À l’ombre de ses ailes. Le livre de Ruth. Une lecture narrative

Jean-Pierre Sonnet s.j.
Écriture Sainte - Recenseur : Sébastien Dehorter

Tel un petit drame en quatre actes (chacun en son lieu propre : le chemin de Moab vers Judas, le champ de Booz, l’aire à battre le blé, la porte de la ville), l’intrigue du livre de Ruth est comme tout entière mise à l’enseigne d’un lieu hautement symbolique, Bethléem, la « maison du pain », qui signifie en négatif les deux manques initiaux qui la sous-tendront jusqu’à la fin : le manque de pain et le manque de descendance (p. 55-56). Mais avant que Noémi - « Ma douceur », très amère sur son sort (Rt 1,20), ne puisse accueillir la bénédiction que lui envoient les femmes de Bethléem (4,14-17), il aura fallu que deux personnages témoignent d’une bonté et d’une loyauté (ḥesed) pour ainsi dire divines, Ruth la Moabite (2,11 ; 3,10) et Booz (2,20) qui au terme d’un subtil stratagème législatif parviendra à devenir son goêl, exerçant à la fois son droit de rachat et de lévirat (4,1-11). Lu à Shavouôt dans la tradition juive, en raison de son contexte agraire de moissons et de l’exemplaire fidélité de son héroïne à l’égard du Dieu d’Israël (p. 14-15, cf. 1,16-17), le petit livre de Ruth a également toute sa place, dans la LXX (et le canon catholique), entre le livre des Juges et 1 Samuel. Et pour cause : la généalogie finale (4,18-22) nous apprend qu’il ne raconte pas seulement les tribulations édifiantes d’une famille dans le peuple, mais qu’il s’agit en réalité d’une péripétie clé dans l’histoire du peuple – Ruth la Moabite ne devenant rien de moins que l’arrière-grand-mère du roi David ! Ainsi la ḥesed du couple dont on suit la formation se révèle être le creuset de l’histoire nationale (cf. p. 18).

Ces quelques glanures recueillies dans la moisson prolifique de l’ouvrage que nous présentons sont loin d’en épuiser la richesse. Concrètement, « l’ouvrage a la forme d’une lecture ralentie du livre de Ruth, attentive à l’art narratif qu’il met en jeu, et ceci afin de mieux saisir la théologie et l’anthropologie qui s’y déclarent » (p. 10). Tout d’abord, l’introduction (p. 9-42) s’interroge sur certains préalables qui accompagneront toute la lecture : l’emplacement du livre dans le canon biblique, l’époque de rédaction (entre 500 et 450), sa manière de mettre en intrigue le droit d’Israël (rachat et lévirat, glanage) et son art narratif. La partie centrale (p. 43-167) associe une traduction à un commentaire à deux niveaux. Pour cela, la page est divisée en trois espaces. Sur une colonne de gauche assez étroite : le texte hébreu suivi de sa traduction française qui cherche la proximité au texte hébraïque et une certaine fluidité en français ; en notes de bas de page : des discussions philologiques de certaines particularités ou difficultés du texte, choix de traduction, liens intertextuels ; sur une large colonne de droite, en regard de la traduction donc, un commentaire suivi qui épouse le dynamisme narratif du récit. Enfin, la conclusion (p. 169-187) a la forme d’un bref essai théologique, centré sur « le Dieu caché du livre de Ruth » (cf. déjà NRT 133, 2011, p. 177-190), mais avec, à l’horizon, l’évangile de Matthieu dont la finale, en écho à son ouverture généalogique (laquelle mentionne explicitement Ruth), fait de l’être-disciple ouvert à toutes les nations la génération continuée.

Nul besoin de présenter son auteur, prof. d’exégèse de l’AT à Rome et directeur de la collection « Le livre et le rouleau ». Sa plume alerte et ses formules heureuses, son art consommé d’une lecture qui épouse le texte dans son dynamisme interne, ses références savantes, souvent hors des sentiers battus de l’exégèse francophone, tiennent le lecteur en haleine du début à la fin. Un livre qui invite à vivre davantage dans la fidélité et la bienveillance. — S.D.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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