Entre l'effort et la grâce. Essai sur la justification de l'homme

Flemming Fleinert-Jensen
Œcuménisme - Recenseur : Paul Lebeau s.j.
Nous avions rendu compte en son temps (NRT 123 [2001] 304) de l'important ouvrage consacré par le Prof. A. Birmelé à la Déclaration commune sur la doctrine de la justification signée le 31.10.1999 par les représentants officiels de l'Église catholique et de la Fédération luthérienne mondiale. Nous sommes d'autant plus heureux de saluer ici la parution de ce livre dont l'auteur, d'origine danoise, qui témoigne à cette occasion d'une excellente maîtrise du français, est actuellement pasteur de l'Église Réformée de Versailles, chargé de cours à l'Institut Supérieur d'Études oecuméniques à l'Institut Catholique de Paris, et professeur à l'Université de Genève.
En cet ouvrage, il relève opportunément un défi de taille: «En dehors du milieu restreint des spécialistes, qui a une idée précise de ce message que l'homme est justifié par la foi et non par les oeuvres?… Plus que jamais se pose la question de sa lisibilité aujourd'hui». Cette démarche d'actualisation est, observe également l'A., d'autant plus opportune que, «dans la société occidentale sécularisée… les Églises sont tentées de se concentrer davantage sur les questions éthico-politiques que sur la transmission du message qui constitue leur raison d'être» (p. 12).
Cette opportunité découle également du fait que «la foi chrétienne représente une position très nuancée quant à la capacité transformatrice de l'éthique». D'une part, elle souligne vigoureusement les exigences éthiques de la foi. Mais, d'autre part, elle témoigne d'un «sens aigu des limites de l'éthique, de la loi qui ordonne l'éthique»: «Elle commence par annoncer cette promesse que l'homme est libéré de toutes les figures de la mort avant même qu'il commence à agir […]. La foi chrétienne ne commence donc pas par l'éthique. Elle commence par la promesse qui lui est propre. Ensuite, mais ensuite seulement, vient l'éthique».Dans une 1re Partie, intitulée Sources, l'A. procède à une relecture contextualisée des textes relatifs à cette «promesse»: le Concile de Trente et la question de la justification, et les textes ultérieurs, catholiques et luthériens, qui «témoignent de la persistance d'un regard différent sur le subtil équilibre entre justification et sanctification». Suit enfin un rappel, également éclairant, de la genèse de la Déclaration luthéro-catholique sur la doctrine de la justification.
Après avoir ainsi posé les jalons historiques de cette doctrine, l'A., dans une 2e partie, Vérifications, entreprend de montrer «comment la logique spécifique de la justification par la foi (articulation entre la loi et la grâce), et une logique humaine universelle (articulation entre la loi et l'effort) sont à la fois semblables et différentes». D'une part, les caractéristiques de la loi (antériorité, caractère implacable, effets bénéfiques) tendent à occulter que, «fondamentalement, l'homme vit de ce qu'il reçoit». Cette priorité du recevoir «se retrouve dans l'acte de foi», lequel implique que l'homme n'est pas valorisé par ce qu'il fait, ni religieusement, ni moralement, mais par une promesse qui se réfère à un ailleurs que l'on peut, soit éviter de nommer, soit, suivant la tradition biblique, nommer «Dieu». D'où l'importance de marquer la différence «entre foi et morale, justification et sanctification, confiance en une parole reçue d'ailleurs et confiance en ses propres forces». D'une part, les hommes sont interpellés par ce que l'A. appelle «l'évangile de l'effort».
La «morale laïque», observe l'A., «bat ici son plein». Certes, «une vision de l'homme selon laquelle il faut justifier sa vie par le travail et l'effort éthique est légitime dans la mesure où une existence sans effort et sans moralité n'a guère de sens. Mais elle atteint ses limites dès que l'échec des efforts ou la fragilité des relations humaines mettent en cause le courage de vivre». Une autre perspective existentielle révèle alors sa validité paradoxale, mais inéluctablement humaine. Elle atteste que les réalités fondamentales qui conditionnent tout agir humain - famille, langue, culture, histoire, nature, corps - «relèvent de la catégorie du don». Ces éléments de base sont donnés: ce passif désigne précisément ce qui est reçu, sans résulter d'un effort de la part de l'homme, et qui évoque la gratuité, mot dont la racine latine est gratia, grâce.
Il est donc possible, insiste l'A., d'affirmer que «ce que nous recevons est, littéralement, plus fondamental que ce que nous faisons. La vita activa émerge d'une vita passiva, d'une dépendance fondamentale» qu'évoque, par exemple, la frémissante interpellation de l'Apôtre Paul, adressée aux chrétiens agités de Corinthe qui s'enorgueillissaient de leur appartenance à telle ou telle autorité spirituelle: «Qu'as-tu donc que tu n'aies reçu?» (1 Co 4,7). Telle est la cohérence de la doctrine biblique de la justification: «elle comprend deux mouvements de reconnaissance: celui de Dieu vers l'homme, résumé par le mot «grâce», et celui de l'homme vers Dieu, résumé par le mot «foi» (p. 120) - ce que l'A. illustre par des citations typiques des évangiles. La seule chose, précise-t-il, que cette Parole de salut (Ac 13,26) attend de nous, «c´est d'être accueillie avec confiance». Et il constate que, sur ce point, catholiques et luthériens se rejoignent aujourd´hui, en un consensus réel bien que différencié. Enfin, un épilogue évoque la manière dont cette option chrétienne pourrait faire l'objet d'un dialogue avec un «humaniste moderne». On l'aura compris: ce livre mérite, non seulement d'être lu, mais également médité. - P. Lebeau sj

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