L'A. anime le Centre de recherche sur l'Utopie à l'Université de
Lucca. Depuis plus de vingt ans, il médite et écrit sur l'utopie,
il faut entendre l'«eu-topie», la société juste et fraternelle à
laquelle tend l'histoire humaine. Cet ouvrage de philosophie et
d'érudition constitue un chapitre de cette recherche enthousiaste.
Le diable, tel qu'il est présenté dans les évangiles et dans la
tradition de l'Église, est un «mythe et n'est ni une réalité, ni
une personne; c'est une projection imaginaire et symbolique du mal
de l'homme» (p. 180). Cette thèse est démontrée de trois manières.
1) Par la dénonciation de l'idéologie. Le diable, le péché et
l'enfer sont les facteurs de la terreur que le pouvoir
ecclésiastique pour son intérêt propre a substitué à la religion de
l'amour qui fait la nouveauté de l'Évangile (ch. II). 2) La
déconstruction historique de la genèse du mythe (ch. III et IV)
explique par l'apocalyptique et le mazdéisme la présence massive et
exceptionnellement forte du diable dans le «cadre» des évangiles et
de leur combat. Faute d'avoir discerné scientifiquement
l'originalité de la charité évangélique (d'ailleurs annoncée dans
l'optimisme de l'AT) et leur schématisme dualiste et conflictuel
d'origine étrangère mais imposé par les circonstances et
l'environnement historique, la tradition patristique et
ecclésiastique s'est dégradée dans l'absurde (p. 165), l'insanité
(p. 193) et l'horreur. 3). La réflexion philosophique reconnaît au
contraire les racines immanentes du mal (p. 178 s), la finitude, la
potentialité infinie de l'être (humain), la différence de la raison
et de la passion, mais aussi la patience de l'histoire lente à
libérer l'homme des structures du mal. La libération aujourd'hui
entreprise rend désormais inutile le diable; elle en démolit le
mythe pour laisser place à la responsabilité humaine de construire
la société de justice et d'amour que Dieu lui confie.
La rhétorique de l'A. est plus imposante que démonstrative. La
connaissance des textes scripturaires et des sources anciennes
semble importante (sans oublier les inévitables Esséniens).
Curieusement, aucune référence n'est donnée aux recherches modernes
et contemporaines: ni Kant, ni Freud, ni Bloch (souvent si proche),
ni Delumeau ne sont cités. L'A. prémunit du doute par une naïveté
épistémologique qui ne distingue pas le mythe du symbole et une
candeur spirituelle encore ignorante des abîmes dont jaillissent la
joie et l'espérance. - A. Chapelle, S.J.