Toujours aussi prolixe - quasiment un ouvrage par an depuis 15 ans,
aussi bien sur l'AT que sur le NT - et aussi roboratif, Jacques
Cazeaux, dans son style inimitable, nous revient avec un nouvel
opus dans lequel il reprend une idée qui lui est chère, qu'il
décline sous toutes les formes et dont il voit, cette fois-ci, une
illustration exemplaire dans le pavement du Duomo de Sienne (voir
l'introd., p. 7-34) : la royauté en Israël fut une erreur, son
péché originel même, et les mille récits qui forment la tapisserie
de la Bible, de la Genèse à l'Apocalypse, s'attachent à le montrer
et à y proposer un remède, l'utopie du Cadastre ou la confédération
des tribus (1 R 12,16 : « Israël, à tes
tentes ! »). Les écrivains bibliques donc, avec une
« somptueuse obstination » (1re partie,
chap. 3, p. 65-78), n'ont pas écrit une épopée à la gloire des rois
(contrairement aux autres nations), mais « ils ont déployé une
fresque truculente, variée, historiée de clartés transversales. Le
tableau des horreurs, des atermoiements, des sursauts, aurait plus
d'effets, ont-ils pensé, qu'une sèche condamnation, laquelle
pourrait servir une dictature morale » (p. 69). Pour le faire
comprendre, Cazeaux est passé maître dans l'art de déchiffrer les
premières phrases d'un livre, les infimes détails (Jg 3,31 :
l'aiguillon de Shamgar ; ou Jg 12,14 : les ânons d'Abdon)
et les subtiles miniatures du texte biblique qui viennent subvertir
le discours dominant et débouter tout désir de grandeur. Et d'en
tirer une conclusion au niveau politique : « La Bible ne
canonisera aucun régime. Elle dit qu'il n'existe aucune politique
parfaite ; qu'on discerne là l'heureuse fêlure de la condition
humaine ; elle dit en somme que nul ne doit célébrer ou
imposer telle ou telle forme de société au nom de sa valeur
présumée absolue - quasi divine, à entendre les chantres athées de
la démocratie » (p. 76). La 2de partie de
l'ouvrage, apparemment différente, continue pourtant d'enfoncer le
clou : face aux ors du pouvoir, des palais, et des idoles qui
captent le regard, la Bible nous dit que c'est entendre qui sauve.
Et à nouveau, Cazeaux le montre avec brio par la lecture de deux
textes paradigmatiques : le décalogue (p. 99-116) et
le Chema Israel (p. 117-162). Le lecteur aura
beau connaître ses idées, sa lecture mono-maniaque - oserait-on
dire ? -, il s'enrichira toujours autant à le lire, avec ses
formules ciselées, ses intuitions fulgurantes capables de faire
percevoir la cohérence d'un corpus littéraire tout autant que
l'importance d'un détail minuscule. - D. Luciani