Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Suivre le Christ avec Edith Stein

Sophie Binggeli
Edith Stein a parcouru «un long chemin, obscur, pierreux et dur» jusqu’à sa rencontre avec le Christ. Comme fille d’Israël, elle expérimente une parenté de sang intime avec le Christ et avec Marie. Sa vocation la place au pied de la Croix, mystère dont elle scrute et vit en sa chair les différentes harmoniques: le jour du Grand Pardon «figure du Vendredi Saint», le sacrifice du Christ centre de l’histoire du monde, la Croix signe de la kénose et de l’exaltation. L’eucharistie, la vie eucharistique, présentent une grande originalité — à la lumière de son anthropologie, de sa pensée sur la femme et sur Marie: telle une mère, le Christ nourrit de son corps et de son sang «comme une mère nourrit son enfant avec sa chair et son sang».

Mon Seigneur et mon Dieu,

Tu m’as conduite sur un long chemin, obscur,

Pierreux et dur.

Maintes fois mes forces faillirent m’abandonner,

À peine j’espérais voir un jour la lumière.

Pourtant, au plus profond de la douleur, où mon cœur se figeait,

Une étoile claire et douce se leva pour moi.

Elle me conduisit fidèlement — je la suivis1.

Ce poème a été écrit par Edith Stein pour l’anniversaire du baptême de sa sœur Rosa Stein, née le 13 décembre 1883 à Lublinitz, morte à Auschwitz en même temps qu’Edith le 9 août 1942. Rosa a été baptisée le 25 décembre 1936 dans l’église de l’hôpital Sainte-Élisabeth à Cologne-Lindenthal, en présence de sa sœur carmélite. Ce poème daté du 6 décembre 1937 évoque le chemin de Rosa jusqu’à l’Église catholique, jusqu’à la foi chrétienne — chemin apparenté à celui d’Edith: «long», «obscur, pierreux et dur». Relatant les jours passés à Breslau dans sa famille avant son entrée au carmel de Cologne le 15 octobre 1933, Edith note que sa sœur Rosa appartient intérieurement à l’Église depuis longtemps2. Rosa l’accompagne à la gare de Breslau, paisible, et elle semble suivre sa sœur jusque «dans la paix du couvent»3. Mais pour ne pas infliger à sa mère juive une douleur immense, cette grande sœur plus âgée qu’Edith attendra la mort de la maman, le 14 septembre 1936, pour demander à recevoir le baptême. Or sa découverte de l’Église remonte au moins à l’année 1930, voire avant. Edith et Rosa ont franchi la moitié de leur vie lorsqu’elles reçoivent le baptême de la nouvelle naissance. La longue attente a creusé leur désir et le don sans retour est à la mesure de leur ardent amour:

Oh! Aucun cœur d’homme ne peut comprendre

Ce que Tu réserves à ceux qui T’aiment.

Maintenant je T’ai et ne Te lâcherai jamais plus.

Où que conduise le chemin de ma vie,

Tu es toujours auprès de moi,

Rien ne pourra jamais me séparer de Ton amour4.

Rosa a dû patienter au moins 6 ans jusqu’à ce jour béni; la quête d’Edith n’est pas moins sinueuse et ardue. La jeune et brillante étudiante se meut avec aisance dans un milieu jusque là réservé aux hommes. L’université fait son bonheur. Breslau puis Göttingen constituent des viviers riches en amitiés durables. Un avenir prometteur s’ouvre à elle en 1916, aux vues de l’excellence de son doctorat sur l’empathie, et elle devient l’assistante du grand maître de la phénoménologie, Edmond Husserl. La déception cependant sera à la mesure de sa grande attente. Edith brasse des masses de manuscrits qu’elle ordonne et prépare pour la publication sans obtenir du maître une quelconque attention à l’égard de ce travail, et encore moins un échange d’idées. Après une année et demie, elle met fin à ce travail dénué de sens.

Ébranlements et crises profondes n’épargnent pas Edith. La Première Guerre mondiale bouleverse sa vie. Cinq mois durant5, elle sert comme infirmière dans un hôpital militaire de Moravie. La jeune philosophe côtoie la maladie, les épidémies et la mort. De l’Allemagne, il ne reste à la fin de la guerre qu’«un immense monceau de ruines»; «l’avenir est complètement voilé»6. Toute l’année 1920 est particulièrement pénible pour Edith qui se trouve comme «sur des charbons ardents»7. C’est dans un état déplorable, sans doute suite à des combats intérieurs qu’elle endurait dans le plus grand secret et sans l’aide de personne8, qu’elle assiste au mariage de sa sœur Erna avec Hans Biberstein, le 5 décembre 1920. Elle éprouve une grande solitude affective; n’a-t-elle pas essuyé par deux fois un échec dans son désir de se marier?

Il apparaît clairement que ces années de la Première Guerre mondiale sont décisives pour son cheminement. Elle qui s’est engagée à corps perdu dans ces événements éprouve fragilités et limites. La jeune étudiante brillante et trop sûre d’elle-même est purifiée de sa suffisance et de son orgueil. Elle se retrouve sans aucun appui. Parce qu’elle a été totalement dépossédée d’elle-même, le Christ peut la saisir. «C’est la vérité!», aurait-elle dit, suite à la lecture de la Vie de Thérèse d’Avila, durant l’été 1921. Le baptême et la première communion suivent rapidement, le 1er janvier 1922, en la fête de la circoncision de Notre-Seigneur.

Où que conduise le chemin de ma vie,

Tu es toujours auprès de moi,

Rien ne pourra jamais me séparer de Ton amour9.

Nouvelle naissance, passage de la mort à la vie, du visible à l’invisible. Le sens de sa vie, nouveau, est définitivement donné, qui lui permettra de se tenir devant Dieu pour tous, ferme à travers vents et tempêtes, dans la nuit de ce monde. «C’est la vérité!» À celle qui a cherché passionnément la vérité, le Christ se révèle vérité. Il vient accomplir sa longue quête. «Dieu est la vérité. Celui qui cherche la vérité, cherche Dieu, que cela lui soit clair ou non»10, écrit-elle à propos de Husserl au moment de sa mort. De nouveaux chemins s’ouvrent à elle: sa parenté de sang avec le Christ et Marie (1), le mystère de la Croix du Christ (2), le réalisme de la vie eucharistique (3).

I «Je suis de son peuple, de son sang»11

C’est ainsi que se présente Esther dans un petit théâtre sous forme de dialogue mettant en scène la visite de la reine Esther à la prieure du carmel. À Echt, Edith confie à un jésuite:

Vous ne pouvez pas savoir ce que cela signifie pour moi lorsque le matin, j’entre dans la chapelle et que, regardant le tabernacle et l’image de Marie, je me dis: ils étaient de notre sang12.

Edith a éprouvé dans sa chair une parenté intime avec le Christ et Marie. Mystérieusement, c’est à partir de sa rencontre avec le Christ qu’elle a découvert la vérité du mystère d’Israël dans son alliance avec Dieu et son attente de plénitude. Dans la Vie d’une famille juive, elle consacre de longues pages aux grandes fêtes juives qui ont marqué son enfance: Pâque, le Nouvel An et le Grand Pardon. À propos de la fête de Pâque, elle note:

La plupart des chrétiens ne savent pas que «la fête des pains non levés», où les enfants d’Israël font mémoire de la sortie d’Égypte, est encore célébrée de nos jours de la même manière que le Seigneur l’a célébrée avec ses disciples, lorsqu’il institua le très saint Sacrement de l’autel et leur fit ses adieux. Certes, aucun agneau pascal n’est plus immolé depuis que le Temple de Jérusalem a été détruit…13

Edith relève l’indifférence de ses frères à l’égard de la liturgie familiale:

Mes frères qui devaient dire les prières à la place de notre père défunt le faisaient de manière peu révérencieuse. Lorsque l’aîné était absent et que le cadet devait prendre le rôle du chef de famille, il faisait sentir ostensiblement qu’en son for intérieur il se moquait de tout cela14.

On assiste dans la famille juive libérale d’Edith à un changement de pratique religieuse d’une génération à l’autre: si la mère, femme forte de l’Ancien Testament, conserve jusqu’à la fin une grande foi en Dieu, tous les frères et sœurs d’Edith s’en éloignent et Edith elle-même, la benjamine, décide à l’âge de l’adolescence de ne plus prier.

Parmi les fêtes juives, le jour du Grand Pardon occupe une place à part.

Le jour le plus solennel de toutes les fêtes juives est le jour du Grand Pardon: le jour où jadis le grand prêtre pénétrait dans le Saint des Saints et offrait le sacrifice de réconciliation pour lui et pour tout le peuple, après qu’on eut envoyé au désert le «bouc émissaire» qui portait les péchés du peuple. Tout cela a pris fin. Mais de nos jours encore, c’est un jour de prière et de jeûne et celui qui reste tant soit peu attaché à son judaïsme se rend ce jour-là au «temple» (entendons: à la synagogue)15.

Elle écrit encore:

Ce jour-là avait pour moi une signification particulière: j’étais née en ce jour du Grand Pardon et ma mère l’a toujours considéré comme le vrai jour de mon anniversaire, même si le 12 octobre était le jour des vœux et des cadeaux. […] Elle a accordé beaucoup d’importance à ce fait et je pense que cela a contribué plus que toute autre cause à lui rendre particulièrement cher son dernier enfant16.

Née sous le signe du Grand Pardon, Edith trouve dans la Croix du Christ son mystère d’élection. À plusieurs reprises, elle relie le jour du Grand Pardon au Vendredi Saint. Son nom de religion, «Sr Thérèse Bénédicte de la Croix», contient ce grand mystère de la foi chrétienne: la Croix. Il rappelle également les influences spirituelles qui l’ont marquée en profondeur: Thérèse d’Avila à travers la lecture de la Vie l’a conduite à demander le baptême; St Benoît et l’abbaye de Beuron sont pour elle une source à laquelle elle est venue souvent puiser17. Le prédicat «de la Croix» constitue le «titre de noblesse» indiquant que «Dieu veut s’unir l’âme à lui sous le signe d’un mystère particulier»18. Son «sens le plus profond» est que «nous avons à vivre une vocation personnelle dans le sens de certains mystères»19. Il s’agit bien pour Edith d’un nom exprimant le sens de sa vie selon Dieu. Elle explique le choix de ce nom dans une lettre écrite en décembre 1938, alors que la persécution contre les juifs a connu un regain de violence avec la nuit de cristal du 9 au 10 novembre, et qu’elle a décidé de rejoindre le carmel d’Echt en Hollande:

Je dois vous dire que, déjà comme postulante, j’avais apporté avec moi ce nom dans la maison. Sous la Croix, je compris le destin du peuple de Dieu qui s’annonçait déjà. Je pensais que ceux qui comprenaient ce qu’était la Croix du Christ devaient la prendre sur eux au nom de tous. Certes, je sais aujourd’hui davantage qu’alors ce que signifient des noces avec le Seigneur sous le signe de la Croix. On ne le comprendra véritablement jamais, parce que c’est un mystère20.

Il ne faudrait pas penser qu’Edith a une conception doloriste du mystère de la Croix. Elle comprend de l’intérieur, du fait de ses racines juives et de sa propre histoire qui lui faisait vivre une parenté de sang avec le Christ et Marie, que le sacrifice de la Croix accomplit l’histoire du salut. Elle comprend que l’attente des justes de la première Alliance trouve dans la Croix son accomplissement et que l’histoire demeure en tension dans l’attente de la venue glorieuse du Messie. Le dialogue entre la reine Esther et la prieure dépeint de façon remarquable l’unité de l’histoire du salut: depuis l’attente d’Israël jusqu’à la fulgurance de la Croix, depuis la naissance de l’Église et l’œuvre inlassable du bon Pasteur et de sa Mère — œuvre silencieuse et cachée —, jusqu’à l’avènement du «jour de la gloire éclatante»21. La prière d’Edith pour le peuple juif s’exprime dans ces quelques lignes:

Le bon Pasteur parcourt silencieusement les contrées.

Ici et là, il arrache aux profondeurs de l’abîme

Un petit agneau, le cache sur son cœur.

Et sans cesse d’autres se mettent à le suivre.

Là-haut près du trône de la grâce

La Mère supplie inlassablement pour son peuple.

Elle cherche des âmes qui l’aident à prier.

Car lorsqu’Israël aura trouvé le Seigneur,

Lorsque les Siens l’auront accueilli,

Alors seulement il viendra en une gloire éclatante.

Et cette deuxième venue doit être obtenue par la prière22.

Edith comprend la fidélité de Dieu ainsi que le lien mystérieux unissant Israël et l’Église: «Tu n’as pas rejeté ton peuple malgré ses infidélités, mon Dieu. De son sein tu appelles ceux qui suivront la Vierge dans la pureté et te seront intimement liés pour le salut de ton peuple»23. Elle rejoint la théologie de S. Paul en Rm 9-1124 et celle de St Jean lorsqu’il écrit en Jn 4,22: «Nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des juifs»25. Elle annonce et devance l’œuvre du Concile Vatican II qui fut invité par Jean XXIII, sur son initiative personnelle, «à adresser une parole d’amour aux juifs»26. Elle nous suggère un examen de conscience: avons-nous, comme St Paul et St Jean, comme Edith, une prière pour Israël27?

II «Qu’est-ce que la Croix?»28

Le mystère de la Croix, nous l’avons vu, se trouve au cœur de la vocation d’Edith et de l’élection d’Israël. Edith a reçu un «nom nouveau que comprend uniquement celui qui le possède»29. Elle nous aide à pénétrer ce mystère sous différents angles.

1 Le jour du Grand Pardon est «la figure du Vendredi Saint»30

Une fois l’an, au jour le plus solennel et le plus saint de l’année, le jour de la Réconciliation, le grand prêtre pénétrait dans le Saint des Saints, devant la face du Seigneur, afin de prier «pour lui, pour toute sa maison et pour toute l’assemblée d’Israël», pour asperger le propitiatoire avec le sang d’un jeune taureau et d’un bouc, qu’il devait avoir immolés auparavant, pour expier ainsi «toutes les impuretés des fils d’Israël, leurs transgressions et tous leurs péchés»31.

Ce jour-là, «le grand-prêtre pénétrait en ce lieu redoutable et sublime de la Présence de Dieu, où nul en dehors de lui n’entrait et où il ne pouvait lui-même pénétrer qu’en cette heure-là»32. Ce jour-là il se trouvait dans la proximité la plus grande avec le Seigneur Dieu. Le Christ se présente comme le «grand-prêtre éternel»33.

Il se tient toujours et partout devant la Face de Dieu, son âme est le Saint des Saints; elle n’est pas seulement la demeure de Dieu, elle est plus encore indissolublement unie à Dieu par son être même34.

Dans le Christ, la distance séparant Dieu et les hommes est franchie. Dieu et l’humanité sont définitivement réconciliés.

Il enlève les scellés du mystère du sacerdoce suprême: tous les siens peuvent entendre comment il parle au Père dans le Saint des Saints de son cœur; ils peuvent faire eux-mêmes l’expérience de ce dont il s’agit et apprendre à parler au Père dans leur propre cœur. […]

Son sang est le rideau du Temple à travers lequel nous pénétrons dans le Saint des Saints de la vie divine35.

Désormais, Dieu et l’homme se trouvent dans une intimité réciproque prodigieuse. Edith commente le sens du cœur transpercé de Jésus en Jn 19,33-37:

[Jésus] nous «ouvre son cœur». Ce n’est plus le cœur corporel qui est désigné par là, mais le plus intime de l’âme. Il nous est proposé comme demeure. Notre âme peut entrer dans l’âme de Jésus, parce que toutes deux sont esprit. De même, l’âme de Jésus rentre dans notre «cœur», c’est-à-dire au plus intime de nous-mêmes par la Sainte communion36.

Le Christ révèle que la transcendance de Dieu est immanence réciproque. Le dialogue solennel entre le grand prêtre et Dieu, initié dans le Saint des Saints, devient «dialogue silencieux» et personnel entre l’homme et Dieu. Dans ce dialogue «sont préparés les événements visibles de l’histoire de l’Église qui renouvellent la face de la terre»37. Mais il est vrai que «l’histoire officielle ne dit rien de ces forces invisibles et inestimables»38.

2 Le sacrifice de la Croix est le grand événement de la vie du Christ, le centre de la liturgie, le centre de l’histoire du monde et de la vie de tout chrétien

De même que toute la vie du Christ constitue l’espace pour le grand événement de sa vie en vue duquel il est venu dans le monde: le sacrifice de sa mort, ainsi toute la liturgie constitue l’espace dans lequel se prolonge la vie du Christ dans l’Église, de la façon la plus centrale et la plus réelle en vue de sa présence eucharistique. Comme le Vendredi Saint sur le Golgotha est le centre de l’histoire du monde, ainsi le saint sacrifice de la messe est le centre de la vie de tout chrétien39.

L’histoire universelle et l’histoire singulière de chaque homme sont concernées par cet événement.

Aucun temps de l’année n’est aussi approprié pour susciter une méditation silencieuse sur la signification et le but de sa propre existence que les jours de la Semaine Sainte et de Pâques. Lorsque Dieu souffre et meurt pour la cause de l’homme — combien grande doit être la finalité de l’homme! Lorsqu’il nous ouvre la gloire du ciel — que devons-nous faire pour entrer dans cette gloire40?

Le mystère pascal jette une lumière nouvelle sur le sens, la finalité de l’existence humaine. Par la célébration de l’eucharistie, le sacrifice de la Croix est «rendu chaque jour présent sur nos autels» et il ne demeure pas «un pâle événement de temps reculés». De même la vie du Christ est «toujours à nouveau présente dans le cours de l’année liturgique»41. Tout l’enjeu de la vie chrétienne est de vivre du mystère du Christ.

L’eucharistie commémore le combat spirituel de tous les temps entre le Christ et l’Antéchrist, entre la lumière et les ténèbres. L’âpre défaite du calvaire est victoire du ressuscité.

Ici se renouvelle jour après jour ce qui est le sens et le but de tout le devenir du monde.

Alors que dehors tempêtes et combats terribles font rage,

L’abîme est descellé et les bêtes sont sorties des profondeurs,

Elles combattent avec puissance pour la domination du grand dragon.

Mais ici règne la paix, ici se dresse le trône de l’Agneau sur terre […].

Ici, caché du monde entier, Tu réalises

Ce qui renouvellera un jour la face de la terre.

Soustrait au regard des hommes dans la tente silencieuse,

Tu tiens dans Ta main le monde,

Et Tu as assigné à ses tempêtes mesure et fin42.

Mémorial du sacrifice du Christ, l’eucharistie enveloppe le monde en devenir de la présence glorieuse du Christ, si bien que ses tempêtes et ses terribles combats ont une limite et une fin. Edith a perçu avec une grande acuité que le sacrifice de la croix est «le mystère central de notre foi, le point charnière de l’histoire du monde», inséparablement «mystère de l’incarnation et de la rédemption»43.

3 «Le signe de la Croix»44

Plusieurs textes poétiques d’Edith dépeignent le drame du Calvaire et l’intense combat spirituel qui s’y joue. Dans le poème «Signum Crucis», elle scrute de l’intérieur le mystère de la Croix. «Juxta Crucem tecum stare!»: telle est la condition nécessaire pour déchiffrer, comprendre les mots écrits «dans un petit livre qui porte le signe de la Croix» — se tenir avec Marie au pied de la Croix. La Croix, en révélant le «sens secret» de l’être, manifesté «dans un nom nouveau que comprend uniquement celui qui le possède», porte à son achèvement la création. La Croix signifie l’alliance:

Il s’est lié à chacun des élus

D’une façon particulière, profondément secrète.

Et, de la plénitude de Sa vie d’homme,

Il offre

La Croix45.

À la question «qu’est-ce que la Croix?», Edith répond: «le signe de la plus profonde ignominie». Tel est le drame de la condition humaine défigurée par le péché, que le Fils a voulu épouser jusque dans son infamie:

Qui la touche est expulsé des rangs des hommes. […]

Il est livré sans protection aux ennemis.

Il ne lui reste sur terre rien d’autre

Que souffrances, tourment et mort46.

Mystère d’iniquité qu’ont entrevu les prophètes et que le Fils assume: «le Seigneur foule au pressoir, et son vêtement est rouge»47. Il atteint à une profondeur abyssale, exprimée dans les chants du Serviteur souffrant48 ainsi que dans l’hymne aux Philippiens49: «c’est l’image de Dieu qui a pâli sur la Croix», commente Edith. «Qu’est-ce que la Croix?»

Le signe qui indique le ciel.

Elle s’élance au-dessus de la poussière de la terre

Vers la pure lumière.

À la kénose répond l’élévation divine qui est transfiguration pour ceux qui saisissent la Croix à pleines mains. Tel est le paradoxe signifié par la Croix: dans son abaissement extrême, elle rejoint l’humanité entière et l’entraîne dans son mouvement d’élévation vers «le ciel», «vers la pure lumière», vers l’invisible.

Elle étend ses poutres, comme quelqu’un qui ouvre ses bras, comme s’il voulait embrasser le monde entier […]. Du sol, elle s’élève jusqu’au ciel, comme celui qui monte au ciel et aimerait tous les emporter là-haut50.

Pour Edith, l’ignominie de la Croix n’est pas une abstraction; le mal, la souffrance et la mort, la violence, la brutalité et la bestialité déchirent l’histoire humaine. Le nazisme les a orchestrés de façon paradigmatique. L’expérience de la Croix révèle l’abaissement inouï de Dieu qui accepte de disparaître. Elle indique sa miséricordieuse condescendance qui veut embrasser le monde entier. Dressée sur le sol défoncé par le péché et s’élevant jusqu’au ciel, elle signifie la plénitude de vie offerte à l’homme, la libération définitive de sa condition d’esclave du péché. Elle l’attire et l’oriente vers la béatitude, opérant pour celui qui la saisit le passage du visible à l’invisible, unissant terre et ciel, embrassant l’humanité dans le sein de l’unité divine du Père, du Fils et de l’Esprit.

III «La douce manne qui déborde du cœur du Fils»51

La vie spirituelle est riche des harmoniques qui font la personne tout entière. L’eucharistie est d’abord un mystère anthropologique.

Les antiques formules de bénédiction sont devenues dans la bouche du Christ parole créatrice de vie. Les fruits de la terre sont devenus sa chair et son sang, remplis de sa vie. La création visible, au sein de laquelle il a déjà pénétré par l’Incarnation, lui est maintenant unie d’une manière nouvelle, mystérieuse. Les substances qui servent à la croissance du corps humain sont radicalement transformées et, en les consommant dans la foi, les hommes aussi sont transformés: rendus participants de la vie du Christ et remplis de sa vie divine. La puissance du Verbe, créatrice de vie, est liée au sacrifice. Le Verbe s’est fait chair pour livrer la vie qu’il a assumée; pour offrir au Créateur en sacrifice de louange sa propre personne et la création rachetée par l’offrande qu’il fait de lui-même52.

Ce qui se joue dans l’eucharistie, c’est la transformation, la divinisation, dans la foi en la puissance du Verbe, de la Parole divine. Comment s’opère cette transformation?

Le Sauveur ne dépose pas seulement pour nous les fruits de grâce du sacrifice sur l’autel. Il veut venir chez chacun de nous: comme une mère nourrit son enfant avec sa chair et son sang, [il veut] nous [nourrir], venir en nous pour que nous entrions en lui, grandissions en lui comme membres de son corps53.

La comparaison qu’établit Edith entre la communion eucharistique et la maternité est audacieuse. Elle lui est suggérée par l’Écriture elle-même, le chapitre 6 de l’Évangile de Jean en particulier. Edith interprète le don de la vie qu’opère le sacrifice de l’eucharistie en suivant une approche anthropologique, fondée sur l’unité irréductible, corps et âme, expérimentée, vécue par le «je». Edith a une vision dynamique de l’homme toujours en devenir, toujours en recherche, attiré vers l’intériorité la plus profonde de son âme où il rencontre Dieu. Elle note à propos de la maternité:

Le devoir d’accueillir en soi un être vivant en devenir et en croissance, de l’abriter et de le nourrir conditionne une certaine concentration sur soi-même. Le processus mystérieux de formation d’une nouvelle créature dans l’organisme est une unité si intime du corps et de l’âme que l’on comprend bien que cette unité marque de son empreinte l’ensemble de la nature féminine54.

Comparer l’eucharistie avec la maternité signifie évoquer un processus vital qui manifeste et réalise une double unité: l’unité entre la mère et l’enfant, et l’unité singulière de chaque personne corps et âme. L’eucharistie réalise cette unité de façon nouvelle: alliance entre Dieu et l’humanité dans le corps et le sang du Christ qui sont comme la matrice de la vie nouvelle, amour maternel du Christ, communion personnelle corps et âme avec le Christ. Dans la personne humaine, l’âme, source de vie et principe spirituel, est invisible en tant que telle, mais rendue visible dans le corps qu’elle anime et spiritualise. Toute la grandeur de l’homme se situe dans cette orientation nécessaire de sa nature humaine vers l’invisible, le spirituel qui l’anime. Les réflexions anthropologiques d’Edith sur la maternité culminent dans la maternité divine de Marie:

N’est-il pas impossible de concevoir le rapport de la Mère de Dieu à son enfant autrement que comme une étreinte aimante de toute la force de l’âme? […] Le Fils de Dieu qui voulait être un homme en tout excepté le péché, ne devait-il pas recevoir de l’amour de sa mère non seulement la chair et le sang pour former son corps, mais aussi la nourriture de l’âme55?

Le regard contemplatif d’Edith invite à scruter la relation maternelle unissant la Mère à son Fils. Cette relation engage la personne tout entière de Marie et la personne tout entière du Fils qui a reçu de sa mère la nourriture de son corps et de son âme, nécessaire à sa nature d’homme. L’intimité prodigieuse entre la Mère et son Fils s’enracine dans la volonté éternelle de Dieu:

Dieu T’a donné Son Fils et T’a créée pour l’union la plus intime avec Lui. Quand Son regard repose avec un plaisir intime sur le Fils aimé, Il T’embrasse dans le même regard, Toi qui es son image fidèle, inséparable de Lui. Le Logos est entré dans l’union personnelle la plus grande avec Toi et a versé en Toi la plénitude de l’Esprit qui est la sienne. Tu es ainsi pleine de l’Esprit Saint et préparée par Lui à la maternité divine56.

La cohérence théologique ressort avec d’autant plus de force qu’elle est enracinée dans une approche anthropologique unifiée des différents mystères. Ainsi maternité divine et eucharistie sont-elles reliées de façon essentielle: elles réalisent la plus grande communion inter-personnelle. Le regard contemplatif d’Edith discerne la présence de Marie lors de la dernière cène:

La Sainte Écriture ne le dit pas, mais il n’y a pas à douter que la Mère de Dieu était présente. Sûrement elle est venue à Jérusalem comme toujours pour la fête de Pâques et a célébré le repas pascal avec tout le groupe qui suivait Jésus. Elle qui gardait toutes les paroles de Jésus dans son cœur — combien elle aura dû accueillir en elle son discours d’adieu. «J’ai désiré ardemment célébrer ce repas pascal avec vous.» Ne pensait-elle pas à ce moment-là aux noces de Cana? Maintenant Son heure était venue. Maintenant Il pouvait donner ce qu’alors Il ne pouvait suggérer qu’en symbole57.

Edith commente l’épisode du lavement des pieds en Jn 13:

Le lavement des pieds: Il était parmi eux comme celui qui sert. Ainsi l’avait-elle vu durant toute sa vie. Ainsi avait-elle elle-même vécu et vivrait-elle encore. Elle comprenait le sens mystique du lavement des pieds: celui qui s’approche du saint repas doit être complètement pur. Mais seule Sa grâce peut donner cette pureté58.

Cette méditation fait partie des notes qu’Edith a inscrites dans un cahier d’écolier lors de sa retraite de préparation aux vœux perpétuels qui coïncidait avec la Semaine Sainte. Ce texte, écrit le Jeudi Saint, est le fruit de la prière d’Edith. À l’école de Marie, la carmélite contemple l’union de la Mère à son Fils, sa communion au mystère eucharistique.

Ta Sainte communion, ma Mère! N’était-elle pas comme un retour à cette unité insaisissable, lorsque tu Le nourrissais de Ta chair et de Ton sang? Mais maintenant, c’est Lui qui Te nourrit. Ne vois-Tu pas en cette heure le corps mystique tout entier devant Toi, celui qui doit croître par ce saint repas? Ne le reçois-Tu pas déjà maintenant en tant que Mère, comme demain au pied de la Croix il Te sera remis? Ne vois-Tu pas aussi toutes les offenses qui seront faites au Seigneur dans ces espèces, et n’offres-Tu pas satisfaction pour cela? Ô Mère, apprends-nous à recevoir le corps du Seigneur comme Tu l’as reçu59.

Il s’opère un renversement ou plutôt un élargissement de la maternité divine de Marie. En communiant au corps et au sang de son Fils, elle s’ouvre à son corps mystique, le recevant pour ce qu’il est, et elle devient mère de l’Église — «demain au pied de la croix» —, comme elle était mère lorsqu’elle le nourrissait de sa chair et de son sang. L’eucharistie est au cœur de la connexion des mystères: incarnation et rédemption60. L’approche très personnelle d’Edith nous montre que la trame de l’eucharistie unit des fils théologiques divers: anthropologique, christologique, mariologique, ecclésiologique, sotériologique, spirituel.

Le Sauveur, qui sait que nous sommes hommes et que nous demeurons hommes, que nous avons à combattre quotidiennement des faiblesses humaines, vient en aide à notre humanité d’une façon véritablement divine. De même que le corps matériel a besoin de pain quotidien, de même le corps divin en nous demande une nourriture durable. «Tel est le pain de vie descendu du ciel» [Jn 6,50.51]. En celui qui en fait véritablement son pain quotidien s’accomplit chaque jour le mystère de Noël, l’incarnation du Verbe61.

Comme la maternité, l’eucharistie contribue à unifier la personne, dans la mesure où elle s’adresse à l’âme en sa dimension la plus spirituelle, comprise toujours par Edith comme unité corps et âme. Elle assume et vient en aide à notre faiblesse humaine. Elle oriente vers ce qui est le plus important dans la personne, la source vitale qui ne se reçoit pas d’elle-même. Dans l’eucharistie, le Christ «me donne vie nouvelle jour après jour», jusqu’à ce que «sa plénitude [vienne] un jour m’inonder»62. Les effets de l’eucharistie sont éminemment personnalistes; ils concourent au développement de la personne tout entière, en conformité avec la spécificité de l’âme humaine dont l’ouverture spirituelle63 offre une capacité dépassant les limites de la nature humaine.

Vivre de façon eucharistique64 signifie sortir insensiblement de l’étroitesse de sa propre vie pour grandir dans l’immensité de la vie du Christ65.

L’eucharistie réalise dans la vie personnelle ce que le sacrifice de la Croix accomplit pour l’humanité entière. Nous sommes «élevés hors de l’étroitesse de notre existence dans l’immensité du Royaume de Dieu»66. Notre vie épouse le mouvement d’élévation signifié par la Croix. Les intentions du Seigneur «deviennent les nôtres et nous [lui] sommes toujours plus profondément liés et, en lui, à tous les siens»67.

Toute solitude cesse et nous sommes cachés sûrement dans la tente du roi, marchons dans sa lumière68.

Le mouvement d’élévation est un mouvement d’alliance, d’union stable avec Dieu dans le Christ. Dans un poème composé à l’occasion de la profession de sa sœur Rosa dans le Tiers-Ordre du Carmel, le 25 juin 1941, Edith l’exprime de la façon suivante:

Autour de l’autel gravite maintenant toute ma vie:

Là-bas est le soleil qui m’illumine, me conduit.

Le pain et le vin me sont donnés en nourriture.

Là-bas le cœur bat qui s’épanche débordant,

Il répand sur moi les flots de son amour

Et me retient complètement dans son orbite69.

Le mouvement concentrique de l’amour se propage à partir de l’autel jusqu’au croyant sur lequel il exerce une force d’attraction vitale. Ce mouvement est caractéristique de la vie de Dieu.

La vie divine est amour, amour débordant, expansif, qui se donne librement: amour qui se penche avec miséricorde sur tout être nécessiteux; amour qui soigne ce qui est malade et éveille à la vie ce qui est mort; amour qui protège et garde, nourrit, enseigne et forme; amour qui est en deuil avec les affligés et dans la joie avec ceux qui se réjouissent; qui est au service de tout être pour qu’il devienne ce pour quoi le Père l’a déterminé; en un mot: l’amour du cœur divin70.

Le croyant qui reçoit la vie et l’amour de Dieu est transformé, si bien que comme les apôtres, il peut «apporter la lumière à ceux qui gisent encore dans l’obscurité et l’ombre de la mort» et «porter dans le monde privé de salut la vie pascale nouvelle qui leur a été offerte»71. L’autre mouvement signifié par la croix est ici esquissé: la charité divine qui descend et embrasse toute l’humanité.

Conclusion

La suite du Christ à l’école d’Edith Stein a des conséquences pastorales importantes et concrètes. Edith, comme plus tard le Concile Vatican II, invite chacun à prendre conscience du lien vital qui l’unit au peuple juif, si bien qu’Israël est pour les chrétiens leur frère aîné dans la foi, leur frère aimé. L’alliance de Dieu avec Israël s’accomplit dans le sacrifice de la Croix. Le Christ, grand-prêtre éternel, par son cœur transpercé, introduit toute l’humanité dans le Saint des Saints; il lui apprend à parler au Père à partir de son propre cœur.

C’est l’homme tout entier qui est personnellement concerné par le grand mystère de l’eucharistie. «Corps et âme doivent être formés à la vie eucharistique», le plus tôt possible et le plus souvent possible72. L’eucharistie et la liturgie contribuent à former littéralement «les enfants des hommes en enfants de Dieu» — «en forme de Dieu (Gott-förmig), en forme du Christ (Christus-förmig)»73. Dieu devient principe de formation intérieur, plus intérieur que l’âme elle-même. Edith discerne comme «principe de formation le plus intérieur de l’âme féminine, l’amour tel qu’il s’écoule du cœur divin»74. La parenté entre l’âme féminine et le cœur divin trouve son excellence dans la maternité de Marie au pied de la Croix:

Ainsi as-Tu pris les Siens dans Ton cœur,

Et avec le sang du cœur [versé dans d’] amères souffrances,

Tu as acheté pour toute âme la vie nouvelle75.

Edith rejoint les considérations de Jean-Paul II sur La Mère du Rédempteur: au pied de la Croix, «la “nouvelle maternité de Marie”, établie dans la foi, est un fruit de l’amour «nouveau» qui s’approfondit en elle définitivement par sa participation à l’amour rédempteur du Fils»76.

La vie eucharistique a des exigences. «Par nature, notre âme est encombrée, à tel point que sans arrêt, une chose chasse l’autre; elle est dans un mouvement incessant, souvent dans les tempêtes et l’agitation.»77 Il y a une décision à prendre, un choix à faire quotidiennement:

Je veux ainsi m’approcher de l’autel de Dieu. Ici, il ne s’agit pas de moi et de mes petites affaires, mais du grand sacrifice d’expiation. Je peux y participer, me laisser purifier et me remplir de joie, et me présenter à l’autel au moment de l’offertoire avec toute mon action et ma souffrance. Et quand le Seigneur vient à moi dans la sainte communion, je peux lui demander: «Seigneur, que désires-tu de moi?». Ce que j’entrevois alors dans un dialogue silencieux comme ma prochaine tâche, je l’entreprendrai78.

C’est dans l’eucharistie que je reçois le travail à faire. Ma journée professionnelle reçoit son sens de la source divine. Je suis moi-même transformée à son contact.

[L’âme] est devenue grande et vaste, parce que sortie d’elle-même et entrée dans la vie divine. L’amour brûle en elle, telle une flamme paisible, que le Seigneur a allumée. Elle la pousse à donner de l’amour et à l’allumer à son tour dans les autres79.

Chaque personne devrait trouver ce qui convient le mieux à sa situation pour que la vie divine irrigue sa propre vie et la transforme.

Au centre de l’histoire du monde se dresse la Croix du Christ. L’Agneau a vaincu, mais le combat continue de faire rage, portant l’anxiété à son comble.

Qui sera notre guide de la nuit vers la lumière?

Comment finira la terreur?

Où le jugement atteint-il les pécheurs?

Quand le destin prendra-t-il une autre tournure?80

Edith a participé avec beaucoup de lucidité au combat spirituel de son temps entre le Christ et l’Antéchrist. Elle a subi en sa chair l’arrogance et le triomphe des puissances du mal. Elle a perçu combien «la Croix est signe de contradiction»81. Elle a exprimé avec force l’urgence et le sérieux de l’alliance:

Aujourd’hui le Seigneur nous regarde, grave, mettant à l’épreuve, et il demande à chacune de nous: Veux-tu garder la fidélité au Crucifié? Réfléchis bien! Le monde est en feu, le combat entre le Christ et l’Antéchrist bat son plein ouvertement. Si tu te décides pour le Christ, il peut t’en coûter la vie. Réfléchis bien aussi à ce que tu promets82.

«Le monde est en feu»83: le cri prophétique de Thérèse d’Avila traverse les temps. Il déchire la surdité du cœur endurci, bouscule la paresse, ébranle la médiocrité, disperse la langueur. Edith, prophète du xxe siècle, nous presse de répondre, non pas en nous appuyant sur nos propres forces mais en regardant la Croix, en concluant une nouvelle fois l’alliance de notre baptême, de notre consécration, de notre engagement personnel, en vivant une relation sponsale de pur amour avec le Crucifié.

Le monde est en feu. Le brasier peut aussi atteindre notre maison. Mais élevée au-dessus de toutes les flammes, la Croix s’élance. Elles ne peuvent pas l’embraser. Elle est le chemin de la terre vers le ciel. Celui qui l’embrasse en croyant, aimant, espérant, elle le porte jusque dans le sein de la Trinité.

Le monde est en feu. Est-ce qu’il ne te presse pas de l’éteindre? Regarde en haut vers la Croix. Du cœur ouvert coule le sang du Rédempteur. Il éteint les flammes de l’enfer. Rends ton cœur libre par l’accomplissement fidèle de tes vœux, ensuite se déversera dans ton cœur le flot de l’amour divin, jusqu’à ce qu’il déborde et devienne fécond jusqu’aux limites de la terre84.

Notes de bas de page

  • 1 E. Stein, «Nuit Sainte (Pour Rosa, en souvenir du 24.XII.36), 6.XII.37», dans Le secret de la Croix, trad. de S. Binggeli, Cahiers de l’École cathédrale, 34, Paris, Parole et Silence, 1998, p. 59-61.

  • 2 Cf. Ibid., p. 93.

  • 3 Ibid., p. 100.

  • 4 Ibid. p. 61.

  • 5 Du 7 avril au 1er septembre 1915.

  • 6 E. Stein, Selbstbildnis in Briefen III. Briefe an Roman Ingarden, coll. Edith Stein Gesamtausgabe (ESGA) 4, Freiburg, Herder, 2001, lettre 56 à R. Ingarden, 29.10.1918.

  • 7 Id., Vie d’une famille juive, Paris, Ad Solem, Cerf, 2001, p. 276.

  • 8 Cf. Ibid., p. 278.

  • 9 E. Stein, Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 61.

  • 10 Id., Selbstbildnis in Briefen II, 1933-1942, coll. ESGA 3, Freiburg, Herder, 2000, lettre 542 à A. Jaegerschmid, 23.3.1938.

  • 11 Id., «Dialogue nocturne», dans S. Binggeli, Le féminisme d’Edith Stein, Paris, Parole et Silence, 2009, p. 438-449, ici p. 440.

  • 12 J. Hirschmann, «Schwester Teresia Benedicta vom heiligen Kreuz», dans Edith Stein. Ein neues Lebensbild in Zeugnissen und Selbstzeugnissen, W. Herbstrith éd., Freiburg, Herder, 19873 (19831), p. 151-155, ici p. 153.

  • 13 E. Stein, Vie d’une famille juive (cité supra n. 7), p. 81.

  • 14 Ibid., p. 82.

  • 15 Ibid., p. 84.

  • 16 Ibid., p. 85.

  • 17 Id., Selbstbildnis in Briefen II, 1933-1942 (cité supra n. 10), lettre 334 à P. Brüning, 23.7.1934.

  • 18 Id, Kreuzeswissenschaft. Studie über Johannes vom Kreuz, coll. ESGA 18, Freiburg, Herder, 2003, p. 5.

  • 19 Id., Selbstbildnis in Briefen II, 1933-1942 (cité supra n. 10), lettre 352 à P. Brüning, 14.12.1934.

  • 20 Ibid., lettre 580 à P. Brüning, 9.12.1938.

  • 21 Id, «Dialogue nocturne» (cité supra n. 11), p. 449.

  • 22 Ibid., p. 447-448.

  • 23 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 63.

  • 24 En particulier Rm 11,25-26: «Car je ne veux pas, frères, vous laisser ignorer ce mystère, de peur que vous ne vous complaisiez en votre sagesse: une partie d’Israël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il est écrit: “De Sion viendra le Libérateur, il ôtera les impiétés du milieu de Jacob”».

  • 25 Cf. Jean-Paul II, «Homélie de béatification», Cologne, 1.5.1987, dans D. M. Golay, Devant Dieu pour tous. Vie et message d’Edith Stein, Paris, Cerf, 2009, p. 263-265.

  • 26 G.-M. M. Cottier, «L’historique de la Déclaration», dans Les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes. Déclaration Nostra aetate, A. M. Henry éd., coll. Unam Sanctam, 61, Paris, Cerf, 1966, p. 37-78, ici p. 39.

  • 27 Cf. F. Lovsky, La déchirure de l’absence. Essai sur les rapports entre l’Église du Christ et le peuple d’Israël, Paris, Calmann-Lévy, 1971, p. 267.

  • 28 E. Stein, Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 54.

  • 29 Ibid., p. 53.

  • 30 Id., «La prière de l’Église», dans Source cachée, Paris, Ad Solem-Cerf, 1999, p. 49-78, ici p. 64.

  • 31 Ibid., p.63-64.

  • 32 Ibid., p. 64.

  • 33 Ibid.

  • 34 Ibid.

  • 35 Ibid., p. 65; 73.

  • 36 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 39.

  • 37 Id., «La prière de l’Église» (cité supra n. 30), p. 66.

  • 38 Ibid., p. 69.

  • 39 Id., «Jugendbildung im Licht des katholischen Glaubens. Bedeutung des Glaubens und der Glaubenswahrheiten für Bildungsidee und Bildungsarbeit (1933)» (ESGA 16-7), dans Bildung und Entfaltung der Individualität. Beiträge zum christlichen Erziehungsauftrag, coll. ESGA 16, Freiburg, Herder, 2001, p. 71-90, ici p. 89.

  • 40 Id., «Die Bestimmung der Frau (1931)» (ESGA 13-4), dans Die Frau. Fragestellungen und Reflexionen, coll. ESGA 13, Freiburg, Herder, 2000, p. 46-55, ici p. 46.

  • 41 Id, Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 74.

  • 42 Ibid., p. 50-51.

  • 43 Id., «Das Weihnachtsgeheimnis. Menschwerdung und Menschheit (1931)» (ESGA 19-1-1), dans Geistliche Texte I, coll. ESGA 19, Freiburg, Herder, 2009, p. 2-14, ici p. 13.

  • 44 Cf. Poème «Signum Crucis. 16.XI.37», dans Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 53-55.

  • 45 Ibid., p. 53-54.

  • 46 Ibid. p. 54.

  • 47 Id., «Sentences du mois de juin 1940», dans Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 120.

  • 48 Cf. Is 42,1-7; 49,1-9; 50,4-9; 52,13-53,12.

  • 49 Ph 2,5-11.

  • 50 E. Stein, Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 54-55.

  • 51 Ibid., p. 46.

  • 52 Id., «La prière de l’Église» (cité supra n. 30), p. 55-56.

  • 53 Id., «Eucharistische Erziehung» (ESGA 16-6), dans Bildung und Entfaltung der Individualität … (cité supra n. 39), p. 63-70, ici p. 64.

  • 54 Id., «Christliches Frauenleben (1932)» (ESGA 13-6), dans Die Frau… (cité supra n. 40), p. 79-114, ici p. 86.

  • 55 Id., Endliches und ewiges Sein. Versuch eines Aufstiegs zum Sinn des Seins, coll. ESGA 11/12, Freiburg, Herder, 2006, p. 432.

  • 56 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 64.

  • 57 Ibid., p. 66.

  • 58 Ibid.

  • 59 Ibid., p. 66-67.

  • 60 Cf. Id., «Das Weihnachtsgeheimnis. Menschwerdung und Menschheit (1931)» (cité supra n. 43), p. 12: «Et Verbum caro factum est [Et le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14)]. [Ce mystère] est devenu vérité dans l’étable de Bethléem. Mais il s’est encore réalisé sous une autre forme. “Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle” [Jn 6,54].»

  • 61 Ibid.

  • 62 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 46.

  • 63 Spirituelle dans le sens de la nature propre à l’esprit qui n’est pas nécessairement lié à la matière.

  • 64 L’allemand dispose de l’adjectif eucharistisch directement dérivé du substantif Eucharistie, ainsi que l’usage adverbial de l’adjectif. Nous avons choisi d’introduire cette nouveauté dans nos traductions. La perspective théologique induite par cette possibilité nouvelle du vocabulaire est de considérer l’eucharistie non pas seulement comme une notion et une doctrine, mais comme une action et une vie. L’une des conférences d’E. Stein a pour titre: «Éducation eucharistique (Eucharistische Erziehung)», dans Bildung und Entfaltung der Individualität … (cité supra n. 53), p. 63-70.

  • 65 «Das Weihnachtsgeheimnis. Menschwerdung und Menschheit (1931)» (cité supra n. 43), p. 13.

  • 66 «Eucharistische Erziehung» (cité supra n. 53), p. 65.

  • 67 Ibid., p. 65.

  • 68 Ibid.

  • 69 E. Stein, Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 126.

  • 70 Id., «Das Ethos der Frauenberufe (1930)» (ESGA 13-2), dans Die Frau… (cité supra n. 40), p. 25.

  • 71 Ibid., p. 47.

  • 72 Id., «Eucharistische Erziehung» (cité supra n. 53), p. 65.

  • 73 Id., «Die Mitwirkung der klösterlichen Bildungsanstalten an der religiösen Bildung der Jugend (1929)» (ESGA 16-5), dans Bildung und Entfaltung der Individualität … (cité supra n. 39), p. 50-62, ici p. 51.

  • 74 «Das Ethos der Frauenberufe (1930)» (cité supra n. 70), p. 29.

  • 75 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 67.

  • 76 Jean-Paul II, Redemptoris Mater, 25.3.1987, n. 23.

  • 77 E. Stein, «Grundlagen der Frauenbildung (1930)» (ESGA 13-3), dans Die Frau … (cité supra n. 40), p. 30-42, ici p. 43.

  • 78 Ibid., p. 43-44.

  • 79 Ibid., p. 44.

  • 80 Id., Le Secret de la Croix (cité supra n. 1), p. 121.

  • 81 Id., «Kreuzerhöhung. Ave Crux, Spes unica!» (ESGA 20-2-4), dans Geistliche Texte II, coll. ESGA 20, Freiburg, Herder, 2007, p. 118-122, ici p. 119 (trad. de S. Binggeli dans E. Stein, Source cachée [cité supra n. 30], p. 236-240).

  • 82 Ibid.

  • 83 Thérèse dAvila, Le chemin de la perfection I,5.

  • 84 E. Stein, «Kreuzerhöhung. Ave Crux, Spes unica!» (cité supra n. 81), p. 121-122.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80