Dès les premiers siècles, des auteurs chrétiens se sont plu à trouver dans la Bible des figures du Christ et de la nouvelle alliance. Ils ont parfois cherché à identifier de telles figures dans des livres païens également. Sous le long règne de l’empereur Kangxi (1654-1722), quelques jésuites français, notamment Joachim Bouvet (1656-1730) et Joseph de Prémare (1666-1736), étiquetés « figuristes », entreprirent semblable recherche dans les textes classiques – y compris taoïstes – qui constituent le socle de la civilisation chinoise, en particulier le Livre des Mutations (Yijing) et ses commentaires traditionnels. Ils mettaient au service de ce projet des connaissances approfondies de la langue et de la littérature chinoises ainsi que des contacts réguliers avec des lettrés proches de la cour impériale. Rédigées en chinois, leurs recherches étaient parfois présentées directement à l’empereur.

Tout en rapprochant les chronologies de la Bible et de la Chine antique, ils étaient convaincus que les textes classiques contenaient les traces d’une révélation primitive universelle : non seulement un Dieu unique et créateur mais l’incarnation du Fils de Dieu, sa mort rédemptrice sur la croix, l’eucharistie, la Trinité… Il s’agissait dès lors non seulement d’interpréter des fragments de mythes, des images et des symboles, mais aussi de décoder le sens caché des idéogrammes (et même des éléments entrant dans leur composition) et de spéculer sur la signification des nombres et des hexagrammes. La nouveauté de cette étude fouillée est l’exploitation de nombreux manuscrits chinois (plus de 400 p.) laissés par les figuristes et conservés surtout à Paris et Rome. Si l’hypothèse à la base de leur entreprise nous paraît aujourd’hui bien étrange, on ne peut qu’être impressionné par la liberté et la créativité avec lesquelles ces auteurs parlent du Christ et de la foi chrétienne avec les mots, les images et les valeurs d’une civilisation aussi différente. — J. Scheuer s.j.