Dieu contre le mal. Un chemin de théologie philosophique

Yves Labbé
Théologie - Recenseur : Paul Lebeau s.j.
Ce livre illustre une fois de plus l'actualité de la collection Philosophie et Théologie, et le défi méthodologique qu'y affrontent les auteurs des travaux qui l'honorent. Après en avoir abordé la problématique dans une série impressionnante de publications antérieures, l'A., professeur de philosophie à la Faculté de Théologie catholique de Strasbourg, invite à l'exploration «d'un chemin de théologie philosophique», c'est-à-dire de théodicée reçue lato sensu. Comme le suggère le titre, c'est à partir de la question du mal que cette réflexion est abordée, mais dans le cadre d'une réflexion plus ample sur les diverses approches de la connaissance de Dieu. En ce qui concerne la réception de la théodicée en France parmi les théologiens catholiques, l'A. y reconnaît trois périodes, que l'on peut parfois identifier dans la chronologie d'une seule et même oeuvre (notamment chez Cl. Geffré): défense de la théologie naturelle; critique de l'absolu métaphysique; référence à un universel religieux. L'A. constate néanmoins que la théologie philosophique a pu trouver hors de la pensée française des conditions plus favorables à son développement dans les orientations philosophiques anglo-saxonnes (Swinburne, Phillips, Whithead, Cobb). Il ne néglige pas pour autant le retentissement du propos audacieux du juif H. Jonas face à la tragédie de l'Extermination: «L'auto-limitation de Dieu est la seule réponse possible à son silence» - ce qui n'est pas sans relation, note-t-il justement, avec la compréhension de la Création chez S. Weil en termes de renoncement de Dieu à lui-même.
À partir de cet état de la question, l'A. articule sa réflexion en 5 chapitres: 1. Pourquoi voulons-nous Dieu? (Pascal; Kant; Nietzsche). 2. D'où pouvons-nous parler de Dieu et le dire? «Le divin n'est-il pas toujours, d'une manière ou d'une autre, à la fois vécu dans une existence et signifié dans une tradition», ainsi que l'implique le Proslogion de S. Anselme (p. 74-75)? Notons à ce propos cette référence significative de l'A.: «Je n'ai pas caché et ne tenterai pas de cacher ce que je dois ici au christianisme» (p. 96). 3. Qu'est-ce qui nous permet d'affirmer Dieu? - étant entendu que «l'intérêt à la contextualité religieuse de la théodicée n'enlève pas à la philosophie la responsabilité de son chemin rationnel». La réponse de l'A., dont nous ne pouvons détailler ici les considérants lucidement formulés, tient en ce raisonnement: «En recevant l'obligation (morale) seule, le sujet ne reçoit pas nécessairement la capacité d'y satisfaire. Il attend donc d'être donné à lui-même pour pouvoir se donner. Or aucun autre, s'il lui est semblable, ne saurait le donner inconditionnellement à lui-même… Dès lors il n'y aurait pas de réciprocité éthique réellement possible… si le sujet n'était pas inconditionnellement donné à lui-même par un autre qui ne peut être qu'unique. Cet autre, nous le nommons Dieu».
4. Que dirions-nous encore de Dieu? En ce chapitre, l'A. aborde ce que Lévinas appelait «l'épreuve suprême de la volonté»: la souffrance. Avec sa loyauté coutumière, l'A. fait ici état d'une «rétractation»: dans un ouvrage antérieur (Le Sens et le Mal), écrit-il, il était «resté en retrait d'une pensée de l'espérance qui devienne pensée d'une possible conciliation de l'amour et de la puissance de Dieu dans sa liberté absolue» (p. 198). Il s'en explique avec maîtrise dans un cinquième chapitre qui constitue une relecture réflexive de son parcours antérieur: comment avons-nous discouru de Dieu? - mais aussi dans une Conclusion qui achève d'éclairer le sens de l'ensemble, tout en fondant la légitimité d'une philosophie théologique. Concluons nous-même par une citation qui, nous l'espérons, pourrait suffire à signaler l'importance et l'actualité de cet ouvrage: «Si Dieu n'est pas resté impensable, nous n'avons pu le penser qu'à la condition de pouvoir finalement espérer de Dieu qu'il se révèle contre la souffrance en se révélant aussi dans la souffrance. Ainsi, c'est la dissemblance suscitée par l'espérance, entre ce qui est et ce qui est attendu, qui introduit à la ressemblance sans laquelle il n'y a pas d'analogie» (p. 245). - P. Lebeau, S.J.

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