L'écrivain libanais Khalil Gibran (1883-1931) a composé, en arabe,
dès 1912, une trentaine de courts récits poétiques, qu'il a publiés
au Caire en 1920, trois ans avant la parution, en anglais, aux
États-Unis, de son chef-d'oeuvre The Prophet. Il s'y présente comme
un anarchiste athée: «Je suis un extrémiste… Mon coeur hait ce que
les gens adorent.» Il vitupère contre les valeurs traditionnelles,
culturelles, sociales et religieuses d'une société orientale
passive et complaisante: «Les orientaux vivent dans le passé…
L'Orient est un malade chronique». Il s'insurge tant contre
l'empire ottoman que contre le mandat français et la mutilation du
pays. Le recueil comprend des pages superbes sur l'amour (Devant le
temple) et d'intéressantes considérations sur le Christ (Le
réveillon): «Il a vécu Révolté, il fut crucifié Rebelle, il mourut
Majestueux». Quant aux prêtres, ils doivent se faire les alliés du
diable, sans l'aide duquel ils seraient chômeurs. En conclusion:
«Je ne vaux guère mieux que ceux que je critique; je ressemble à un
médecin malade. Que Dieu me pardonne! ». - P.-G.D.