De l’Orient à l’Occident. Orthodoxie et catholicisme

Placide Deseille
Œcuménisme - Recenseur : Gauthier Kirsch

Paru l’année de la mort de son auteur, ce recueil d’écrits brefs de Placide Deseille sur les rapports entre orthodoxie et catholicisme est précédé d’une autobiographie en guise d’introduction : « Étapes d’un pèlerinage ». C’est ainsi que notre auteur relit son parcours vers le baptême orthodoxe, et par extension, ce que devrait être le trajet des autres confessions chrétiennes. Car P. Deseille, ancien moine cistercien, bon érudit, collaborateur des collections « Sources chrétiennes » et « Spiritualité orientale », mesure la qualité du christianisme à la seule proximité avec « les Pères », cette référence ultime des auteurs orthodoxes.

Ses écrits sont, il est vrai, témoins d’une bonne recherche historique et souvent nuancés. Il y a de vrais arguments avancés et, de ce point de vue, ces textes sont fort intéressants. Mais la thèse soutenue est évidemment des plus contestables : l’œcuménisme – sans parler du dialogue interreligieux ! – est une illusion, seule compte la conversion à l’orthodoxie pour unifier les chrétiens.

P. Deseille déroule ainsi devant nous sa vision de l’histoire de l’Église : la partie orientale de l’Empire romain – du moins celle qui adhère aux conciles d’Éphèse et de Chalcédoine – demeure parfaitement en continuité avec l’enseignement des apôtres et la partie occidentale diverge progressivement jusqu’à l’hérésie. Hérésie redoublée avec la Réforme au xvie siècle.

On peut constater que, malgré son effort pour demeurer critique, l’A. n’aime guère le vocabulaire conciliant sur ce point : il n’y a pas de « schisme » de 1054, mais bien une séparation entre l’orthodoxie et le christianisme romain convaincu d’hérésie, à la manière des séparations de 431 et 451.

Si nous voulions être – un peu – ironique, nous remarquerions que c’est finalement un schéma très néo-platonicien, voire gnostique : de l’Un apostolique se déroule une procession d’églises de plus en plus loin de l’origine, de plus en plus embourbées dans l’hérésie, qui n’ont de salut que de retourner se fondre dans l’unité préservée de l’orthodoxie…

Alors, bien entendu, la question des divergences dogmatiques entre Occident et Orient est un vrai débat, et il n’est pas question de pouvoir résoudre facilement les trois problèmes soulevés par P. Deseille : la doctrine de saint Augustin, le filioque (qu’il relie à l’augustinisme) et la primauté du pape. Mais d’autres conceptions du retour à l’unité des chrétiens sont envisageables, même si elles sont évacuées par notre auteur.

De plus, il est permis de trouver quelques incohérences à ce qui est présenté comme la position orthodoxe. Ainsi cette assimilation pure et simple de l’Église originelle à l’orthodoxie actuelle : quelle ressemblance trouver entre les premières communautés et l’ultra-ritualisme byzantin, totalement orienté vers le monachisme ? Si Augustin présente des « innovations » théologiques, qu’en est-il de son contemporain Évagre le Pontique ? Qui peut décider que l’un innove et l’autre perpétue ?

De la même façon, juger que la théologie d’Occident « déchoit » définitivement à partir de la scolastique et que l’hésychasme qui se constitue au même moment n’est qu’une autre manière de reformuler l’évangile ressemble plutôt à une plaisanterie. Ou alors il faut préciser que seul le platonisme est compatible avec le Christ et que l’aristotélisme ne l’est pas – sauf qu’Augustin, « hérésiarque » par excellence, est aussi un platonicien…

L’Église orthodoxe est aussi d’ailleurs tout et son contraire : elle préserve le rituel le plus rigoureux et les canons les plus précis, mais en même temps elle est largement ouverte à l’Esprit et à ses imprévus, loin du centralisme mortifère de Rome. De plus, l’orthodoxie est parfaitement universelle et détachée de toute culture particulière, le « phylétisme », comme dit notre auteur, n’étant qu’un regrettable accident passager.

En conclusion, cet ensemble d’écrits est fort intéressant par sa façon bien structurée de présenter le radicalisme orthodoxe, mais – on l’aura compris – pas jusqu’à nous en convaincre… — G. Kirsch

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80