Du fanatisme. Quand la religion est malade

Adrien Candiard
Théologie - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.

Dans un style aisé et agréable, Adrien Candiard nous plonge dans un débat théologique profond et actuel : « Quel Dieu invoquent les fanatiques qui excommunient, persécutent et tuent en son nom ? » Il rejoint la question posée par les Lumières : les religions ne sont-elles pas source de la violence ? Il expose son sujet comme chrétien, frère dominicain, au contact personnel et vivant avec le monde islamique. Sa thèse est la suivante : le fanatisme religieux témoigne d’un athéisme profond des croyants ou des courants théologiques qui s’y réfèrent ; « un pieux athéisme, athéisme de religieux, un athéisme qui ne cesse de parler de Dieu, mais qui en réalité sait fort bien s’en passer » (p. 42). Dieu n’est plus connu, mais remplacé par des idoles. Ce plaidoyer marque nettement la différence entre la foi et la croyance. Sans nier l’apport des approches sociologiques ou psychologiques, il montre clairement la nécessité d’une réflexion théologique pour comprendre le fanatisme d’hier et d’aujourd’hui. L’exclusion de la théologie (p. ex. dans la laïcité française), « discours raisonné et critique sur la foi et sur Dieu » (p. 17), peut favoriser certains délires fanatiques.

Le chap. 1 montre que les fanatismes religieux ont un point commun : non pas un excès de Dieu, mais sa mise à l’écart consciente ou inconsciente, de fait un athéisme pratique. Il décrit tant dans l’Islam que dans le Christianisme comment une théologie peut n’être qu’un « pieux agnosticisme » (p. 37). Le hanbalisme – courant théologique dont les racines remontent au ixe s. à Bagdad et dont le fondateur est Ibn Hanbal – a repris une vigueur nouvelle dans le salafisme. Il s’agit presque d’une théologie « qui pense l’inutilité de la théologie ». Ce que Dieu a révélé de lui n’est pas sa nature, mais sa volonté. « On ne sait pas qui est Dieu, mais on sait ce qu’il veut » (p. 32). En Islam, il ne s’agit que d’une théologie parmi d’autres, mais elle influence l’Islam contemporain par son simplisme. « Le fanatisme est aussi le fruit, parfois assez direct, de certaines théologies, de certaines conceptions de Dieu et de notre capacité à le connaître » (p. 40).

Le chap. 2 développe des exemples d’idoles que tout fanatisme substitue à Dieu. Il en fait l’inventaire pour le christianisme. Dans certains cas, la Bible, la liturgie, les leaders charismatiques en viennent à être absolutisés. Or « si Dieu seul est Dieu », on ne peut pas le circonscrire et mettre la main sur Lui. Ce qui est sacré peut dire Dieu, mais n’est pas Dieu. On ne peut pas objectiver Dieu, même dans le mystère de l’Incarnation. « Ici commence le fanatisme : quand je veux faire rentrer l’infinité de Dieu dans l’étroitesse de mes idées, de mes enthousiasmes ou de mes haines ; quand je perds de vue qu’il est plus grand que moi, qu’il est au-delà de ces combats où je souhaite le mobiliser, mais que c’est au contraire à lui de me conduire où il le veut » (p. 57).

Le chap. 3 est consacré à la recherche des remèdes aux tentations de fanatisme. Avec pédagogie, l’A. en présente trois : la théologie comme démarche rationnelle et critique et l’entrée dans une recherche de la raison commune, le dialogue interreligieux vrai dans l’exposé interpersonnel des assurances de la foi, la prière comme un lieu et un espace où Dieu peut se révéler, dire ce qu’il est, nous partager son Nom. En présentant ces chemins, l’A. nous communique son scepticisme par rapport aux actions actuelles des États. Des maladies se soignent, mais « pour ce qui est du fanatisme, je ne lui connais d’autre remède que le développement de la vie spirituelle » (p. 71). Approfondir pour l’homme sa relation profonde à Dieu, c’est entrer dans une reconnaissance de l’absolu de Dieu et de la manière dont il se dit dans l’histoire des hommes et des nations. Cette purification des images de Dieu, que nous avons ou que nous nous faisons, est un travail pour tous les hommes de bonne volonté. Cette option « religieuse » de lutter pour mieux connaître Dieu interpelle sûrement certaines options sociopolitiques de la laïcité des États. — A.M.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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