La réception de l'encyclique «Humanae vitae» en Belgique. Étude de théologie morale

Stéphane Seminckx
Morale et droit - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.
Cette étude dirigée par A. Rodriguez Luno est fort intéressante non seulement pour les intellectuels de Belgique, mais également pour le discernement des difficultés liées à l'enseignement de la doctrine de l'encyclique de Paul VI. La première partie présente les commentaires argumentés des principaux moralistes belges de l'époque: L. Janssens, Ph. Delhaye, A. Chapelle et T. Belmans. Ce choix respecte autant les parités culturelles et linguistiques du pays que les positions théologiques opposées et les modes variés de réflexion de ces auteurs. Pour les générations qui n'ont pas connu ce contexte, la lecture de cette section est décisive. Elle permet, même si nous connaissons directement la position de l'A., de mesurer les enjeux et la complexité des débats. Les circonstances et le climat de ces années soixante dans l'Église et dans la société civile éclairent une question délicate qui n'a plus aujourd'hui la même portée.Les commentaires d'autres intervenants (32) sont également offerts au lecteur et donnent une 'géographie' plus diversifiée des réactions à la parution de l'encyclique. Ils nous indiquent à la fois le grand désir de comprendre et la complexité des arguments selon l'angle d'approche choisi. Une présentation est faite aussi de la déclaration commune des évêques de Belgique (texte en annexe). Cette dernière souligne la perplexité des pasteurs à cette époque, et leur désir, comme pour de nombreuses conférences épiscopales, de rendre raison de l'encyclique tout en manifestant l'importance de la conscience et en tenant compte de l'incompréhension exprimée par de nombreux baptisés. Sans faire d'anachronisme, le lecteur est ainsi amené à saisir au mieux les raisons objectives des diverses interventions. Cet apport historique, conjugué avec le tableau des principaux arguments théologiques, est éclairant. Il permet à chacun de mesurer, en accord ou non avec l'A., l'aspect dramatique de l'engagement de l'Église dans ce domaine. À la lumière du travail de Jean-Paul II, de l'apport décisif de l'encyclique Veritatis splendor et du recul des années, nous prenons conscience avec plus d'acuité de la crise de la théologie morale dont l'énoncé de la doctrine d'Humanae vitæ n'a pas pu faire abstraction. Tout en indiquant les oppositions et la non-réception de l'encyclique, l'A. atteste son accord avec la doctrine de celle-ci, mais fournit, au-delà du jugement des théologiens, certaines causes objectives des difficultés rencontrées. Au-delà des personnes et de leurs qualités, - et ce fait devrait nous donner à penser à toute époque -, la théologie morale et la culture dans laquelle elle se développait se trouvaient fort démunies pour rencontrer frontalement ce que R. Laurentin a appelé un signe de 'continuité évolutive' en matière de moeurs.
La seconde partie explicite une étude plus personnelle de la doctrine d'Humanae vitæ. L'A. souligne dès le départ trois questions principales (la nature humaine, l'objet de l'acte, la loi naturelle) et leur mise en perspective en Belgique (quelques problèmes connexes: conflits des devoirs, autorité du document). Une relecture des pages centrales d'Humanae vitæ est présentée: elle nous indique que le noyau du débat réside dans le lien entre nature et liberté. En surgissent ensuite les étapes du commentaire: la nature corporelle et sexuée de l'être humain en dépendance de Dieu, la recherche du bien par la raison pratique qui scrute la loi naturelle qui est participation de la loi éternelle, la conformité de l'acte conjugal avec celle-ci, le lien, dans l'horizon de l'amour, entre l'acte conjugal et la vertu de justice. Ces données classiques sont revisitées à la lumière des écrits de M. Rhonheimer. La démarche est précise, parfois difficile parce que liée à un langage particulier de la théologie morale fondamentale, mais elle vise à unifier l'ordre des vertus et l'ordre de la raison. Il s'agit, à chaque instant, de 'dire' ce qu'est l'objet moral et l'ordinatio que la raison introduit dans l'exercice de l'inclination. De fait, ce qui apparaît, c'est l'importance pour le sujet (les conjoints) de réunir les 'conditions' d'un don de soi tel que Jean-Paul II l'a déployé après Humanae vitæ: ces conditions sont la 'possession de soi' qui jaillit de la liberté humaine. Cette réflexion met en lumière la vérité de l'affirmation de l'encyclique sur l'unité des deux significations de l'acte conjugal. Celui-ci n'a qu'un objet moral unique dont le sens plénier et indivisible se dit dans l'union et la procréation.
Ce travail a été retenu en janvier 2006 parmi les finalistes du prix 'Henri de Lubac' qui récompense les 5 meilleures thèses en français défendues aux universités pontificales dans l'année écoulée. Cette indication nous invite à sa lecture et à son respect quelques soient les positions théologiques et pastorales qui seront celles des lecteurs. - A. Mattheeuws sj

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