L'Église de France face à la persécution des Juifs (1940-1944)

Sylvie Bernay
Histoire - Recenseur : Bernard Joassart s.j.
Grâce à un examen minutieux des archives diocésaines de congrégations religieuses, d'associations, de divers prélats, dont Mgr Chappoulie, délégué de l'épiscopat français auprès du gouvernement de Vichy, de notes personnelles de personnages qui ont pu jouer un rôle important, l'A. aborde ici un sujet délicat, comme l'indique clairement le titre, en particulier en ce qui concerne cet épiscopat face à la question juive.
Ce qui me semble vraiment caractériser l'ouvrage, c'est sa manière fine d'essayer de mettre en perspective l'échiquier politico-religieux sur lequel dut se mouvoir l'épiscopat français, échiquier pour le moins très complexe. Cet épiscopat était héritier de tout un antisémitisme ambiant: il avait, en gros, adopté la théorie du «double protectorat» qui légitimait l'existence d'un statut particulier pour les Juifs dont la société devait se protéger, tout en veillant à ce qu'ils ne soient pas victimes de l'antisémitisme. Il devait agir dans un pays fortement mis sous pression par l'Allemagne nazie. Ce pays était par ailleurs divisé en deux zones: ceci ne facilitait pas les contacts entre les évêques (surtout à une époque où les conférences épiscopales n'existaient pas), pas plus d'ailleurs qu'entre membres de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques (celle-ci se scindant même, par la force des choses, en deux «sections»); suivant que l'on fût dans l'une ou l'autre zone, les évêques ne disposaient pas d'une égale liberté d'action. Il faut en outre considérer les différences de tempérament entre évêques: un Suhard et un Gerlier ne s'entendaient pas parfaitement et, de manière plus générale, tous ne s'accordaient pas nécessairement sur la question juive. Cet épiscopat devait aussi tenir compte du régime de Pétain (qui ne manquait pas d'admirateurs dans les rangs des évêques) dont on sait toutes les ambiguïtés, tant à l'égard de l'Allemagne qu'à l'égard de l'Église elle-même dont il espérait bien sûr obtenir le soutien. Il se proposait en effet de conclure avec elle un concordat en vue d'établir un modus vivendi en rupture avec la séparation de 1905, lui accordant certes de substantiels avantages tout en assurant à l'État un réel contrôle sur le fonctionnement ecclésiastique, en particulier dans les nominations des évêques. En outre, cet épiscopat devait tenir compte de Rome, le nonce Valeri prodiguant les «encouragements» de Pie XII, lequel comptait aussi sur ce que l'on pourrait appeler l'«aide» de l'épiscopat français qu'il estimait compétent en cette matière et qui était appelé à développer une stratégie collective.
On le voit: cet épiscopat, qui par ailleurs entretint des contacts avec certains hauts responsables protestants et juifs, était pris dans un maquis fort épais. In fine, dans sesprotestations, il ne fut sans doute pas «prophétique» au sujet du sort réservé aux Juifs, la lettre pastorale de l'archevêque Saliège en 1942 étant en quelque sorte un hapax. Mais il ne fut nullement indifférent au sort des Juifs, soumis tant à la législation vichyssoise qu'à la barbarie de l'occupant. En particulier dans le sud de la France, les évêques encouragèrent quantité d'initiatives visant à secourir les Juifs. La question que l'on pourrait sans doute légitimement se poser serait la suivante: cet épiscopat, même en dépit des «éclairages» venus d'intellectuels de qualité, tel un Fessard, qui mettaient bien en évidence toute la perversité de l'antisémitisme et de ses conséquences pratiques quant au sort de ses victimes, était-il finalement suffisamment armé pour agir de manière vraiment adéquate? - B. Joassart sj

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