Jean-Marie Lustiger. Le cardinal prophète

Henri Tincq
Biographies - Recenseur : Bernard Joassart s.j.
Tous les lecteurs ne se seraient peut-être pas attendus à ce que H. Tincq écrive une biographie du Cardinal Lustiger. C'est fait et bien fait, l'A. ayant pu, dans la mesure du possible, profiter des archives et recueillir des témoignages pro et contra, sans bien sûr oublier les écrits et autres textes du prélat. Jamais le livre ne tombe des mains: il est à tout le moins captivant. Mais qu'en dire? D'autant qu'à sa manière, le Cardinal fut ce qu'on appellerait dans d'autres milieux un «monstre sacré».L'ouvrage est divisé en trois grandes parties. La première est intitulée: «Un destin singulier». Les titres des chapitres sont éloquents par eux-mêmes: 1. Un enfant juif et un fils de la «laïque»; 2. La guerre, la conversion, le drame; 3. Un séminariste doué et exigeant; 4. L'aumônier de la Sorbonne; 5. Curé de Sainte-Jeanne et évêque d'Orléans; 6. Un «patron» pour l'Église de Paris; 7. Le fondateur d'un nouveau clergé. «Une mission pour Israël», tel est le titre de la seconde partie qui compte deux chapitres: «Le fils des deux Alliances» et «Le cardinal des Juifs». Les qualificatifs se bousculent à l'esprit, qui tenteraient de cerner cette personnalité riche et surtout multiforme: intellectuel, meneur d'hommes, brillant, fascinant, audacieux, entreprenant, pétillant… la liste pourrait s'allonger presque sans fin. Chose particulièrement présente et développée avec art: l'appartenance du Cardinal au judaïsme. Le chemin parcouru par Lustiger en la matière fut pour le moins ardu. Mais on ne peut qu'admirer la manière fine - presque aussi pudique que celle de Lustiger lui-même quand il en parlait - avec laquelle l'A. retrace le parcours du jeune Aron qui, peu à peu, va découvrir le mystère d'Israël et qui présente la place que cette réalité va tenir dans sa vie comme celle qu'elle occupe dans la vie de l'Église, surtout depuis la Seconde guerre mondiale, avec la redécouverte par Vatican II des racines juives du christianisme.Et puis, il y a celui qui est «devenu chrétien par la foi et le baptême», prêtre, évêque et cardinal. Il fut comme un feu d'artifice au sein de l'Église, n'hésitant jamais à parler à temps et à contretemps, dans une volonté d'être le plus authentiquement fidèle au message de vérité et de bonté de l'Évangile. Toutes ses positions ne firent pas toujours l'unanimité. À ce propos d'ailleurs, si l'A. est de toute évidence admiratif de son héros, il n'est pas uniquement hagiographique; il ne cache pas que J.-M. L. avait ses défauts et pouvait, presque plus souvent qu'à son tour, déranger, déconcerter, être rude, être un empêcheur de danser en rond… Vivre sous ses ordres ou simplement comme l'un de ses pairs au sein de l'épiscopat (lesquels ne l'élurent jamais comme président de la conférence épiscopale de France) fut rarement, voire jamais, une sinécure. Il faut dire que le bon trois quarts de siècle où vécut le Cardinal fut riche en rebondissements et en problématiques souvent très complexes, que rien de ce qui se passait dans le monde et dans l'Église ne lui était étranger, qu'il y réfléchissait avec profondeur et n'épargnait pas sa peine pour exprimer sa pensée. Et la connivence qu'il entretenait avec Jean-Paul II en fit un acteur de premier plan sur l'échiquier ecclésial français - ce n'est un mystère pour personne qu'il joua un rôle important dans le choix de bon nombre d'évêques - et mondial. Une même connivence l'unissait à des personnalités de tous les bords, sans pour autant qu'il renonçât, si besoin était, de marquer, et avec vigueur, sa différence.N'oublions pas que, comme prêtre puis comme évêque, il fut un pasteur. La formation des prêtres de son diocèse fut l'une de ses préoccupations majeures. D'aucuns lui ont reproché tant la manière que les inspirations qu'il déploya dans ce domaine; et les résultats déconcertent plus d'un. On ne peut toutefois pas lui reprocher de ne pas avoir pris à bras le corps cette dimension de la vie ecclésiale et d'avoir tout tenté pour rendre courage à un clergé si secoué par les tumultes qui ont marqué le dernier demi-siècle. La formation de l'ensemble du peuple chrétien - spécialement en milieu urbain - lui tenait tout autant à coeur.À la p. 155, l'A. a reproduit le texte composé par «Aron Jean-Marie cardinal Lustiger» destiné à être gravé sur une plaque que l'on peut découvrir à Notre-Dame de Paris: «Je suis né juif. J'ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. J'ai pour saints patrons Aron le Grand Prêtre, saint Jean l'Apôtre, sainte Marie pleine de grâce. Nommé 139e archevêque de Paris par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, j'ai été intronisé dans cette cathédrale le 27 février 1981, puis j'y ai exercé tout mon ministère. Passants, priez pour moi». Voilà qui résume le parcours de ce prélat atypique. Peut-être pensa-t-il à la plaque qui fait mémoire d'un autre grand de l'époque contemporaine, John Henry Newman, à l'église romaine San Giorgio in Velabro dont il portait le titre cardinalice: la solennelle titulature du bienheureux est suivie de cette mention: «sed ante omnia christianus». - B. Joassart sj

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