La liturgie oubliée. La prière eucharistique en Gaule antique et dans l'Occident non romain
M. SmythLiturgie et pastorale - Recenseur : Bruno Clarot s.j.
La première partie de sa thèse concerne le corpus documentaire jusqu'au IXe s. ayant échappé à la réforme carolingienne. Ce corpus est présent dans l'Europe du Nord depuis l'Irlande jusqu'au Portugal et l'Autriche en passant par la Gaule Cisalpine. Les liturgies y sont très diversifiées et assez différentes du rite romain unifié entre les Ve-VIe siècles, mais elles lui empruntent depuis lors de plus en plus d'éléments. La deuxième partie traite des prières eucharistiques de l'assemblée dominicale (structure, origine, interprétation) et tente un essai de synthèse. Les sacramentaires francs anciens offrent un ordo missae clair et uniforme, avec des prières variées, mais un substrat primitif commun. On y trouve un ordre rigoureux identique depuis la préface. Dans le fonds autochtone, on décèle trois strates: la première, concise et archaïque, est proche des sources des IIe au Ve siècles, où rien n'était encore codifié, mais où la créativité ne concernait guère que les hymnes. La deuxième strate aux VIe-VIIe siècles concerne surtout des pièces pascales avec une hypertrophie rhétorique. La troisième strate se caractérise par des logorrhées euchologiques et des digressions oratoires qui ont probablement motivé la réforme unificatrice carolingienne. On s'aperçoit que la liturgie gallicane reposait sur un petit nombre de « pivots » ou formules fixes venant d'un lointain passé auquel on restait fidèle. La force de la coutume y était pour beaucoup, de même que l'absence de grands créateurs et d'une autorité centrale. Il semble que les sacramentaires iro-gallicans aient beaucoup repris à la liturgie africaine du IIIe s. influencée elle-même par l'Orient au IIe s. Ils plongent leurs racines chez Ignace d'Antioche, Irénée, Justin, Tertullien, Cyprien… Ce fonds gallican est prénicéen, ignore les querelles trinitaires et ne possède pas d'épiclèse.
Ce beau travail qui demande à être prolongé par d'autres chercheurs, est l'oeuvre d'un laïc marié, professeur de liturgie en France et à l'étranger. Dans sa postface, M.S. Gros y Pujol, de l'école catalane, fait l'éloge de cette importante recherche qui renouvelle bien des idées reçues et souligne le rôle de Milan (et de Carthage?) dans les strates primitives. Smyth a aussi mis en lumière la richesse théologique de l'ancienne euchologie gallicane. Ces éloges doivent mettre l'eau à la bouche des liturgistes. - B. Clarot, S.J.