L'Église catholique et le peuple juif. Un autre regard
Jean DujardinHistoire - Recenseur : Bernard Joassart s.j.
L'ouvrage n'est pas une histoire complètes des relations juifs-catholiques. Mais, repartant de cette pierre de touche que fut la Shoah, événement sans précédent, l'A. a tout d'abord revisité différents dossiers qui, à leur manière, sont comme des condensés, des symboles des relations conflictuelles entre les deux parties: «La séparation», «De l'antijudaïsme chrétien à l'antisémitisme moderne», «Pie XII et les Juifs» (à la suite, J.D. a reproduit un article excellent de François Bédarida, Pour faire avancer l'histoire: les archives du Vatican 1939-1945, paru dans la revue Esprit, en 2001); «Le retour du peuple juif sur la terre d'Israël», «L'affaire du carmel d'Auschwitz», «La repentance». Ces rappels historiques amènent à la seconde partie, «Nouveau regard, nouvelles perspectives», qui tout à la fois retrace l'histoire des efforts d'une meilleure compréhension, en particulier à partir de Nostra aetate, et met en relief les innombrables questions qui demeurent de part et d'autre, tout en dégageant les exigences d'un dialogue qui ne soit plus celui de l'affrontement.
Vient enfin un ample dossier de documents qu'on ne peut se dispenser de lire attentivement, regroupant des textes connus (ou supposés tels) et d'autres qui le sont moins. En voici la liste qui précisément permet de prendre conscience de la richesse de ce dossier: Déclaration d'Auschwitz Zakhor, Souviens-toi (22 juillet 1986); Accord de Genève II (22 février 1987); Déclaration de la Commission de l'épiscopat polonais chargée des relations avec le judaïsme (6 septembre 1989); Communiqué de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme (18 septembre 1989); Texte du Saint-Père à la communauté des soeurs carmélites d'Auschwitz (14 avril 1993); Lettre d'Edith Stein à Pie XI (12 avril 1933); Déclaration de Pie XII (29 novembre 1945); Les dix points de Seelisberg (30 juillet - 5 août 1947); Nostra aetate, n° 4 (28 octobre 1965); L'attitude des chrétiens à l'égard du judaïsme. Orientations pastorales du comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, publiées par les conférence épiscopale française (16 avril 1973); Orientations et suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire Nostra aetate, n° 4 (1er décembre 1974); Notes pour une correcte présentation des Juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique (24 juin 1985); Accord fondamental entre le Saint-Siège et l'État d'Israël (30 décembre 1993); Déclaration de repentance (30 septembre 1997); Nous nous souvenons: une réflexion sur la Shoah (16 mars 1998); Prière universelle pour la confession des fautes et la demande de pardon. Confession des fautes commises dans les relations avec Israël (12 mars 2000); Le christianisme dans la théologie juive (1968-1973); Avancées et tensions dans les relations judéo-catholiques: pour aller plus loin (23 mars 2000); «Dabru emet». Déclaration juive sur les chrétiens et le christianisme (10 septembre 2000).
Indépendamment du fait que rien ne dit que toutes les analyses et affirmations de l'A. entraîneront l'unanimité (mais peut-il en être ainsi dans un sujet aussi sensible?), voici quelques points pour lesquels l'ouvrage me paraît particulièrement précieux. Le poids de l'histoire est immense dans l'occurrence. Et le travail des historiens est certainement de première importance. Mais au fil de l'ouvrage, on prend une conscience de plus en plus nette que le sujet est l'affaire de toutes les disciplines, et que le respect de la spécificité de la démarche de chacune d'elles doit s'accompagner d'un accueil aussi large que possible de ce que les autres approches peuvent apporter dans la compréhension mutuelle.
On doit également souligner l'effort, d'une finesse remarquable, de la part de l'A. de comprendre et d'exposer les positions juives de l'intérieur, y compris en respectant la diversité des opinions à l'intérieur du judaïsme. Rien dans ce livre ne me paraît, pour les catholiques, conduire à une culpabilité morbide, ce qui, j'insiste, n'enlève rien au devoir de lucidité, à commencer par la nécessité de reconnaître l'incapacité à évangéliser, à convertir le coeur de tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, s'employèrent à causer quelque tort que ce soit aux fils d'Israël.
Ce qu'il y a sans doute de plus beau dans ce livre, c'est la manière avec laquelle, sans renier aucunement la spécificité de la foi catholique, l'A. amène peu à peu le lecteur à reconnaître que le catholique a un frère aîné, authentique témoin de Dieu et de l'Alliance de Dieu avec les hommes, démarche dont précisément le catholique ne peut faire l'économie sous peine de mutiler sa propre foi.
Il me semble qu'en définitive l'ouvrage est comme un déploiement de la prière d'intercession la plus solennelle que l'Église catholique formule dans sa liturgie du Vendredi-Saint à la fois dans l'invitation à la prière et l'oraison qui suit: «Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier: qu'ils progressent dans l'amour de son Nom et la fidélité à son Alliance. - Dieu éternel et tout-puissant, toi qui as choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude la rédemption le premier peuple de l'Alliance, comme ton Église t'en supplie». - B. Joassart, S.J.