En une conversation familière, émaillée çà et là d'expressions
audacieusement juvéniles, l'A., archevêque de Strasbourg, interrogé
par deux interviewers particulièrement compétents, esquisse son
parcours. Il se présente comme un rural nantais qui, à son retour
de la sale guerre d'Algérie qu'il a vécue comme milicien
séminariste, a reçu l'ordination sacerdotale et s'est engagé dans
la Compagnie de Saint-Sulpice avant d'aller parfaire sa théologie à
Paris, à Rome (au temps du Concile) et à Münster… pour être nommé
directeur de séminaire dans la turbulence de mai 1968. Des
appréciations culinaires (huîtres et escargots, oui; autruche
d'élevage et kangourou de conserve, non) et des considérations
littéraires (l'A. affirme à deux reprises avoir lu pratiquement
tout Simenon) côtoient des pages profondes sur des sujets tels que
le célibat ou la spécificité sulpicienne; un jugement réfléchi sur
Humanae Vitae, encyclique fort bonne et pourtant tellement mal
reçue; des propos fermes sur l'homosexualité; une formule qui fait
choc, et à laquelle le titre du livre fait écho: l'existence ne
m'est pas due. Dans la seconde partie, interpolation consacrée à la
théologie, confessante et critique, science du croire à l'intérieur
du croire, le ton se fait magistral. L'A., après avoir considéré
l'histoire du discours chrétien sur Jésus Christ, rencontre la
question fondamentale: comment reconnaître l'homme Jésus comme le
Christ de Dieu… ce qui l'amène à un problème particulièrement
d'actualité, et imparfaitement résolu: le problème du Christ dans
les autres religions: christiques, oui, nous dit-il;
christologiques, non… et il ajoute: l'islam, religion du mérite, ne
connaît pas la grâce.
Dans les derniers chapitres, l'A, qui a fini par accepter
l'épiscopat à cause de Jésus, formule paulinienne (2 Co 4,11) qu'il
a choisie pour devise, retourne au style familier. Il nous
entretient du régime concordataire pour lequel il éprouve une
estime définitive, mentionne les 800 chorales liturgiques de son
diocèse, les 1200 orgues alsaciennes, les servantes d'autel, ses
revenus… Il défend à la fois l'héritage chrétien de l'Europe (à
exprimer, s'il vous plaît, dans le préambule de la Constitution
européenne!) et Strasbourg, proche des Germains et donc pas loin
des Salves, alors que Bruxelles est tout juste tournée vers les
Britanniques, très peu européens. Se penchant sur le douloureux
problème de l'hospitalité eucharistique, il invite les théologiens
à approfondir les concepts de consensus différencié et de diversité
réconciliée. Quant à Israël, il lui reconnaît une vocation
permanente à exister comme peuple. Son dernier verdict est pour
Saddam Hussein: c'est un salopard, mais que dire de Bush?… Nous
connaissions le théologien, fondateur-directeur de la collection
Jésus et Jésus-Christ; le présent ouvrage nous révèle l'homme. - P.
Detienne sj