Parmi les ouvrages tombés dans notre escarcelle, celui-ci est sans
doute l'un de ceux que nous avons lu avec le plus de plaisir. Un
style enlevé, assez peu conventionnel, quelques idées-forces bien
présentées, une érudition solide, mais discrète, tout cela nous
donne un livre instructif qui unit l'utile à l'agréable selon
l'adage du vieil Horace. La thèse de G. Mobley est simple: derrière
la prédication, le moralisme et la théologie des auteurs
deutéronomistes, il est possible de retrouver une authentique
«tradition héroïque d'Israël». Les canons de cette tradition sont
semblables à ceux d'autres cultures: combats singuliers, exécutions
rituelles, codes martiaux, justice «poétique» et géographie
mythique. G.M. développe sa thèse en sept chapitres inégaux. Les
trois premiers chap. posent les fondations de l'ensemble: une brève
introduction sur l'histoire deutéronomiste et le but de la présente
étude, un second chap. sur la culture héroïque et un troisième sur
les conventions héroïques du Proche-Orient ancien (conventions
culturelles et littéraires). Les trois chap. suivants sont
consacrés aux grandes figures «héroïques» du livre des Juges: Éhud
(Jg 3), Gédéon (Jg 6-9) et Samson (Jg 13-16). Le dernier chap.,
plus général, traite de «l'âge héroïque» et souligne ce qui sépare
le livre des Juges de l'époque monarchique. Le règne de Salomon
introduit une césure essentielle dans la narration biblique en ce
qui concerne la «littérature héroïque». L'ouvrage se termine par
une bibliographie, un index des auteurs, un index des citations
bibliques et non bibliques et un index thématique. Les premiers
chap. utilisent à la fois les textes du Proche-Orient ancien,
surtout ceux d'Ugarit, et certaines découvertes archéologiques
récentes, entre autres des pointes de flèche portant un nom de
personne. Les analyses de textes qui forment la partie la plus
importante et la plus intéressante du volume partent en général
d'une brève discussion sur la formation littéraire des récits pour
offrir ensuite une lecture qui doit beaucoup à la Nouvelle
Critique. Il y a donc grande parenté entre cette exégèse et celle
d'un R. Alter et cela jusque dans le style. G.M. est attentif aux
Leitwörter (c.-à-d. au Leitwortstil), aux structures formelles et
aux conventions littéraires. Il accorde aussi beaucoup d'importance
à la géographie narrative. Par exemple, les «monolithes» de Jg
3,19.26 délimitent l'espace à l'intérieur duquel Éhud accompli son
action héroïque. Pour Gédéon, ce sont les pressoirs qui fournissent
les clés de lecture les plus importantes (Jg 6,11; 7,25). Enfin,
pour Samson, l'A. en revient à une structure plus traditionnelle
puisqu'il y voit un récit centré sur trois figures féminines.
L'ouvrage est certainement captivant, même si tout n'est pas neuf,
s'il y a quelques répétitions et quelques longueurs, p. ex. les
pages sur les «monolithes» (93-99), et si la recherche d'un passé
héroïque trahit un certain esprit romantique apparenté à celui de
Wellhausen, de Gunkel ou encore du film Danse avec les loups de
Kevin Costner. Il reste aussi quelques questions ouvertes. En
particulier, l'emploi de l'adjectif «héroïque» aurait mérité
quelques explications supplémentaires. En fait, G.M. reconnaît que
les héros bibliques appartiennent à une race particulière. Ce sont,
pour employer le terme anglais qui revient assez souvent dans ces
pages, des underdogs («perdants», «opprimés»). Il parle même, à
propos de Samson, de morally ambiguous antiheroes. Il aurait été
utile, à notre avis, de montrer plus clairement que les «héros»
bibliques sont en fait des anti-héros et que les récits bibliques
renversent complètement les conventions de la littérature héroïque,
que ce soit celle du Proche-Orient ancien ou de la Grèce.
Le duel biblique le plus célèbre, celui de David et Goliath (1 S
17), pour ne prendre qu'un seul exemple, est aux antipodes des
conventions héroïques classiques. David n'appartient pas à la même
classe que Goliath et les combattants n'emploient pas les mêmes
armes. G.M. le souligne lui-même en notant avec justesse que David
est un na'ar («enfant», «serviteur», «assistant») alors que Goliath
est un gibbôr («guerrier», «héros», «notable») (51). Un duel entre
David et Goliath est impossible dans l'Iliade tout comme dans
l'épopée de Gilgamesh. Il aurait valu la peine de le souligner.
Cela veut dire, en fin de compte, qu'il n'existe pas de vraie
littérature héroïque en Israël, comme l'avaient déjà noté Ch.
Conroy, dans Biblica 61 (1980) 1-30 et S. Talmon dans Proceedings
of the Seventh World Congress of Jewish Studies in the Bible and
the Ancient Near East (Magnes Press, Jerusalem 1981) 41-61. Les
«héros» de la Bible sont plus proches des «héros populaires» tels
que Guillaume Tell ou Thyl Uylenspiegel que des héros des épopées
classiques. Autre regret: les notes se trouvent à la fin de chaque
chapitre. Le livre, pourtant, a été imprimé aux États-Unis, et même
à New York. - J.-L. Ska sj