Le mot “Dieu” pourra aussi être remplacé par l’expression “réalité ultime”. Les sujets difficiles sont à éviter. En France cela signifie que pour un sujet sensible comme la situation au Moyen-Orient, on évitera les signes sensibles évoquant les rapports entre religion et politique.

Pour la foi chrétienne, en référence à la création, la prière est inséparable de l’histoire humaine et de la tradition des religions. Le fait qu’il puisse y avoir une prière commune pour tous les hommes rend aussi possible le dialogue entre les religions. Dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi du 8 décembre 1975, Paul VI constate que les religions « ont appris à des générations de personnes à prier »4. Or, du point de vue des relations entre traditions, la prière interreligieuse signifie que les valeurs de toutes les religions sont reconnues, même si l’on constate dans les faits qu’il ne s’agit pas d’une prière commune, mais uniquement du fait d’« être ensemble pour prier ».

En octobre 2006 on a fêté les vingt ans de la journée mondiale de prière interreligieuse pour la paix à Assise. C’est à Jean-Paul II en personne qu’on doit l’initiative de cette journée de prière5. Quelques jours auparavant, il en avait expliqué l’idée fondamentale :

C’est pour cela qu’a été choisie pour la rencontre d’Assise la formule : être ensemble pour prier. Certes, on ne peut pas “prier ensemble”, c’est-à-dire faire une prière commune, mais nous pouvons être présents quand les autres prient. De cette manière, nous manifestons notre respect pour la prière d’autrui et pour l’attitude des autres devant la Divinité ; en même temps, nous leur offrons le témoignage humble et sincère de notre foi dans le Christ, Seigneur de l’Univers6.

Jean-Paul II définit aussi ses orientations. Il réfute les accusations de syncrétisme7 et propose un modèle pour pratiquer la prière interreligieuse : dans une célébration de ce type, les chrétiens et les autres ne peuvent pas faire une prière commune8, mais ils peuvent venir ensemble pour prier — chacun dans son groupe — et ils peuvent assister à la prière des autres. Tel est bien le sens de l’expression papale « être ensemble pour prier »9. Les raisons essentielles pour adopter cette expression étaient, sans doute, multiples : le fait d’une rencontre publique au niveau institutionnel et officiel, le manque de préparation commune, la diversité des religions présentes, l’absence de connaissance mutuelle préalable, sans oublier le fait aussi qu’il n’avait pas été demandé aux participants de choisir ensemble les textes de prières10. Quoi qu’il en soit, le même modèle a été utilisé pour la journée de prière en 200211. À l’arrière-plan, le manque de référence commune à la révélation biblique, à la tradition de l’Église et au magistère pontifical, étaient certainement décisives.

L’attitude de Jean-Paul II vis-à-vis de la prière interreligieuse peut être considérée comme ouverte, quoique prudente. Lui-même était d’avis que la place de la prière et de la louange dans le dialogue interreligieux n’allait pas sans poser des questions théologiques et pastorales12. Mais il était convaincu que « la prière authentique change déjà le cœur de l’homme »13. Aussi le cardinal Francis Arinze, à l’époque président du Secrétariat pour les non-chrétiens, a souligné le caractère spirituel, non-terrestre, de la rencontre d’Assise : « [Assise n’a pas voulu suggérer] que les religions peuvent être réconciliées sur le plan d’un engagement commun dans un projet terrestre qui les dépasserait toutes »14.

La ville d’Assise a été choisie comme lieu de rencontre pour la figure emblématique de François d’Assise (1182-1226)15. Environ cinquante chrétiens et autant de non-chrétiens ont été invités à la journée mondiale de prière. Parmi ces derniers se trouvaient des juifs, des bouddhistes, des musulmans, des hindous, des représentants des religions traditionnelles d’Amérique et d’Afrique, des shintoïstes, des sikhs, des jaïns, et des zoroastriens. La journée du lundi — lundi n’est un jour saint ou de repos pour aucune religion — a été divisée en trois parties. Devant la basilique Sainte-Marie-des-Anges, à 9 heures, Jean-Paul II a salué individuellement chacun de ses hôtes, environ septante délégations, puis il a expliqué à tous le déroulement de la journée. Il a affirmé clairement qu’il ne s’agissait pas d’une conférence interreligieuse sur la paix, ni de la recherche d’un consensus religieux : « Ce jour est donc un jour consacré à la prière et à ce qui va avec la prière : le silence, le pèlerinage et le jeûne »16.

La deuxième partie de la journée s’est déroulée de 11h à 13h30. Pour les représentants de chaque religion, un bâtiment spécifique avait été réservé. Ils y ont prié selon leur religion, rite et tradition, tandis que tous les chrétiens priaient ensemble dans la cathédrale de San Rufino17. La dernière partie de la journée a commencé à 14h par une marche silencieuse à la basilique de Saint-François, les participants n’ayant pas déjeuné. Elle s’est passée de 14h30 à 17h sur l’esplanade de la basilique inférieure de Saint-François. Chaque religion, tour à tour, disposait de cinq minutes pour exprimer sa prière pour la paix en présence des représentants des autres religions. L’ordre était le suivant : d’abord les bouddhistes, puis les hindous, les jaïns, les musulmans, les shintoïstes, les sikhs, les religions traditionnelles, les zoroastriens, les juifs, et enfin, les chrétiens. Chaque prière était suivie d’un moment de silence. Le Pape a prononcé le discours final18, suivi d’un repas commun et frugal.

Le thème de la journée de prière à Assise était la paix, choisi en partie parce que les Nations Unies avaient proclamé l’année 1986 Année internationale de la paix. Le pape Jean-Paul II a remarqué à Assise : « Ou bien nous apprenons à marcher ensemble dans la paix et l’harmonie, ou bien nous partons à la dérive pour notre ruine et celle des autres »19. Les religions sont l’antidote le plus puissant contre la violence et les conflits ; elles doivent absolument œuvrer pour la paix20. En 2004, Jean-Paul II insistera à nouveau : « Le conflit n’est jamais inévitable ! Et les religions ont le devoir particulier de rappeler à tous les hommes et les femmes cette conscience qui est, dans le même temps, don de Dieu et fruit de l’expérience historique de tant de siècles. C’est ce que j’ai appelé “l’esprit d’Assise” »21. Dans les documents du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, la paix et la prière interreligieuse vont de pair, et la rencontre d’Assise en 1986 y est souvent mentionnée. « Il existe une autre dimension de la paix et une autre manière de la promouvoir, qui ne sont pas le résultat de négociations, de compromis politiques ou de marchandages économiques. Elles résultent de la prière qui, dans la diversité des religions, exprime une relation avec une puissance suprême qui surpasse nos seules capacités humaines »22. Prier est particulièrement nécessaire pour la paix, et la paix ne peut être obtenue ultimement qu’en la demandant à Dieu23. Elle est un don de Dieu en Jésus-Christ. Ce don doit faire l’objet de notre prière pour tous les peuples24. Jean-Paul II croyait fermement que la paix et le Christ sont intimement liés25. La paix se construit sur quatre piliers : la vérité, la justice, l’amour et la liberté26.

En 2002 le pape a parlé de deux fondements : la justice et le pardon. Il est intéressant de noter qu’en fait ces deux fondements incluent les quatre piliers dont il avait naguère fait mention. Pour lui, la justice implique le respect des gens et des peuples, celui des droits et libertés de chaque être humain, et en ce sens la liberté. Le pardon, quant à lui, guérit les blessures intérieures et les relations brisées, mais il n’est pas possible sans vérité et sans amour. Selon Jean-Paul II, la prière est donc un moyen pour retrouver, en présence de Dieu, les éléments fondamentaux pour la réalisation de l’humanité véritable. En outre, elle est la meilleure façon de joindre les gens les uns aux autres27. Le point de départ de la paix est à chercher dans la vie de prière intérieure à chaque individu, même si on parle par ailleurs de prière interreligieuse28. Cette idée ne contredit pas le fait que la paix se trouve également entre les mains des nations et des hommes politiques qui prennent des décisions29.

Le modèle utilisé à Assise n’est pas le seul modèle possible pour une prière interreligieuse. Le Père Jacques Dupuis souligne la diversité des situations locales et l’importance des aspects pastoraux dans la prise en considération des distinctions entre traditions religieuses. Ainsi il est important pour lui de distinguer, par exemple, entre les trois religions dites monothéistes ou prophétiques, qui ont une origine historique commune dans la foi d’Abraham et les religions de l’Orient, dites mystiques. L’appartenance à une même famille de religions donne un avantage important pour une prière partagée. Ainsi la prière commune entre chrétiens et nonchrétiens est possible et même souhaitable, à condition que cette diversité de situations soit constamment prise en considération30.

II Des fondements théologiques de la prière interreligieuse

La prière interreligieuse appelle toujours le discernement théologique31. Les chrétiens se doivent de réfléchir à ce que signifie la prière pour le christianisme et les religions non-chrétiennes. La spiritualité interreligieuse — et tout particulièrement la prière interreligieuse — peut être évaluée théologiquement avec les mêmes critères que le dialogue interreligieux en général. Nostra Aetate parle de l’origine de la race humaine comme d’une création de Dieu, et de la rédemption comme d’une œuvre de Dieu pour le destin commun de l’humanité. Dans un discours à la Curie suite à la rencontre d’Assise, Jean-Paul II reprend à son compte ces affirmations. Pour les êtres humains, peu importe leur culture ou tradition religieuse, il n’y a qu’un seul dessein de Dieu, qu’une seule origine et qu’une seule fin. C’est pourquoi les différences entre êtres humains sont moins importantes que leur unité, laquelle est radicale, fondamentale et déterminante32. Non seulement, dans ce discours, Jean-Paul II parle de l’origine et du destin commun de la race humaine, mais il mentionne aussi la présence active de l’Esprit Saint dans tous les hommes, et particulièrement dans toutes les prières sincères qui partent du for intérieur de l’être humain, qu’il soit chrétien ou non. « Nous pouvons en effet retenir que toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme »33.

Pour la prière interreligieuse, un autre fondement important est l’universalité du royaume fondé par Dieu en Jésus-Christ. Cela ne signifie rien d’autre que la présence universelle du mystère du salut en Jésus-Christ. Gaudium et Spes parle du Christ Jésus comme de l’homme nouveau qui est mort pour tous. L’Esprit Saint peut offrir à chacun la possibilité de participer au mystère pascal34. Mais, aussi bien les chrétiens que les non-chrétiens sont participants au royaume de Dieu, et en sont les bâtisseurs. Un partage commun fait partie de la construction de ce royaume. De ce projet, la prière en commun peut être une manifestation profonde35.

Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux a publié un document qui s’appelle « Résultats de consultation exploratoire sur la prière interreligieuse : Déclaration finale (Bangalore, Inde) »36. Ce document exhorte à la prière interreligieuse : « La participation à la prière interreligieuse n’est pas une activité optionnelle, limitée à un groupe d’élite, mais un appel urgent à un nombre croissant de chrétiens d’aujourd’hui, et elle devrait concerner chaque chrétien »37 ; cette prière est un signe de la fidélité des chrétiens à l’Évangile. Jésus exhorte à donner et à recevoir l’hospitalité (p. ex. Luc 10,7) : cette hospitalité devrait s’étendre aussi à ce qui est important pour les voisins non-chrétiens, comme la prière et la louange38. Ce même document énumère les formes diverses que prend la prière interreligieuse : présence à l’office de l’autre, prière multireligieuse ou prière interreligieuse commune et intégrée. La présence à un office religieux d’une autre tradition signifie simplement que l’on accueille l’invitation de l’autre à être présent à sa prière, en tant qu’invité dans son lieu de culte. Une prière multireligieuse signifie elle que les prières des diverses religions sont prononcées à la suite l’une de l’autre. Ainsi sont respectées la dignité et la diversité de chaque tradition religieuse. Mais de la sorte, on reste en dehors de la spiritualité proposée par la tradition religieuse de l’autre, et on n’arrive pas à la comprendre de l’intérieur39.

Par ailleurs, dans la prière interreligieuse commune et intégrée, les représentants de diverses traditions religieuses élaborent, préparent une prière que chacun peut considérer comme sa propre prière. Cette prière peut contenir, par exemple, des lectures des écritures saintes et des chants communs de diverses religions. Tous ceux qui sont présents prient authentiquement ensemble. Le risque est ici que la prière se réduise au plus petit commun dénominateur, le caractère propre de chaque tradition religieuse se trouvant mis en veilleuse40. Toutes les religions non-chrétiennes ne peuvent pas accepter le Notre Père par exemple. Or la prière d’Assise n’était pas aux yeux de Jean-Paul II une prière interreligieuse commune et intégrée : « La forme et le contenu de nos prières sont très différents, comme nous l’avons vu, et il ne peut être question de les réduire à une sorte de commun dénominateur »41.

En effet, à Assise, Jean-Paul II a dit clairement que la prière interreligieuse n’est pas une concession faite au relativisme religieux42. Le pape Benoît XVI a par la suite mis en garde contre le fait d’utiliser les convergences dans les religions pour justifier le relativisme ou le syncrétisme et éviter ainsi la question de la vérité43. Le relativisme et le syncrétisme sont des “ennemis implacables” du dialogue interreligieux44. Le document de la rencontre de Bangalore, pour sa part, tout en invitant à la prière interreligieuse, n’en livre pas les fondements théologiques. L’approche du document est plus phénoménologique que théologique. S’il pose des questions pertinentes, il ne leur apporte pas de réponse :

Par exemple, que signifie le fait de dire que Dieu est un ? Est-ce que nous prions tous le même Dieu unique, même si nos images et nos compréhensions de Dieu sont diverses et variées ? Comment exposons-nous notre doctrine de Dieu dans un environnement nonthéiste ? … Traversant les catégories d’exclusivisme, inclusivisme et pluralisme, nous sommes appelés à trouver des façons créatives de célébrer théologiquement l’œuvre de l’Esprit dans d’autres religions. Une façon peut être d’explorer plus profondément la doctrine de l’Esprit Saint et de reconnaître l’œuvre de l’Esprit au-delà des frontières de nos communautés ecclésiastiques et de notre pensée théologique. Affirmant fermement la centralité du Christ, nous invitons à une réflexion théologique profonde, nécessaire à notre compréhension de l’unicité et de l’universalité du Christ45.

Chrétiens et non-chrétiens, par exemple musulmans, peuvent-ils selon l’Église catholique prier ensemble ? Il n’y a pas une réponse unique à cette question, mais le point de départ est clair : il est impossible pour un chrétien de participer à la prière de musulmans disposés en alignements, et donc à leur prière rituelle. Autant qu’il est impossible pour un musulman de participer de manière active à la célébration de l’eucharistie chrétienne46. Nostra Aetate 3 constate que les musulmans « adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers ». Il n’y est pas fait mention du fait que les musulmans et les chrétiens auraient le même Dieu. Pourtant, cela, Jean-Paul II l’a affirmé en plusieurs occasions. La plus célèbre en est son discours de 1985 aux jeunes musulmans au Maroc, quand le pape a fait référence à Abraham comme modèle de foi en Dieu, de soumission à la volonté de Dieu et de confiance en la bonté de Dieu. Il a affirmé alors que les chrétiens et les musulmans croient au même Dieu, le Dieu unique et vivant, qui a créé les mondes et qui porte son œuvre créatrice jusqu’à la perfection47. Cette affirmation du Pape peut être évaluée d’une façon critique : en effet il est évident que les chrétiens et les musulmans n’ont pas la même conception de Dieu, même si les deux religions utilisent les mêmes mots48. Pour le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le dialogue islamo-chrétien est davantage de l’ordre d’un appel à l’émulation spirituelle mutuelle qu’à celui d’une prière commune49. Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans est un document de 1987 très attentif à éviter tout syncrétisme. Ce document accepte la participation à l’office des autres, en l’occurrence à la prière rituelle de musulmans, mais n’encourage pas une prière multireligieuse. Il admet néanmoins que la spiritualité des mystiques peut conduire à une prière commune50. Dans un autre document il est dit que « la prière commune des chrétiens et musulmans, qui est faite pour la communauté et pour la nation, comme c’est le cas dans quelques parties de l’Asie, serait une manifestation de la tradition spirituelle commune et de la proximité des deux communautés de foi, ainsi qu’un moyen de croissance dans la fraternité et la compréhension interreligieuse »51.

S’appuyant sur la base commune, la prière commune entre chrétiens et musulmans est parfois présentée par certains comme possible, quelquefois même souhaitable52. Il propose alors comme contenu de cette prière des psaumes, le Pater et la Fatiha, également des textes sacrés ou d’auteurs spirituels, des prières de louange, d’actions de grâces ou d’intercession, des litanies, les 99 noms de Dieu en islam, quand ce n’est pas récitation de poésie, ou écoute de la musique sacrée53. La Fâtiha, “Le Liminaire”, est la première sourate dans le Coran. Elle consiste en une prière adressée à Dieu/Allah. Elle est la prière fondamentale de la tradition islamique. Gavin D’Costa, théologien catholique, est d’avis que « si les chrétiens partageaient le Notre Père avec les musulmans, et les musulmans la “Fatiha” avec les chrétiens (…), la juxtaposition de ces deux formes sémantiques produirait un nouveau champ de signification dans ces deux prières »54.

Y a-t-il place pour des prières spontanées dans les prières interreligieuses55 ? Cette manière de prier réclame une sensibilité spéciale aux manières et formes de prière des autres. Les prières spontanées doivent en effet être acceptables pour tous les participants56. Pour un musulman, en particulier, il est difficile de s’adresser directement à Dieu. Il ne faut pas non plus oublier que souvent, un seul acte symbolique, par exemple allumer une bougie, parle plus qu’une prière formulée. La même chose est vraie en ce qui concerne le silence. Pour certains, le silence constitue le meilleur modèle d’une prière commune entre chrétiens et musulmans.

On dit souvent par ailleurs qu’une rencontre authentique interreligieuse est possible seulement au niveau du mysticisme ou de la contemplation spirituelle, là où les concepts, y compris théologiques, peuvent être laissés de côté. De ce point de vue une prière interreligieuse, si elle est comprise comme une expression de la foi religieuse des gens, incluant une dimension horizontale et verticale, ferait partie ou pourrait être l’expression d’une même expérience mystique.

III Vers une théologie trinitaire de la prière interreligieuse

Comme on peut le constater dans les discours papaux, les documents du Vatican et celui de la consultation de Bangalore, une des questions fondamentales qui se pose à la théologie chrétienne se réfère au dogme trinitaire, et touche plus précisément les relations entre christologie et pneumatologie dans la prière interreligieuse. Ces relations sont en tension, et il ne faut pas décharger cette tension, dans l’un ou l’autre sens. Là où la christologie est mise en valeur aux dépens de la pneumatologie, on arrive vite aux modèles exclusivistes en théologie des religions. Par contre, si c’est la pneumatologie qui prend le pas sur la christologie, on débouche vite sur des modèles pluralistes. Mais si on omet la théologie trinitaire en tant que telle, on arrive quelquefois à des affirmations théologiquement douteuses57.

J. Dupuis est d’avis qu’à travers la prière commune, les chrétiens et les non-chrétiens sont profondément unis dans l’Esprit Saint. « Bien que cela ne soit pas explicitement dit dans les textes [du Concile Vatican II et de Jean-Paul II] », écrit-il, « il semble que l’on puisse conclure (en principe) à la possibilité, voire la désidérabilité de la prière commune, qui ne sera autre que l’expression commune de cette communion dans l’Esprit de Dieu »58. Mais alors, comment séparer à bon compte la pneumatologie de la christologie et de l’ecclésiologie ? Dupuis nous semble courir le risque de faire l’économie du caractère trinitaire de la prière chrétienne.

Les documents de Vatican II manifestent la même tension entre christologie et pneumatologie. Ad Gentes 4 constate que « le Christ a envoyé d’auprès du Père le Saint-Esprit, qui accomplirait son œuvre de salut à l’intérieur des âmes et pousserait l’Église à s’étendre ». Mais il poursuit aussitôt : « Sans l’ombre d’un doute, le Saint-Esprit était déjà à l’œuvre avant la glorification du Christ. Pourtant, le jour de la Pentecôte, il descendit sur les disciples pour demeurer avec eux à jamais ; l’Église se manifesta publiquement devant la multitude, la diffusion de l’Évangile parmi les nations commença avec la prédication ; enfin fut préfigurée l’union des peuples dans la catholicité de la foi, par l’Église de la Nouvelle Alliance, qui parle toutes les langues, comprend et embrasse dans sa charité toutes les langues, et triomphe ainsi de la dispersion de Babel »59.

Faisant référence à la dimension christologique, trinitaire et ecclésiologique de la prière, G. D’Costa affirme que si une personne ne rejette pas consciemment l’Évangile, la relation avec le Christ est possible pour elle à travers la puissance de l’Esprit Saint60. Il laisse néanmoins ouverte la question de savoir comment, plus précisément, cette relation se constitue, et remarque que la prière interreligieuse rappelle aux chrétiens que l’unité plénière avec les non-chrétiens se fonde sur l’espérance eschatologique, et non pas sur la réalité présente. Pour D’Costa, du point de vue de l’amour du Christ, la prière interreligieuse a quelque chose de missionnaire61.

La prière interreligieuse lance un défi aux théologiens dans leur recherche sur les relations entre les personnes divines, et leurs liens avec l’ecclésiologie. Les Églises chrétiennes doivent réfléchir aux cadres et limites dans lesquels la prière interreligieuse est possible. Dans l’Église catholique, l’attitude de théologiens particuliers est en règle générale plus ouverte envers cette prière que ne le sont les prises de position des organes officiels. Il s’agit d’un thème important de la théologie des religions, vis-à-vis duquel les Églises chrétiennes doivent forcément se positionner. La portée de la journée mondiale de prière pour la paix à Assise en 1986 est donc plus actuelle que jamais.

Notes de bas de page

  • * Version remaniée d’un article paru en finnois dans « Teologinen Aikakauskirja » 4/2007, p. 326-337.

  • 1 Le Service des Relations avec l’Islam (Organisme de la Conférence des Évêques de France) a publié en 2005 un document qui a pour titre « Chrétiens et Musulmans : Vivre ensemble … … et prier ? ». Voir aussi « Chrétiens et Musulmans : Prier ensemble ? Réflexions et Textes », Document de travail du Comité « Islam en Europe » du Conseil des Conférences Épiscopales Européennes (CCEE) et de la Conférence des Églises européennes (KEK), Avril 2003 (www.cec-kek.org/Francais/PrayingtogetherF.pdf).Voir aussi le document du Conseil œcuménique des Églises : « Lignes directrices sur le dialogue et les relations avec les autres religions », §33 (www.oikoumene.org/fr/documentation/documents) et « Interreligious Prayer » (1998), un numéro commun de la publication du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (Pro Dialogo) et du Bureau des relations interreligieuses du Conseil œcuménique des Églises (Current Dialogue).

  • 2 En ce qui concerne le principe de la laïcité et les relations interreligieuses en France, voir, p. ex. Lamine A.-S., La cohabitation des dieux : pluralité religieuse et laïcité, Paris, PUF, 2004, p. 83-101.

  • 3 Cet article traitera de la prière interreligieuse officielle sour l’angle du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux.

  • 4 Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, dans Doc. Cath. 1689 (73, 1976) 1-22, ici n. 53.

  • 5 Le Pape avait annoncé publiquement pour la première fois le 25 janvier 1986 son intention d’inviter des représentants de religions à prier pour la paix. Voir p. ex. Bulletin 64 (1987), dans lequel le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a rassemblé les textes les plus importants concernant cette journée mondiale de prière pour la paix. Voir aussi Riedl G., Modell Assisi. Christliches Gebet und interreligiöser Dialog in heilsgeschichtlichem Kontext, Berlin / New York, de Gruyter, 1998.Deux autres journées de prière interreligieuse ont été suscitées par l’Église catholique : la journée de prière pour la paix dans les Balkans, toujours à Assise les 9-10 janvier 1993 (voir Bulletin 82 [1993], p. 13-16 ; et Reconnaître les liens spirituels qui nous unissent : 16 ans de dialogue islamo-chrétien, Vatican, Libr. Ed., 1994, p. 99-101), et la journée de prière pour la paix à Assise le 24 janvier 2002 (voir Pro Dialogo 109 [2002], p. 135-155 ; et à ce propos Peace : a Single Goal and a Shared Intention ; Day of Prayer for Peace [Assisi, 24 January 2002], Vatican, Libr. Ed., 2002, p. 79-94).

  • 6 Jean-Paul II, « Allocution au cours de l’audience générale », dans Doc. Cath. 1929 (83, 1986), p. 1066 ; également dans Bulletin 64 (1987), p. 26 [dans la suite de l’article, les références à la Journée d’Assise seront tirées de la Documentation catholique, suivie de la page correspondante du no 64 du Bulletin]. Citée aussi dans Le dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Église catholique du concile Vatican II à Jean-Paul II (1963-2005), éd. Mgr Fr. Gioia, Solesmes, éd. de Solesmes, 2006, p. 444.Le Pape a continué en expliquant le déroulement de la journée de prière : « C’est ce qui se fera à Assise où, à un moment de la journée, auront lieu les prières séparées, dans des lieux différents, des diverses représentations religieuses. Mais ensuite, sur la place qui se trouve devant la basilique inférieure de Saint-François, se succéderont, se distinguant de manière convenable, l’une après l’autre, les prières de chacune des religions ; tandis que tous les autres assisteront avec une attitude de respect, intérieur et extérieur, comme cela convient à celui qui est témoin de l’effort suprême d’autres hommes et femmes pour chercher Dieu. Cet ‘être ensemble pour prier’ acquiert une signification particulièrement profonde et éloquente en tant que tous seront les uns aux côtés des autres pour implorer de Dieu le don dont toute l’humanité d’aujourd’hui a le plus grand besoin pour survivre : la paix » (ibid.).

  • 7 Voir p. ex. Cardini Fr., « Le dialogue interreligieux durant les quarante dernières années », dans Pro Dialogo 116-117 (2004), p. 296.

  • 8 « Il n’y avait pas du tout d’essai d’une prière commune », Arinze Fr., « Believers Pray for Peace at Assisi », dans Bulletin, p. 139. Il est intéressant de noter que quatre ans auparavant Jean-Paul II avait dit « Aux participants de la rencontre œcuménique au Portugal », chrétiens, musulmans et juifs : « Nos contacts, le dialogue et l’appréciation de l’inégalable trésor de spiritualité de chaque religion, la communauté chrétienne, et quand c’est possible, la prière en commun sont capables de faire converger les efforts pour obvier à l’illusion d’édifier un monde nouveau sans Dieu, et à l’inanité d’un humanisme purement anthropocentrique » (cf. Le dialogue interreligieux [cité supra n. 6], p. 335). Dans ce discours l’expression “prière en commun” utilisée par le pape n’est pas claire.

  • 9 Cf. Arinze Fr., « Believers Pray … » (cité supra n. 8), p. 139.

  • 10 Cf. Dupuis J., La rencontre du christianisme et des religions. De l’affrontement au dialogue, Paris, Cerf, 2002, p. 361.

  • 11 « Nous avons un seul but et une intention partagée, mais nous prierons de manière différente, en respectant les traditions religieuses des uns et des autres », Jean-Paul II, « Address on the occasion of the Day of Prayer of Peace », dans Pro Dialogo 109 (2002), p. 48.

  • 12 ID., « To the Participants at the Plenary Assembly of the Pontifical Council for Interreligious Dialogue », dans Bulletin 74 (1990), p. 121 ; cf. Fitzgerald M., « Editorial », dans Pro Dialogo 85-86 (1994), p. 4.

  • 13 JJean-Paul II, « Discours aux diplomates accrédités auprès du Saint-Siège : L’exigence éthique de la paix et de la justice », dans Doc. Cath. 1934 (84, 1987), p. 186 ; Bulletin, p. 85.

  • 14 Cf. Arinze Fr., « Believers Pray … » (cité supra n. 8), p. 138, citant Jean-Paul II, « Allocution dans la basilique Sainte-Marie-des-Anges », dans Doc. Cath. 1929 (83, 1986), p. 1070 ; Bulletin, p. 32.

  • 15 « J’ai choisi cette ville d’Assise comme lieu de notre Journée de prière pour la paix à cause de la signification particulière du saint homme vénéré ici — saint François — et connu et respecté par de si nombreuses personnes dans le monde entier comme un symbole de paix, de réconciliation et de fraternité », Jean-Paul II, « Allocution dans la basilique … » (cité supra n. 14), p. 1071 ; Bulletin, p. 33.

  • 16 Ibid. p. 1070 ; Bulletin, p. 33.

  • 17 Plusieurs commentateurs de cette journée en ont négligé le caractère œcuménique. Étaient en effet présents des orthodoxes, des représentants des Églises orientales, des vieux-catholiques, des anglicans, des luthériens, des chrétiens réformés, des méthodistes, des baptistes, des mennonites et des quakers.

  • 18 Voir Jean-Paul II, « Discours final sur l’esplanade devant la Basilique inférieure de Saint-François », dans Doc. Cath. 1929 (83, 1986), p. 1080-1082 ; Bulletin, p. 44-50.

  • 19 Ibid. p. 1080 ; Bulletin, p. 47.

  • 20 ID., « Address on the occasion … » (cité supra n. 11), p. 48.

  • 21 ID., « Lettre au Cardinal W. Kasper pour la rencontre “Religions et culture : le courage d’un nouvel humanisme” », dans Le dialogue interreligieux … (cité supra n. 6), p. 1377.

  • 22 Jean-Paul II, « Allocution dans la basilique … » [cité supra n. 14], p. 1070 ; Bulletin, p. 32. Cf. Arinze Fr., « Message aux Musulmans pour la fin de mois de Ramadan 1987 », dans Doc. Cath. 1941 (84, 1987), p. 606 ; également dans Un lien d’amitié : Messages aux Musulmans pour la fin du mois de Ramadan (1967-2000), Vatican, Libr. Ed., 2000 ; Fitzgerald M., « Dialogue based on respect for the Spirit’s action in others », dans Celebrating Pentecost : Reflection on the duties of Catholics towards others : proclamation of Christ, witness and dialogue, Vatican, Libr. Ed., 2000, p. 18 ; Quattrucci A., « Religions Witnessing to Justice and Peace – Christianity », dans Peace : a Single Goal … (cité supra n. 5), p. 68 ; Jean-Paul II, « Allocution au cours de l’audience générale du 9 septembre 1998 », dans Doc. Cath. 2190 (95, 1998), p. 859-860 ; également dans Peace : a Single Goal … (cité supra n. 5), p. 92.

  • 23 « Le but est toujours le même ; à savoir, prier pour la paix. Elle est avant tout un don de Dieu qu’il faut implorer avec une insistance pleine de ferveur et de confiance » : Jean-Paul II, le 24 janvier 2002 à Assise, « Tous ici rassemblés pour la paix », dans Doc. Cath. 2264 (99, 2002), p. 166 ; cité dans Pro Dialogo 109 (2002), p. 136. Cf. aussi ID., « Allocution du Pape au cours de l’audience générale » (cité supra n. 6) p. 1065-1066 ; Bulletin, p. 26 ; ID., « Discours aux diplomates … » (cité supra n. 13), 185-189 ; Bulletin, p. 84 ; Arinze Fr., « Believers Pray for Peace … » (cité supra n. 8), p. 138 ; ID., « The Way to Peace : A Christian View », dans Bulletin 66 (1987), p. 304 ; ID., « The Engagement of the Catholic Church in Interreligious Dialogue since Assisi 1986 », dans Pro Dialogo 95 (1997), p. 207.

  • 24 Cf. Jean-Paul II, « Introduction à la prière des chrétiens réunis dans la cathédrale San Rufino », dans Doc. Cath. 1929 (83, 1986), p. 1071-1074 ; Bulletin, p. 37. Cf. ID., « Discours final … » (cité supra n. 18), p. 1080 ; Bulletin, p. 46 : « La paix dépend fondamentalement de cette puissance, que nous appelons Dieu et que, comme chrétiens, nous croyons révélée dans le Christ ».

  • 25 Cf. ibid. p. 1081 ; Bulletin, p. 47 : « Je redis ici humblement ma propre conviction : la paix porte le nom de Jésus-Christ ».

  • 26 Cf. ibid. ; Bulletin, p. 48 ; Jean-Paul II, « Allocution aux représentants des religions », dans Doc. Cath. 1929 (83, 1986), p. 1082-1083 ; Bulletin, p. 53. Ces quatre piliers sont, en fait, les valeurs mentionnées par le pape Jean XXIII dans Pacem in Terris (Doc. Cath. 1398 [60, 1963], p. 519).

  • 27 Jean-Paul II, « To Participants of Interreligious Monastic Congress at Praglia », dans Bulletin 37 (1978), p. 1 ; ID., « Pope’s Address to Participants in the Annual Meeting between the Secretariat for Non-Christians and the WCC Sub-Unit on Dialogue », dans Bulletin 62 (1986), p. 149.

  • 28 « … c’est dans l’attitude de la prière intérieure, de la réponse à l’appel intérieur de Dieu, que tous les croyants peuvent se rencontrer, par delà les rites propres à leur religion, mais sans les renier, dans une commune fidélité à la vérité », dans « Vers la rencontre des Religions », suppl. n. 3 au Bulletin (1967), p. 20.

  • 29 Cf. Jean-Paul II, « Discours final » (cité supra n. 18), p. 1081 ; Bulletin, p. 48.

  • 30 Dupuis J., La rencontre du christianisme … (cité supra n. 10), p. 362-363. La collection de prières œcuménique et interreligieuse Gemeinsam vor Gott. Gebete aus Judentum, Christentum und Islam (2004), éd. M. Bauschke, W. Homolka, R. Müller, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2006, représente cette même façon de penser. Par contre, ce livre ne donne pas de fondements théologiques pour la prière interreligieuse.

  • 31 « Le phénomène croissant de la prière interreligieuse est digne d’étude et d’évaluation théologique spéciale », Arinze Fr., « The Engagement … » (cité supra n. 23), p. 208. – Voir, p. ex., D’Costa G., « Theological Evaluation of Interreligious Prayer : The Catholic Tradition », dans Pro Dialogo 98 (1998), p. 254-257 et ID., The Meeting of Religions and the Trinity, Edinburgh, T & T Clark Ltd, 2000, p. 143-171 (Chap. 5, « Praying Together to the Triune God ? Is Interreligious Prayer Like Marital Infidelity ? »).

  • 32 Cf. Jean-Paul II, « Discours aux Cardinaux et à la curie : La situation du monde et l’esprit d’Assise », dans Doc. Cath. 1933 (84, 1987), p. 133-136 ; Bulletin, p. 64.

  • 33 Ibid. p. 69. Voir aussi p. ex. Arinze Fr., « Believers Pray for Peace … » (cité supra n. 8), p. 140 ; ID., « The Engagement … » (cité supra n. 23), p. 208. Voir aussi « Dialogue et annonce : Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Évangile de Jésus-Christ », dans Le dialogue interreligieux … (cité supra n. 6), p. 1474. Jean-Paul II a remarqué dans son encyclique sur l’Esprit Saint : « … partout où l’on prie dans le monde, l’Esprit Saint, souffle vital de la prière, est présent », dans Doc. Cath. 1920 (83, 1986), p. 583-612, ici p. 608. Cf. Pro Dialogo 93 (1996), p. 378 : « La recherche de l’unité humaine nécessite dialogue interreligieux et action coopérative ainsi que prière ».

  • 34 GS 22. Cf. Jean-Paul II, « Discours aux Cardinaux … » (cité supra n. 32), p. 134 ; Bulletin, p. 65 : « Les hommes peuvent souvent ne pas être conscients de leur unité radicale d’origine, de destin et d’insertion dans le plan même de Dieu et, lorsqu’ils professent des religions différentes et incompatibles entre elles, ils peuvent même ressentir leur divisions comme insurmontables. Mais, malgré cela, ils sont inclus dans le grand et unique dessein de Dieu, en Jésus-Christ, qui ‘s’est uni d’une certaine manière à tous les hommes’ (GS 22), même si ceux-ci n’en sont pas conscients ». Cf. Arinze Fr., « The Engagement of the Catholic Church … » (cité supra n. 23), p. 208.

  • 35 Cf. Dupuis J., La rencontre du christianisme … (cité supra n. 10), p. 366, qui propose cinq éléments comme fondement théologique pour la prière interreligieuse : création, rédemption, présence universelle de l’Esprit Saint, participation commune au Règne de Dieu, les religions du monde comme dons de Dieu aux peuples. Il admet que le Concile Vatican II n’appelle pas les religions “voies” de salut, mais prétend que dans d’autres documents de l’Église catholique Dieu est considéré comme présent et actif dans les religions et les traditions non-chrétiennes. « Et la prière commune ne consisterait-elle pas, en dernière analyse, dans la reconnaissance et l’action de grâces à Dieu, de la part des différentes communautés de foi, pour la surabondance des dons qu’il a fait et qu’il continue de faire à l’humanité à travers l’histoire ? Il semble bien qu’il en soit ainsi » (ibid. p. 368).

  • 36 « Findings of an Exploratory Consultation on Interreligious Prayer : Final Statement (Bangalore, India) », dans Pro Dialogo 98 (1998), p. 231-236. Voir aussi « Theological Reflections on Interreligious Prayer : Final Statement (Bose, Italy) », ibid. p. 237-243.

  • 37 « Findings of … » (cité supra n. 36), p. 231.

  • 38 « Le raisonnement théologique s’appuie ici sur notre compréhension que partout et de tout temps, nous sommes les “hôtes du Divin”, que quoi que nous fassions à nos voisins ou avec eux, nous le faisons au Divin et avec lui ; que de fait Dieu en Jésus-Christ nous précède et vient à notre rencontre sous la forme du voisin et de l’étranger parmi nous », dans « Theological Reflections … » (cité supra n. 36), p. 240. Le document distingue la forme de réponse (responsive form) et la forme d’hospitalité (hospitality form) de la prière interreligieuse. La forme de réponse consiste en une prière interreligieuse, dans laquelle on peut faire la distinction entre les besoins religieux humains causés p. ex. par une catastrophe ou un accident dans la communauté, et la présence de l’Esprit qui appelle à une prière partagée.

  • 39 La journée mondiale de prière pour la paix à Assise en 1986 a été construite sur ce modèle.

  • 40 « Findings of … » (cité supra n. 36), p. 231-232. Voir aussi « Theological Reflections … » (ibid. p. 241-243). « Quelle que soit la situation, la clef d’une prière interreligieuse authentique consiste à la fois dans la conscience d’être enraciné dans sa propre tradition et une ouverture à l’œuvre de l’Esprit dans les autres traditions » (ibid. p. 232).

  • 41 Jean-Paul II, « Discours final » (cité supra n. 18), p. 1081 ; Bulletin, p. 46. Voir aussi, p. ex., ID., « Allocution au cours de l’audience générale » (cité supra n. 23), p. 1066 ; Bulletin, p. 26.

  • 42 « Ce n’est pas non plus une concession au relativisme en matière de croyances religieuses, car tout être humain doit suivre honnêtement sa conscience droite avec l’intention de rechercher la vérité et de lui obéir » : ID., « Allocution dans la basilique … » (cité supra n. 14), p. 1070 ; Bulletin, p. 32.

  • 43 Cf. Benoît XVI, « Lettre à Mgr Domenico Sorrentino à l’occasion du vingtième anniversaire de la rencontre interreligieuse de prière pour la paix », dans Doc. Cath. 2366 (103, 2006), p. 886-888 ; Chemins de Dialogue 28 (2006), p. 85.

  • 44 Cf. Poupard P., « La Journée Mondiale de Prière de 1986, l’inspiration et les acteurs », ibid. p. 37.

  • 45 « Finding of … » (cité supra n. 36), p. 234-235. Ce document illustre combien une réflexion théologique peut être difficile, si la méthode théologique n’est qu’inductive, partant d’un cas particulier (expérience) vers l’universel (motif théologique).

  • 46 Voir Stamer J., « Prier avec les musulmans ? », dans Pro Dialogo 96 (1997), p. 357 et 365. Pour un musulman la prière signifie surtout une prière rituelle, salât, qui doit être effectuée cinq fois par jour.

  • 47 Jean-Paul II, « Rencontre du Pape avec les jeunes Musulmans dans le Stade de Casablanca », dans Doc. Cath. 1903 (82, 1985), p. 942-946 ; Bulletin 60 (1985), p. 240-248. – Michel Th., « Pope John Paul II’s Teaching about Islam in His Addresses to Muslims », dans Bulletin 62 (1986), p. 191 remarque : « Le discours à la jeunesse musulmane au Maroc, qui est la plus longue et la plus développée du discours de Jean-Paul II aux musulmans, se termine par une prière de louange et de demande qui rappelle les psaumes, autant que les prières des livres liturgiques chrétiens et les manuels de prière des musulmans ».

  • 48 Ainsi pense entre autres Geffré Cl., « Théologie chrétienne et dialogue interreligieux », dans Revue de l’Institut Catholique de Paris, no 38 (avril-juin 1991), p. 69) : « Je demeure persuadé que la confession d’un unique Dieu par tous les fils d’Abraham ne nous autorise pas à parler d’un unique monothéisme. Nous sommes bien en présence de trois monothéismes spécifiquement différents. C’est pourquoi on peut mal comprendre l’affirmation de Jean-Paul II dans son discours au stade de Casablanca du 21 août 1985 : “Nous (chrétiens et musulmans) croyons au même Dieu” ». Cf. Dupuis J., La rencontre du christianisme … (cité supra n. 10), p. 375 : « La doctrine chrétienne affirme qu’elle prolonge le monothéisme d’Israël, tandis qu’elle le développe dans la doctrine trinitaire ; celui du Coran et de la tradition islamique fait lui aussi remonter son origine au monothéisme d’Israël, tandis qu’il affirme qu’il le complète et le purifie de la corruption subie de la part de la doctrine trinitaire chrétienne ».

  • 49 Cf. Borrmans M., « Christian-Muslim Cooperation : Building a Modern Pluralist Society », dans Co-existence between Religions : Reality and Horizons. Acts of Christian-Muslim Dialogue : A consultation between Pontifical Council for Interreligious Dialogue and World Islamic Call Society, Islamic Cultural Centre, Malta, 22-23 Nov. 1990, p. 37, en citant la sourate 5 :48 (La Table servie) : « Devancez-vous donc mutuellement dans les bonnes actions ! » (tr. de R. Blachère).

  • 50 « Il arrive que des Chrétiens et des Musulmans éprouvent le besoin de prier ensemble et constatent aussitôt combien cela leur est difficile. Il semble bien que les uns et les autres doivent respecter intégralement ce qui constitue la prière rituelle et le culte officiel de leurs partenaires, sans jamais prétendre y participer directement, mais en acceptant volontiers d’en être les témoins sympathiques s’ils sont invités à y assister ou s’ils demandent à y être présents, au nom de l’hospitalité d’Abraham. Le vrai dialogue exige ici que l’on évite les invitations pressantes ou les confusions faciles : certains y verraient des formes déguisées de prosélytisme intéressé ou d’autres en déduiraient une volonté de syncrétisme pratique. Il conviendrait de faire de même avec les Livres sacrés et les textes officiels qui relèvent de l’expression authentique de la foi chez les uns et chez les autres : le Coran appartient, en premier lieu, aux Musulmans et la Fâtiha est la prière qui leur est propre, tout comme le Nouveau Testament appartient d’abord aux Chrétiens et le Notre Père est la prière qui correspond davantage à leur foi. C’est faire preuve de respect pour la foi des autres que d’éviter ici toute volonté d’annexion ou toute tentative de récupération. Par contre, on peut penser que les uns et les autres trouvent dans l’exemple des mystiques et des saints l’audace nécessaire pour créer des formes communes de louange et de supplication qui les rassembleraient dans une expérience de prière vécue ensemble », dans Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans (1981), nv. éd. revue et corrigée, Paris, Cerf, 1987, p. 161-162.

  • 51 Farias T., « Areas of Convergence of Christianity and Islam », dans Bulletin 55 (1984), p. 89. À noter le défi que lancent les relations interreligieuses en Asie à la théologie chrétienne.

  • 52 P. ex. « … si les chrétiens prennent au sérieux le fait que les musulmans, aussi, rendent un culte au même Dieu, alors ils peuvent se joindre aux musulmans en priant ce Dieu, créateur du ciel et de la terre, gouverneur plein de miséricorde de l’histoire, juge qui mène à son accomplissement le monde et l’humanité », Kuschel K.-J., Abraham : A Symbol of Hope for Jews, Christians and Muslims, London, SCM Press Ltd, 1995, p. 247. Cf. Cragg K., Alive to God. Muslim and Christian Prayer, London, Oxford Univ. Press, 1970 et Common Prayer : A Muslim-Christian Spiritual Anthology, éd. K. Cragg, Oxford, Oneworld, 1999.

  • 53 Stamer J., « Prier avec les musulmans ? » (cité supra n. 46), p. 359-360.

  • 54 D’Costa G., « Theological Evaluation … » (cité supra n. 31), p. 257. Cf. Blattmann J.-C., « Quelques réflexions préalables », dans « Chrétiens et Musulmans : Vivre ensemble … … et prier ? » (cité supra n. 1), p. 16-17.

  • 55 Voir aussi les exemples de Kuschel K.-J., Abraham (cité supra n. 52), p. 249-251, et Gemeinsam vor Gott (cité supra n. 30).

  • 56 Cf. Farias T., « Areas of Convergence … (cité supra n. 51), p. 89 ; Arinze Fr., Religions for Peace : A Call for Solidarity to the Religions of the World, London, Darton / Longman and Todd Ltd, 2002, p. 87-98.

  • 57 P. ex. « Christliches Beten ist historisch älter und empirisch vielfältiger als trinitarisches Beten », dans Gemeinsam vor Gott (cité supra n. 30), p. 8. Cette affirmation dévoile le caractère de ce livre, qui veut éliminer la Trinité dans les prières chrétiennes : « Pour que la prière soit possible avec des frères abrahamiques, on doit renoncer à la structurer de façon trinitaire (à Dieu, le Père, le Fils et l’Esprit Saint), de même qu’à une prière qui s’adresse au Seigneur Jésus », dans Gemeinsam vor Gott, p. 8. Mais présente-t-on le christianisme correctement lorsqu’on en élimine la théologie trinitaire ? Cf. Eissler Fr., « Gemeinsam beten ? Eine Anfrage an das interreligiöse Gebet unter dem Vorzeichen abrahamischer Ökumene », dans Im Namen Gottes … Theologie und Praxis des Gebets in Christentum und Islam, éd. H. Schmid, A. Renz, J. Sperber, Regensburg, Pustet, 2006, p. 216 : « Il n’existe pas de période de l’histoire de l’Église, où une prière qui ne soit pas trinitaire aurait été pensable. Déjà dans le Nouveau Testament la rencontre chrétienne avec Dieu répond résolument à une conception trinitaire ».

  • 58 Dupuis J., La rencontre du christianisme … (cité supra n. 10), p. 365.

  • 59 AG 4.

  • 60 D’Costa G., « Theological Evaluation … » (cité supra n. 31), p. 256-257.

  • 61 Au moins peut-on constater que le travail missionnaire de l’Église et la prière chrétienne sont dans une interrelation étroite. La prière est une dimension essentielle de la mission.

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