Assez souvent, pour caractériser cette expérience, les sociologues de la religion ont parlé de «bricolage». Cette expression un peu péjorative risque de jeter le discrédit sur le vécu de la religion personnelle et l'ouvrage de D. Jeffrey ne s'inscrit pas dans cette perspective. Son propos est positif et vise «la mise en oeuvre d'outils théoriques pour rendre compte de cette religiosité personnelle aux multiples contours». Il s'agit de cerner la religion comme expérience du sacré en repérant les déplacements de celle-ci. Quels sont les outils, les concepts heuristiques? La religion dont il est question ici bourgeonne sur les limites de l'humain et sur les interdits. Son contenu religieux est latent. Elle prend en charge les situations d'inachèvement de l'être humain. Se donnant à voir dans des micro-rituels, elle assure la symbolisation des épreuves où l'homme se trouve confronté à de l'excès et où il n'a plus de sens immédiatement disponible pour verbaliser ce qu'il vit.
Cet ouvrage est stimulant en ce qu'il donne de quoi se rendre attentif à une expérience religieuse déplacée, souvent négligée, comme si la sécularisation avait tout recouvert. On peut toutefois se demander si la réflexion n'est pas quelque peu prisonnière d'une vision manichéenne opposant religions instituées et religions personnelles. Ne faudrait-il pas aussi faire la critique de la privatisation de la religion? Si la religion n'est plus qu'une affaire privée, ne va-t-elle pas perdre sa signification de rassemblement et de résistance éthique?
Enfin, la lecture de la Règle de saint Benoît, par exemple, montrerait une vision chrétienne du monde qui n'a pas encore séparé le sacré et le profane puisqu'il s'agit expressément de «glorifier Dieu en toutes choses». Il est vrai que cela s'est perdu par la suite… - H. Thomas, O.S.B.