Le De pace fidei, publié par le cardinal Nicolas de Cues
en 1453, année de la chute de Constantinople, propose un dialogue
entre les religions, dans la lignée des Dialogues entre un
philosophe, un juif et un païen (Abélard, 1136-39) et du
Livre du gentil et des trois païens (Raymond Lulle, 1271),
selon un genre littéraire inspiré du De natura deorum de Cicéron.
Le Verbe, qui sera relayé par Pierre puis par Paul, y dialogue avec
dix-sept sages convoqués par le Très-Haut: grec, italien, arabe,
indien, chaldéen, juif, scythe, français, persan, syrien, espagnol,
turc, allemand, tartare, arménien, bohémien, anglais. Que leur
prêche-t-il? Le christianisme, source de toutes les religions,
considéré non pas comme un syncrétisme universel, mais comme la foi
en Dieu-Un, présupposée dans toutes les religions et impliquant la
croyance en la Trinité. Sont mentionnés également tous les
sacrements, sauf la pénitence, mais ni l'Église ni le pape ne sont
cités. L'irénisme de Nicolas, qui est partout manifeste, s'étend à
la Lettre à Jean de Ségovie, publiée en annexe: les «délices
corporelles» du paradis coranique sont un symbole de la béatitude
éternelle; c'est par respect pour le Christ que les musulmans
abominent la croix. L'ouvrage est enrichi d'une importante
introduction due au traducteur, Hervé Pasqua, recteur de l'Institut
Catholique de Rennes. Les religions, nous dit-il joliment, sont des
jetées vers Dieu; seul, le christianisme, grâce à l'incarnation,
constitue un pont. Restent quelques questions. Le christianisme de
Nicolas n'est-il pas surtout une philosophie de l'Un eckhartien,
pour lequel l'Être est une imperfection, et selon lequel la vraie
foi est sans objet, détachée de tout contenu historique, l'âme
rejoignant l'Unité indéterminée de la Déité? La relativisation
cusaine de l'importance des manifestations rituelles
n'annonce-t-elle pas la stérilité luthérienne des oeuvres? Et que
penser de l'affirmation de Jaspers, qui suggère que Nicolas n'est
pas sincère, qu'il apporte une réponse faite d'avance? - P.
Detienne sj