L'Évangile de Marc en hébreu. Étude de la langue et enjeux théologiques des traductions de Franz Delitzsch (1877) et de Joseph Atzmon (1976)

Agnès Tichit
Écriture Sainte - Recenseur : Françoise Mies ok
Agnès Tichit s'est fait connaître par son ouvrage Hébreu biblique. Grammaire de base et introduction aux fêtes juives et par son essai Jérusalem, ville unique. L'ouvrage ici présenté est issu de sa thèse de doctorat.
En introd., l'A. présente les trad. hébraïques des évangiles. Les premières remontent à la fin du Moyen Âge. Elles sont souvent réalisées à partir du latin ou des langues modernes et destinées à attirer des juifs au christianisme. Elles sont rédigées en hébreu biblique, et plus ou moins influencées par l'hébreu mishnique. Les plus importantes ont été rééditées dans les ouvrages deJ. Carmignac (Traductions hébraïques des Évangiles, 1982-1985). La création de l'État d'Israël en 1948 favorise l'émergence de plusieurs nouvelles trad., cette fois en hébreu moderne.Ensuite, sur la base de l'évangile de Marc, A. Tichit étudie la trad. réalisée sous la dir. du juif messianique J. Atzmon, et utilisée notamment dans la liturgie actuelle des communautés catholiques de langue hébraïque. Effectuée en Israël, elle est l'oeuvre de juifs messianiques, de protestants et de catholiques. L'A. propose une analyse comparative des trois éd. de cette trad. (1976, 1991, 1995). Les révisions attestent un projet de trad. à équivalence dynamique, plus en phase avec le lecteur d'aujourd'hui: les toponymes sont vocalisés selon la prononciation de l'hébreu israélien, le vocabulaire est adapté en fonction de l'évolution de la langue, la trad. s'éloigne de la syntaxe grecque, elle accentue les références à l'hébreu biblique plutôt que mishnique. Le Jésus de l'évangile est accessible au lecteur moderne tout en étant compris à partir de son ancrage biblique. La trad. de départ ayant été réalisée d'abord moins sur le grec que sur l'anglais - et d'autres trad. -, on est en droit de se demander dans quelle mesure l'anglais a influencé cette trad.
L'A. la compare ensuite à la 10e éd. de la trad. du célèbre exégète luthérien Franz Delitzsch (189010, 18771). Celui-ci ne pouvait s'inspirer des travaux naissants de Ben Yehoudah destinés à ressusciter la langue hébraïque. En exégète, il produit une trad. du grec en hébreu néo-biblique, avec quelques influences de l'hébreu mishnique. Ainsi, Delitzsch et Atzmon diffèrent, comme l'hébreu biblique de l'hébreu moderne: scriptio defectiva / scriptio plena, présence ou non des formes pausales et des formes verbales converties, ordre des mots de l'hébreu biblique ou israélien.
Enfin, l'A. présente quelques enjeux théologiques des trad., notamment à partir du récit de la dernière Cène. Tandis que nombre de trad. anciennes distinguent les racines brk et ydh, à la suite du grec eulogeô (bénir) et eucharisteô (rendre grâces), Delitzsch et Atzmon, en traduisant indifféremment les deux verbes par brk, bénir, mobilisent le seul vocabulaire de la bénédiction, plus familier de la tradition juive que celui de l'action de grâces. Ils établissent ainsi un pont entre le monde où vivait Jésus et le monde chrétien imprégné du monde juif. Ils traduisent le sôma de «ceci est mon corps» par gûf (corps), terme moderne hérité de la mishnah, plutôt que par le basar (chair) biblique. Mais la liturgie eucharistique des communautés catholiques hébréophones a gardé basar… En outre, ils favorisent le sens de l'accomplissement-plénitude (Delitzsch: ml'; Atzmon: qym) des Écritures (plèroô) plutôt que celui de l'accomplissement-achèvement (klh).
La dynamique intertextuelle entre ces deux trad. et la Bible hébraïque permet au lecteur de saisir plus immédiatement les liens entre AT et NT que ne permet de le faire le texte grec. J'ajouterais que cette dynamique se retrouve dans le rituel eucharistique des communautés catholiques hébréophones, dans lequel résonne, mieux que dans nos rituels hérités du latin, l'écriture biblique. L'annexe sur les avis des membres de ces communautés sur les deux trad. constitue également une petite enquête sur ces communautés.
Selon l'A., ce livre s'insère dans un projet global: étudier la langue hébraïque dans la perspective du dialogue judéo-chrétien. Le but poursuivi est magnifiquement atteint. -F. Mies

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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