Voici une description très pédagogique de la rupture qu’a opérée l’homme moderne par rapport aux liens étroits que nouait l’homme antique avec la nature. Philippe Soual, professeur de philosophie à l’Institut catholique de Toulouse et membre de l’Académie catholique de France, dresse, dans sa 1re partie, le portrait de l’homme antique en son monde : comment sa technique s’appuyait essentiellement sur les profusions de la nature, comment la donnée naturelle de l’homme et de la femme, assignés chacun à leur rôle, fondait la famille, comment la Cité, qui naît dans le besoin se prolongeait dans la recherche du Bien commun, lequel suppose une approche éthique de la vie politique, le dernier stade de la praxis humaine consistant dans la contemplation… Par contraste, la seconde partie montre comment ces mêmes domaines connaissent un véritable renversement en se mettant à distance de la nature : dans la technoscience, la raison prend les devants sur la nature en la forçant, par l’expérimentation, à répondre à ses propres questions, de telle sorte que la connaissance de ses lois lui enlève peu à peu tout mystère ; fasciné par le faire, l’homme en vient à envier la performance de la machine qu’il a créée, risquant ainsi de perdre sa propre intériorité (l’A. y revient au dernier chapitre en dénonçant vigoureusement les illusions du transhumanisme) ; la famille moderne se pense sur le modèle du contrat (social), posant au départ l’irréductible solitude de l’individu qui ne conçoit le lien que comme pis-aller, plutôt que sur le mariage qui se soumet au lien comme à un bien désirable ; dans la société, l’espace et le temps perdent l’intériorité respective du lieu et du kairos tandis que les rites s’effacent : les générations précédentes ne comptent plus, celles à venir non plus. À propos de la politique, l’A., spécialiste de la pensée de Hegel, rappelle que l’État est la forme politique de l’existence humaine, au sens où il a pour tâche de permettre aux citoyens de devenir meilleurs. Il dénonce à cet égard la tyrannie de l’opinion publique et celle des minorités dont les prétentions au détachement de la nature s’imposent à une majorité trop soumise. Enfin, à propos de la religion, l’A. montre que le christianisme permet de fonder une anthropologie équilibrée : ni engloutie dans la nature, ni séparée d’elle. Cette religion de l’Incarnation permet à l’homme de vivre, par son corps, dans la nature, en y exerçant sa liberté appelée à la relation spirituelle avec Dieu. L’ouvrage cite, bien sûr, des auteurs tels qu’Aristote, Descartes ou Heidegger, mais il ne dédaigne pas de prendre l’exemple de la fabrication des confitures pour montrer que l’homme jouit aussi de soi dans son travail (p. 204), ni de prendre une plume poétique pour définir l’œil : « il est la ténèbre infinie de l’intériorité, mais comme accueil de la lumière… » (p. 245). Pour tous, à recommander. — X. Dijon s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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